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Chronique ordinaire des jours extraordinaires

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Culture, Justice, Orientation le mardi 24 mars 2020.

ToutEduc ouvre une chronique des petits gestes et des petits faits des jours du confinement, des bonnes et des mauvaises surprises des acteurs de l'éducation, des situations qu'on n'imaginait pas, des outils auxquels on ne pensait pas... Cette chronique est EN CLAIR sur le site.

F., proviseure d'une cité scolaire

En une semaine, déjà des habitudes sont prises : Ouvrir la grande porte en verre de l’entrée du bâtiment administratif, aller à boîte aux lettres du lycée récupérer le courrier, le classer, se laver les mains, accueillir les trois enfants, collégiens, de personnels soignants, désinfecter tables et claviers d’ordinateur, répondre par le biais du standard basculé sur mon bureau aux parents qui n’arrivent pas se connecter, qui ont perdu leur identifiant, qui sont devant la porte pour venir chercher un ordinateur…, faire les conseils de classe en visio-conférence, répondre à ses mails … euh non, tenter de répondre à ses mails parce que l’ENT (espace numérique de travail) est encore saturé et qu’on ne peut passer dix minutes pour envoyer un mail …

A trois, adjoints et cheffe d’établissement, on se veut multitâches et opérationnels. La bienveillance, la compassion sont essentielles que ce soit vis à vis des parents, des élèves ou des autres personnels. Tous, en retour, le sont. Nulle agressivité, nulle exaspération ( à part contre cette f… connexion parfois), les personnes vues ou entendues sont positives, se remercient mutuellement, heureuses d’échanger le temps d’une visio ou d’une conversation téléphonique. Chacun semble s’installer dans une durée qui ne peut être viable qu’à condition de (re) trouver une part forte de solidarité.

L’enfer c’est l’enfermement, plus les autres.

M-C, professeure de lettres

J'ai mal aux yeux et au dos, comme jamais. Je pense que si le chat monte encore une fois sur mon clavier, il finira en pâté pour l'autre chat. J'ai la larme à l'oeil à chaque mot gentil d'un ou d'une élève. je ressens un petit coup à l'estomac à chaque fois que pronote m'indique "Faites l'appel ! " (en rouge, avec le point d'exclamation : je voudrais bien, petit, j'peux pas...)

J'ai découvert qu'au moins deux de mes élèves avaient des problèmes d'électricité à la fin de la semaine dernière. J'en suis absolument accablée, confrontée à ma propre impuissance. Dans les deux, il y a une petite mignonne qui se bagarre bien et qui s'éclatait depuis qu'on avait entamé la poésie. Je suis effondrée.

J'ai appris que j'ai un fantôme qui se promène sur une plateforme sur laquelle je ne me suis a priori pas inscrite. Aucune explication rationnelle : il a été aperçu par un collègue, un élève dans une "salle de cours". J'attends les captures d'écran.

Je découvre les limites des outils dont j'avais l'habitude et ça me saoule. je suis comme tout le monde, j'hésite entre continuer avec les outils dont les élèves ont l'habitude, même si ça plantouille pas mal ou migrer vers des outils qu'on connait moins, eux et moi, au risque de m'y perdre. Nécessité faisant loi, pour l'instant, je tourne avec ce dont nous avons l'habitude.

J'essuie beaucoup les angoisses de tout le monde : parents, élèves. Les messages de la direction, et même du ministère me paraissent, en fait, beaucoup nourris d'angoisse aussi. Alors je veux bien gérer les angoisses des usagers. Pour l'encadrement : qu'il se débrouille, je n'ai pas d'énergie pour ça !

Parmi les ressources auxquelles on ne pense pas, le bon vieux manuel papier. Dans nos classes, nous utilisons une bonne petite anthologie. Comme beaucoup de mes élèves n'ont rien d'autre comme outillage que leur téléphone, j'utilise le web pour les consignes mais je prends l'essentiel des supports dans le manuel pour limiter l'effort de lecture sur écran. La continuité pédagogique passe finalement nettement plus par le bon vieux manuel papier que le cours au quotidien dans mes classes.

Je me suis fait des tas de copains et copines sur tweeter : qui viennent au secours quand je craquouille, qui donnent des pistes de solutions, qui rassurent et qui dynamisent. Avant, Tweeter, ça ne me servait que pour ma veille numérique (et pour dire du mal de l'arbitre les jours de match de rugby). J'approfondis en ce moment la possibilité d'une immense humanité virtuelle (une fois que tu as bien viré les deux ou trois trolls qui trainent !)

J'ai fait un peu long, pardon. Je retourne à Théophile de Viau : les secondes m'attendent.

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