Archives » Recherches et publications

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

A quelles conditions l'Education va-t-elle dans le sens de l'intérêt général ? (ouvrage collectif)

Paru dans Scolaire, Orientation le dimanche 20 janvier 2019.

"Penser le modèle éducatif en lien avec l'intérêt général, c'est chercher à mieux l'adapter aux besoins (...) de la société prise dans son ensemble." Il s'agit "de transmettre des valeurs nouvelles, celles de la raison, du progrès, de la République et de la nation". C'est ce à quoi entreprennent de réfléchir la quarantaine de contributeurs, pour la plupart très hauts fonctionnaires ou universitaires, au fort volume que publient les Presses universitaires de Rouen et du Havre, sous la direction de Philippe Bance et Jacques Fournier.

Elisabeth Bance-Caillou estime par exemple que "l'enseignement du fait religieux n'a pas permis de favoriser le mieux vivre ensemble", ce qui supposerait "de redonner confiance aux familles, aux enseignants sur la capacité de l'école publique à faire réussir tous les élèves". C'est, sous des formes diverses, le souci qui s'exprime dans chacun des articles, même si, rappelle Jacques Fournier, on doit aussi considérer les progrès accomplis. Au début des années 60, plus des trois quarts des jeunes appelés pour faire leur service militaire "n'avaient pas dépassé le niveau du certificat d'études primaires", "3,5 % seulement avaient un diplôme de l'enseignement supérieur". Mais, ajoute-t-il, les réformes qui restent nécessaires heurtent "tous ceux qui se considèrent comme le gotha de l'élite républicaine, de Jean-Pierre Chevènement à Michel Onfray".

Christian Forestier va plus loin, et accuse ceux qui s'opposent aux méthodes d'apprentissage de la lecture "validées par les neurosciences", dont il donne pour exemple celle proposée par Agir pour l'Ecole, d' "une forme d'obscurantisme qui pourrait s'apparenter au lyssenkisme". L'ancien recteur accuse par ailleurs de "lâcheté" les politiques lorsqu'ils permettent le retour à la semaine de quatre jours.

Bruno Poucet montre pour sa part que les établissements catholiques sous contrat "se sont sécularisés, comme la société", mais qu'un nombre "encore très minoritaire d'usagers n'acceptent pas cette sécularisation de fait" et "refusent le vivre-ensemble", ce qui constitue "un projet politique", et témoigne d'une forme de "refus d'une société démocratique pour affirmer l'existence d'une société, au fond, aristocratique". Pour Nathalie Mons, qui présente un bilan du CNESCO (Conseil national d'évaluation du système scolaire) qu'elle préside, un projet démocratique suppose une politique d'évaluation et que celle-ci soit animée par "un souci d'intérêt général", ce qui suppose à son tour "des changements de gouvernance majeurs".

A ce sujet, Bernard Toulemonde fait mine de s'interroger. Comment "montrer que la décentralisation et l'autonomie des établissements assure(raient) une meilleure réussite des élèves et non une aggravation des inégalités ?" Mais "peut-on faire pire" qu'actuellement ? Peut-on également, se demande Daniel Filâtre, faire évoluer la formation des enseignants pour la centrer "sur les notions de compétences et de développement professionnel, en prise avec l'évolution des savoirs, des contextes et du métier". Peut-on supprimer les concours et "recruter massivement des contractuels, titulaires d'un master d'enseignement" ? Angélique Chassy et Jean-Pierre Lavignasse font remarquer que le concours revêt "une importance symbolique décisive", notamment du fait qu'il donne à l'enseignant "sa pleine légitimité dans sa classe". D'ailleurs, "les enseignants militent dans leur très grande majorité pour le maintien du statut de la fonction publique" dont la remise en cause compromettrait leur autonomie, et donc l'attractivité d'un métier qui en manque déjà. Parmi les causes qu'identifient les deux universitaires figure "le manque de possibilité de reconversion professionnelle".

Autre thème abordé par plusieurs auteurs, la mixité sociale. Yannick Prost estime que sur ce sujet, l'équipe gouvernementale actuelle "fait l'impasse", "reflétant en cela les positions de l'Institut Montaigne". Didier Bargas et Marc Douaire appellent "l'ensemble des forces politiques, sociales et syndicales (à) sanctuariser l'éducation prioritaire", à "consolider les réseaux école-collège", à renforcer "le rôle de collectifs professionnels". C'est ce qu'a réussi l'équipe "anthropologie pour tous" du lycée Le Corbusier d'Aubervilliers. Celui-ci donne un exemple saisissant de ce que peut faire un établissement dont 9 élèves sur 10 ont des parents venus de 72 pays différents et dont 39 % des élèves de terminale obtiennent une mention. Le projet Thélème, un peu sur le modèle de La Main à la pâte pour les "sciences dures", propose "un laboratoire d'initiation aux sciences humaines" qui permet à chaque élève de s'intéresser aux cultures d'origine de ses condisciples. S'y ajoutent les choix de l'équipe enseignante, qui est associée "au processus de répartition de la dotation horaire globale" et qui a renoncé aux heures de dédoublement statutaires pour limiter à 20 le nombre d'élèves en seconde.

Aziz Jellab s'interroge pour sa part sur la vocation du lycée professionnel, qui n'est plus "l'école des ouvriers", et où les CAP "tendent à assurer une fonction non pas de formation professionnelle, mais de remédiation", "l'accompagnement d'une maturation juvénile", "la réhabilitation des élèves, en visant tout autant leur socialisation professionnelle et scolaire que leur socialisation à un savoir-être". Paul Santelmann s'inquiète même de voir "la production de diplômes de l'Education nationale (n'avoir) pas grand-chose de commun avec l'offre de formation", et il dénonce "une floraison inflationniste de diplômes professionnels fondés sur un adéquationnisme fin et illusoire (avec la diversité des métiers, ndlr) sans cesse renouvelé".

Ces quelques exemples pris dans un ensemble très riche et divers, témoignent de la liberté de ton des auteurs, qui ont des positions souvent tranchées, mais qui, sauf exceptions, évitent la polémique et se fondent sur des données et des démonstrations de nature à susciter l'adhésion et le consensus.

"Education et intérêt général" est le 4ème ouvrage réalisé "sous l'égide de la commission scientifique du CIRIEC France (Centre international de recherches et d'information sur l'économie publique, sociale et coopérative). Presses universitaires de Rouen et du Havre, 700 pages,35€

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →