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Rythmes scolaires : ce qui a motivé les communes restées à 4,5 jours (enquête)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mardi 13 mars 2018.

"On marche sur la tête ! On ne peut pas jeter à la poubelle 30 ans de travaux scientifiques. Et si les communes, les enseignants, les écoles, les parents veulent le retour à 4 jours, qu'ils ne nous fassent pas croire que c'est pour le bien de l'enfant !" François Testu, le président de l'Observatoire des rythmes et des temps (ORTEJ), est affligé. Alors que le tour des consultations et le recueil des avis de conseils d'écoles, quand ils sont organisés, sont en train de s'achever, les observateurs font déjà des pronostics concernant les écoles qui devraient rester à la rentrée prochaine à la semaine de 4,5 jours, après la bascule d'un premier tiers à la rentrée dernière. 10 à 15 % seulement des écoles françaises, selon des estimations faites par François Testu et Agnès Le Brun, vice-présidente et rapporteure de la commission Éducation de l'AMF (Association des maires de France). "Un peu désolant", commente encore le chronopsychologue, qui voit ici la traduction de "la volonté des adultes d'avoir un emploi du temps qui les satisfait, eux".

S'il est difficile de quantifier les petites communes qui ont choisi de conserver le rythme de 4,5 jours par semaine, grandes villes et villes moyennes sont assez facilement énumérables. Parmi elles, Paris, Toulouse, Pau, Clermont-Ferrand, Arras, Metz, Épinal, Villeurbanne, Vénissieux, Nantes, Rennes, Issy-les-Moulineaux, Tulle, Bourg-en-Bresse, Niort, Angers,Vincennes... Choix politiques, histoire, qualité de l'offre périéducative, évaluations comptent parmi les facteurs qui ont pu faire pencher la balance.

Des villes qui font un choix politique

Première observation, pour beaucoup de ces communes que certains médias ont qualifié de "résistantes", il s'agit d'un choix politique. C'est clairement celui de Rennes, Nantes, Metz, où les maires ont même choisi de ne pas faire de consultation et "défendu un projet d'éducation", observe la FCPE, ou encore d'Épinal ou Toulouse. Le choix de ces dernières tient aussi à leur histoire. Toulouse avait choisi de continuer à fonctionner avec 9 demi-journées par semaine, en décrochant une dérogation sous Darcos en 2008 quand celui-ci avait fait passer le temps d'enseignement dans le 1er degré à 8 demi-journées. Et le choix, bien avant, de généraliser son offre périéducative, entre 2001 et 2007, dans toutes les écoles. À l'offre des CLAE (centres de loisirs associés à l'école), financée par la ville à hauteur de 43,45 millions par an (auxquels s'ajoutent respectivement 2,6 et 1,5 millions d'euros de la CAF et du fonds de soutien de l'État) s'ajoute un recrutement important d'ATSEM qui "couvrent aussi le temps périscolaire". À titre de comparaison, Lyon, qui compte à peu près autant de classes maternelles (environ 500), emploie 500 ATSEM contre 1000 à Toulouse.

C'est cette "offre de qualité", analyse Marion Lalane de Laubadère, adjointe au maire chargée des affaires scolaires à Toulouse, qui explique l'adhésion "massive" à la semaine 4,5 jours obtenue lors de la consultation menée auprès des conseils d'écoles, demandée d'ailleurs par le DASEN et non la Ville (85 pour, 21 contre). Les précédentes consultations allaient dans le même sens : 65 % des conseils d'écoles s'étaient prononcés pour en 2009, 92 % en 2013. Quant aux activités périscolaires, 15 ans après leur généralisation, elle remportaient 95 % de satisfaction, et ce d'autant qu'elles sont proposées à des "tarifs très attractifs", dégressifs en fonction des revenus et du nombre d'enfants par famille (de 9 centimes, pour ceux qui affichent 8000 euros de revenus mensuels, à 1 centime d'euro pour le créneau du matin, et de 1,80 euros à 23 centimes pour celui du soir).

Choix "politique fort" aussi à Épinal, acté par le comité de pilotage relatif au projet éducatif local le 20 février dernier. Que le maire de la ville, Michel Heinrich, justifiait à deux titres, même si des conseils d'école avaient fait le choix inverse, et malgré les critiques du comité En Marche Épinal qui a dénoncé une absence de dialogue sur le sujet : ici l'aménagement du temps de l'enfant "fait partie de [l']ADN depuis 1989", et "dans une même ville, toutes les écoles doivent avoir le même système".

Le poids des évaluations ?

Même engagement à Bourg-en-Bresse. Sur son blog, le maire de la ville Jean-François Debat, indique le 7 mars dernier avoir "confirmé – dans un courrier adressé aux parents d'élèves (…) que, même s'il est plus coûteux que le système à 4 jours, le système actuel – qui fonctionne bien – ne sera pas remis en question, au bénéfice du rythme de l'enfant, pour des considérations financières ou d'organisation de la journée des adultes (parents, enseignants, services municipaux)". Celui-ci critique ce nouvel "ajustement" possible, alors même que "les rythmes scolaires ont subi pas moins de 3 réformes en 10 ans" et "qu'aucune évaluation des bénéfices apportés par la réforme précédente n'a encore été réalisée".

Certaines villes ont pu être aussi influencées parce que leurs aménagements ont fait l'objet d'évaluations. C'est le cas à Arras où a été "démontré que l'apport des TAP était particulièrement efficace pour des enfants en REP et REP+", explique François Testu. Paris, qui avait fait l'objet d'une évaluation plus importante, dès 2007 lors de la mise en place des "ateliers bleus" culturels, scientifiques et sportifs, a choisi aussi de conserver cette organisation. Pour autant, cette observation n'est pas valable partout puisque la ville d'Évry, dans laquelle avait été menée une étude sur 2 ans, avant 2010, et qui apparaissait "exemplaire" en la matière, selon le président de l'ORTEJ, bascule à 4 jours.

Des villes où les consultations ont pesé

Dans d'autres villes, ce sont les résultats des consultations qui ont pesé. À Niort, les conseils des écoles publiques se sont très largement prononcés en faveur du maintien (36 sur les 38 écoles publiques), ce qui allait dans le sens de la volonté municipale. À Clermont-Ferrand la consultation organisée auprès des parents d'élèves élus, les syndicats enseignants, les directeurs d'école et les membres du comité partenarial du Projet éducatif de la ville est allée dans le sens du maire. Les 9 600 élèves des 63 écoles maternelles et élémentaires de Clermont-Ferrand vont donc continuer à avoir classe le mercredi matin.

Tulle, tout comme Ussel, dans le Limousin, semblent avoir conservé les nouveaux rythmes pour les mêmes raisons : à Tulle, 73 % des parents qui se sont exprimés à la consultation ont pris position pour le statut quo et les enseignants ont fait valoir que le dispositif avec 5 matinées d'enseignement était plus efficient pour les apprentissages fondamentaux. À Ussel, où les parents "se disent satisfaits" selon la mairie, la Ville ne change rien car elle a notamment eu des garanties sur le financement du transport scolaire.

Des promesses d'ajustements pour tenter de contenter tout le monde

Autre cas de figure, les parents pour, les équipes pédagogiques contre : le maintien avec des promesses d'ajustements pour contenter tout le monde. En Nouvelle-Aquitaine, si Bordeaux "bascule", la deuxième ville de Gironde, Mérignac, a choisi de conserver la semaine de 4,5 jours après avoir obtenu une large adhésion des parents (satisfaits pour 63,6 % de l'organisation du temps scolaire et pour 85 % des activités proposées gratuitement). Mais comme ça n'a pas été le cas des conseils d'écoles (en élémentaire, ils "l'emportent" de justesse auprès de 8 conseils d'école sur 14, et en maternelle seulement dans 5 d'entre eux), le maire choisit le maintien mais annonce des ajustements en maternelle afin de mieux prévenir la fatigue chez les enfants les plus jeunes.

Le maire de Pau promet aussi des "ajustements", notamment sur les rythmes journaliers entre maternelles et élémentaires, et sur la pause méridienne. Une manière d'entendre les écarts de résultats, puisque 57 % des familles se déclaraient satisfaites de cette organisation (avec un taux de participation de 65 %), comme les agents de la Ville et les animateurs, alors que 70 % des enseignants se disaient "non satisfaits". Pour autant ici aussi, François Bayrou a fait un choix politique. Outre affirmer qu' "un nouveau changement n'entraînerait pas d'économies financières" et que les raisons invoquées pour revenir à 4 jours (comme la fatigue des enfants) ne lui semblaient "pas pertinentes", il a fait le choix d'offrir de vrais contrats aux 260 animateurs qui œuvrent dans les écoles pour les sortir "de la précarité", en a formé plus de 60 en 2016 et déclarait refuser d'en "licencier les 2/3" si jamais la Ville basculait à 4 jours.

Les villes qui veulent se donner le temps

D'autres ont aussi opté pour le maintien de 4,5 jours pour se donner du temps, à l'instar de Rouen ou encore de Briançon, "ville qui avait fait le choix de dire 'il est urgent de prendre le temps' ", rapporte la FCPE. Villeurbanne est dans le même cas de figure. Alors que le 7 février, sa voisine la Ville de Lyon officialisait le retour à la semaine de 4 jours après un vote majoritaire, mais court, des 200 conseils d'école de la ville, à Villeurbanne, c'est le "résultat très partagé" qui a conforté le choix "de prendre le temps du consensus", indiquait Damien Berthilier, l'adjoint à l'Éducation, dans un communiqué. Ici, est d'abord envisagé un bilan des rythmes scolaires pour lequel seront mobilisés la recherche universitaire et les enfants.

Issy-les-Moulineaux en a aussi décidé ainsi, ainsi que 5 autres communes sur les 36 que comptent les Hauts-de-Seine. Certes, d'abord au regard de l'adhésion favorable des parents, puisqu'ils étaient 65 % à se prononcer pour mi-janvier, et avec "un taux de participation élevé, de l'ordre de 57 %", indique Bernard de Carrère, le maire adjoint chargé de l'éducation. Mais l'objectif poursuivi, c'est "d'abord de se donner le temps de la réflexion politique", précise l'élu. "La règle c'est la semaine de 4,5 jours. Il ne s'agit pas ici de position dogmatique mais il n'y avait pas d'urgence à changer", estime le maire adjoint dont le "problème" doit avant tout être réglé par l'Éducation nationale (quelle est la règle : 4,5 jours ou 4 jours si paradoxalement la majorité relève de cette dernière organisation ?). Pourquoi aussi prendre une décision pour encore tout changer, alors qu'est annoncée une réforme des vacances scolaires ? Ici, on attend donc que ce soit "moins flou". Et puis, le dispositif "marche bien", avec des activités périscolaires "significatives" (70 activités différentes) et "très appréciées". Et les animateurs peuvent se voir proposer de "vrais parcours de formation" ou des "aides", pour passer par exemple le BAFA.

Des décisions engagées qui vont même parfois à l'encontre d'avis de conseils d'écoles

Notons qu'ici néanmoins, la décision a fait l'objet de frictions. Parce que les votes des conseils d'écoles ne sont pas allés dans ce sens : 2 groupes scolaires sur 8, 1 école maternelle sur 9 et 1 école élémentaire sur 7 se sont prononcés pour. Les enseignants ont brandi un chantage à la mobilité si on ne tenait pas compte de leur avis. Pour tenter de calmer les esprits, la Ville, que la réaction "préoccupe beaucoup", a notamment indiqué qu'elle faciliterait les dérogations pour les enseignants qui voudraient scolariser leurs enfants dans la commune, avec des avantages tarifaires pour la cantine ou le périscolaire identiques à ceux proposés aux habitants.

Des oppositions que l'on retrouve dans d'autres villes. Comme à Vincennes où 53 % des parents se sont prononcés pour le maintien des 4,5 jours, tandis que 12 conseils d'école sur 13 votaient l'inverse. La maire, Charlotte Libert-Albanel, en tranchant en faveur des familles, déclenchait en janvier un mouvement de grève des enseignants. Dans le 93, à l'issue du CDEN du 14 février 2018, le SNUIPP annonçait que seules 4 villes, Bondy, Le Pré Saint-Gervais, Pantin et Romainville, conservaient une organisation du temps scolaire sur 4 jours et demi, alors que 22 autres villes basculaient à 4 jours, rejoignant ainsi les 14 autres qui avaient basculé à la rentrée dernière. Là aussi, au moins dans deux villes, ces choix relevaient de la commune, mais pas à la grande joie des enseignants et du syndicat. Concernant Pantin et Bondy, les représentants du SNUIPP 93 ont demandé au DASEN, sans succès, le respect des votes exprimés au sein des conseils d'écoles qui avaient donné un avis défavorables.

À Angers, la décision a été prise par le Conseil municipal de conserver les rythmes pour les 58 écoles publiques (et ce, pour les trois prochaines années) en s'appuyant sur le résultat d'une consultation menée auprès des familles (67 % pour), mais sans les votes en conseil d'école, ce qui a suscité l'ire du SNUDI-FO, qui a initié une pétition auprès des professeurs des écoles et dénoncé un questionnaire "orienté" et un faible taux de réponse (35 % des parents angevins ont répondu). Mêmes critiques et pétitions emmenées par le SNUDI FO à Venissieux et Villeurbanne, alors qu'à Lyon, le choix inverse de repasser à 4 jours a suscité les critiques du SE-UNSA et du SGEN-CFDT qui jugent que l'enfant a été "un peu oublié" au profit "d'une guerre d'adultes".

Que les résistantes tentent de "faire école"

Aujourd'hui, comme l'avait déjà suggéré la FCPE à la rentrée dernière - celle-ci encourageait les villes qui restaient à la semaine de 4,5 jours à communiquer sur leurs pratiques et leurs résultats - François Testu invite celles qu'il qualifie d' "espoirs de la refondation" à "s'organiser, à montrer que cela fonctionne et à encourager ceux qui ne sont pas inscrits aux TAP ou NAP à venir". Il faudrait également, selon le chronopsychologue, "avoir les moyens de faire des comparaisons entre celles qui restent à 4,5 jours et celles qui passent à 4 jours, trouver des lieux d'expérimentations à âge égal, pédagogies similaires", sachant que ces études doivent se faire au moins sur la durée d'un cycle. Si son étude en Guadeloupe aura "une suite" et que l'ORTEJ "négocie" des terrains d'expérimentation "dans une ou deux communes proches de Périgueux", le chercheur convient néanmoins que cela devient "très difficile" et que le champ d'observation "se réduit".

Issy-les-Moulineaux a fait une demande au ministre dans le même sens, sans réponse pour l'instant. Ces études pourraient être accueillies positivement car, constate Agnès Le Brun, "aucune ne s'est faite sur l'ensemble d'une cohorte, donc sur une génération entière". Pour elle, rien ne permet donc "d'attester que 4,5 jours, c'est mieux que 4", même si l'OCDE classe les écoles françaises extrêmement mal du point du vue des rythmes.

Le plan mercredi : un effet d'aubaine pour repasser à 4 jours ?

Reste que, face à tout ça, le Plan mercredi suscite des craintes dans les villes qui ont choisi de conserver les rythmes. La FCPE y voit un énième "effet d'annonce pour inciter les communes à abandonner la semaine de 4,5 jours dans la perspective de cette mesure qui annonce des financements" même si la demi-journée du mercredi ou du samedi est abandonnée. L'adjointe à l'éducation de Toulouse a aussi exprimé des craintes auprès de la commission éducation de l'association France urbaine : celles "d'un possible effet d'aubaine" pour les villes qui repassent à 4 jours ou qui l'envisageraient grâce à des financements promis dans ce cadre, en défaveur de celles qui ont maintenu la semaine à 4,5 jours et choisi de financer une offre hors de ce plan.

Agnès Le Brun voit au contraire plutôt d'un bon œil cette mesure. Pour elle, le Plan mercredi "va dans le bon sens, parce qu'il permettra de rendre éligible ce qui se fait de bien hors TAP, sous condition de l'existence d'un PEDT de qualité", et en en finissant avec une réforme qui était "verticale et injonctive". La maire souhaite d'ailleurs candidater pour les activités maintenues à la pause méridienne dans sa ville de Morlaix, qui a choisi de revenir à 4 jours avec un vote de plus de 70 % des familles en ce sens.

Camille Pons

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