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Les enseignants spécialisés sont en train d'inventer de nouvelles formes d'intervention (FNAME, interview exclusive)

Paru dans Scolaire le mardi 05 mai 2020.

Bien que la "continuité pédagogique" ait accentué les difficultés de certains enfants, le rôle que peuvent jouer les enseignants spécialisés, membres des RASED (réseaux d'aide spécialisés aux élèves en difficulté) n'a jamais été évoqué par le ministère. Nathalie Bajolle, présidente de la FNAME (la fédération nationale des maîtres E) et Geneviève Orion, coordinatrice du Groupe de travail en lien avec le Conseil scientifique (de la fédération), répondent aux questions de ToutEduc.

FNAME : Il est exact que le rôle que nous pouvons jouer n'apparaît pas dans les textes ministériels, la circulaire publiée hier 4 mai sur la réouverture des écoles (ici) ne parle d'ailleurs pas du tout du rôle des enseignants spécialisés sinon pour "répondre à l’hétérogénéité des apprentissages des élèves", comme si tous les enfants allaient revenir à l'école comme si de rien n'était. En revanche l'académie de Nancy-Metz a très tôt mobilisé un groupe de travail qui a permis de publier un vademecum à propos du rôle des RASED dans le temps du confinement puis de la reprise, et les inspecteurs, dans certaines circonscriptions, font appel aux RASED, mais il est vrai, plus souvent aux psychologues qu'aux enseignants spécialisés (voir ToutEduc ici).

En fait, il n'est pas étonnant qu'on nous oublie dans le premier temps de l'urgence. La continuité pédagogique a d'abord été pensée comme une transposition de la forme scolaire, de la classe traditionnelle. Or nous, nous venons toujours après, après que la classe soit constituée et que l'enseignant ait pu cibler les besoins d'aide. Faute de se rencontrer physiquement, il a fallu que nous allions de nous-même aux devants des collègues pour définir des espaces de collaboration forcément inhabituels. Il reste navrant que dans un deuxième temps, une fois les grandes lignes de la continuité pédagogique définies, que le MEN n'ait toujours pas pensé au rôle que nous pouvions tenir.

ToutEduc : Et concrètement, que pouvez-vous faire ?

FNAME : Le plus souvent, nous nous sommes manifesté.e.s auprès des collègues et nous avons proposé d'assurer un relais auprès des familles, de voir avec elles si elles avaient le matériel voulu pour que leurs enfants puissent travailler, s'ils comprenaient les demandes de l'enseignant, il fallait aussi les rassurer, sur les difficultés que rencontraient leurs enfants à faire le travail demandé, relativiser les échecs...

ToutEduc : Vous parlez d'intervenir auprès des parents, vous ne parlez pas des enfants...

FNAME : parce que ce premier contact devait passer par les parents et avoir leur accord. En effet, il n'est pas facile d'apprendre à un enfant à lire à distance ! Surtout pour les plus petits, ce n'est pas si simple de parler au téléphone. Avec les plus grands toutefois, on peut travailler la lecture et la compréhension. Des activités de lecture, de langage oral par visio conférence ont été faites quand cela était possible. Les enfants ont eu aussi besoin d'être rassurés, on a pu prendre le relais auprès des parents pour expliquer cette situation de confinement.

ToutEduc : Comment concevez-vous votre rôle auprès des parents ? Est-ce très différent de ce que vous faites habituellement ?

FNAME : Oui. En temps ordinaire, nous avons surtout pour rôle d'accompagner les enseignants. Là, nous devons innover pour accompagner en particulier les parents : ce sont eux qui sont auprès des enfants et qui leur permettent d'accéder aux tâches proposées par l'enseignant de la classe. Aider les parents à reformuler les demandes du professeur, donner des astuces pour réguler l'implication de l'enfant, aider à rythmer les séances de travail, utiliser par exemple des étiquettes pour permettre une manipulation de l'enfant, relativiser la difficulté, féliciter en direct, pointer les indices de progrès ... pour réussir qu'un élève de CP reste une demi-heure actif avec le filtre du téléphone sur une tâche de lecture par exemple, et qu'il accepte tant les propos de son parent que celui de l'enseignant, c'est un véritable défi ... Mais cela n'est possible que si nous avons l'adhésion des parents.

ToutEduc : Ce n'est pas toujours le cas ?

FNAME : Non, loin de là. Il arrive que les messages venus de l’institution scolaire soient perçus comme un envahissement du domicile par l'école. C'est souvent le signe d'une difficulté à comprendre les consignes, ou à comprendre pourquoi l'enfant ne comprend pas ; pour certains le sentiment d'avoir rempli le contrat avec l'enseignant, ça peut se limiter à les avoir consultés sur le téléphone, à avoir compris en tant que parent de quoi il s'agissait et estimer avoir expliqué à l'enfant ce qu'il fallait comprendre. Si on insiste, "non, non, tout va bien, que voulez-vous de plus ?" Et là, même quand on connaît l'enfant pour avoir travaillé avec lui avant le confinement, on ne peut pas aller plus loin. Notre action est stoppée si les parents ne perçoivent pas le besoin d'aide.

ToutEduc : Et avec vos collègues ?

FNAME : Les modes de relation avec les enseignants sont exacerbées, en positif pour ceux avec lesquels nous avions noué des relations de confiance, tandis qu'avec d'autres, nous ne trouvons pas notre place, et ça peut être douloureux. Mais quand ça se passe bien, c'est formidable, comme avec cette collègue qui nous invitait à participer à des "ateliers philo" avec sa classe, nous avons pu les reconstituer à distance, et ça a tout de suite très bien fonctionné, les enfants ont retrouvé le plaisir de s'écouter mutuellement, de développer des positions argumentées, d'échanger, de faire groupe...

ToutEduc : Vous parlez de travail de groupe, alors que vos interventions sont souvent individualisées, vous vous occupez de tel enfant en difficulté dans ses apprentisssages...

FNAME : Nos interventions sont certes individualisées mais toujours dans un groupe, l'aide individuelle reste à la marge. La situation actuelle met en évidence combien à l'école, il n'y a pas que la transmission des savoirs. C’est un lieu différent de la maison où les enfants sont ensemble, où les individus forment un collectif pour apprendre ensemble. N'est-ce pas ce qu'on entend par "école inclusive" ? L'âge de l'instruction obligatoire a été abaissée à 3 ans, il ne faudrait pas oublier ce qui fonde l'école, et garder à l'idée ce qu'est un groupe.

ToutEduc : Comment voyez-vous votre rôle lors de la réouverture des écoles ?

FNAME : Si l'on se donnait une priorité, ce serait de rétablir chaque élève au sein du groupe, de la classe, lui permettre de se sentir partie prenante d'un collectif où sa parole a sa place et où elle est attendue. Les enseignants sauront assurer la continuité pédagogqiue attendue ; nous pouvons être complémentaires pour susciter des espaces de paroles entre enfants présents et ceux qui resteraient à la maison. Ils vont revenir avec beaucoup de choses à se dire et il en sera de même pour ceux qui ne viendront pas à l'école cette fin d'année.

ToutEduc : C'est relativement nouveau...

FNAME : Pas tout à fait, mais il est vrai que nous sommes en train d'inventer de nouvelles formes pour tenir notre rôle. En préservant notre identité d'enseignant spécialisé, nous devons sans cesse ré-affirmer notre rôle, celui de l'aide aux enfants les plus fragiles pour leur permettre de rester en lien avec l'école en tant qu'individus au sein d'un collectif.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par N. Bajolle et G. eneviève Orion

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