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Privé sous contrat : le Conseil d'Etat maintient le statut complexe des heures de délégation (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire le dimanche 30 juillet 2017.

Le contentieux relatif aux heures de délégation syndicale des maîtres de l’enseignement privé se poursuit. Il vient de donner lieu à un nouvel arrêt du Conseil d’Etat, rendu le 19 juillet 2017. On sait que le statut des maîtres de l’enseignement privé sous contrat a, pendant plusieurs décennies, opposé les deux ordres de juridiction. Pour le Conseil d’Etat, Ils étaient des agents publics, liés à l’Etat par un contrat qui les faisait participer à l’exécution même du service public. En revanche, la Chambre sociale de la Cour de cassation plaçait les maîtres contractuels de l’enseignement privé sous un double statut (droit public et droit privé) et aboutissait à leur reconnaître deux employeurs pour les mêmes fonctions avec deux contrats de nature juridique différente.

La loi Censi du 5 janvier 2005 relative à la situation des maîtres des établissements privés sous contrat a définitivement tranché la question en se ralliant à la position du juge administratif. Selon son article 1er, intégré à l’article L. 442-5 du code de l’éducation, « les maîtres liés à l’Etat par contrat … (ont) la qualité d’agent public », même s’ils bénéficient, « nonobstant l’absence de contrat de travail avec l’établissement » d’un certain nombre de dispositions du code du travail. La Cour de cassation a donc dû renoncer à sa jurisprudence traditionnelle affirmant l’existence d’un contrat de travail avec l’établissement. Mais, y restant attachée, la Chambre sociale n’a rendu qu’une partie des armes et maintenu des poches de résistance : la question des heures de délégation syndicale prévues par le code du travail au profit des représentants syndicaux pour l’exercice de leurs fonctions en fait partie.

Ces heures n’existent pas dans l’enseignement public, dans la mesure où il est exclusivement régi par le droit de la Fonction publique. Le Conseil d’Etat exclut donc, au nom de l’égalité de traitement, que l’Etat en assure le paiement. Se calant sur la comparaison avec le public, les juges ont indiqué que les heures imputées sur l’horaire normal de service donnent lieu à des décharges rémunérées par l’Etat. Mais de façon constante, la Chambre sociale déclare que "le paiement des heures de délégation des maîtres des établissements d'enseignement privé sous contrat prises en dehors de leur temps de travail, qui ne se confondent pas avec les décharges d'activités de service accordées au représentant syndical en application de l'article 16 d’un décret du 28 mai 1982, incombe à l'établissement au sein duquel ils exercent les mandats prévus par le code du travail dans l'intérêt de la communauté constituée par l'ensemble du personnel de l'établissement ; que ces heures, effectuées en sus du temps de service, constituent du temps de travail effectif et ouvrent droit au paiement du salaire correspondant, à des majorations pour heures supplémentaires, repos compensateurs et congés payés."

On aboutit ainsi à une distinction entre deux catégories : les heures effectuées pendant le temps de service sont rémunérées par l’Etat sous forme de décharges ; celles effectuées en dehors du temps de service, que ce soit du fait d’une décision de l’établissement ou d’un choix du maître, sont rémunérées par l’établissement. La Cour a admis en 2010 qu’un même agent pouvait bénéficier des deux systèmes au cours d’une même année scolaire.

Malgré toutes les critiques articulées à l’encontre d’un système qu’une magistrate de la Chambre sociale qualifiait elle-même "de particulièrement complexe et dérogatoire", malgré le fait, relevé par plusieurs commentateurs, que cette position ne paraît guère compatible avec la volonté du législateur, qui avait, lors des travaux préparatoires de la loi Censi, expressément affirmé sa volonté de simplification, la Chambre sociale campe inflexiblement sur sa position, alors même qu’en 2013, le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC, a confirmé la constitutionnalité de la loi.

Celle-ci pose de multiples problèmes concrets aux établissements (difficulté d’établir des bulletins de salaires, réticences des URSSAF à percevoir les charges correspondantes…) et plusieurs d’entre eux ont refusé de payer les heures de délégation. Ce contentieux né entre établissements et personnel a généré divers recours qui ont été autant d’occasions offertes à la Chambre sociale pour réaffirmer sa position. Ceci explique qu’un certain nombre d’organismes représentatifs de l’enseignement privé ou de ses personnels, à commencer par le Secrétariat général de l’enseignement catholique, aient fini par se tourner vers l’Etat en lui réclamant la reconnaissance des difficultés auxquelles ils se heurtent et l’émission d’un décret d’application de la loi Censi permettant de faciliter celle de son article 1er.

Le Premier ministre n’ayant pas répondu à cette demande, un recours pour excès de pouvoir a été déposé devant le Conseil d’Etat contre cette décision implicite de rejet de la demande. Ce dernier l’a rejeté. Rappelant les principes posés par la disposition concernée (pas de contrat de travail entre le maître et l’établissement, mais application quand même des dispositions du code du travail concernant les institutions représentatives des personnels et l’exercice du droit syndical), le Conseil estime que l’attribution et la prise en charge des heures de délégation ne sont pas rendues impossibles par l’absence d’un tel décret. Celle-ci, souligne-t-il, "ne fait notamment pas obstacle à la détermination de l’assiette de paiement des heures de délégation et des taux de majoration applicables à ces heures, à la remise d’un bulletin de paie au personnel concerné, au paiement des charges sociales sur les rémunérations versées au titre des heures de délégation ou à l'application du régime des accidents survenus soit à l'occasion de l'exécution d'heures de délégation, soit sur le trajet suivi pour s'y rendre ou en revenir".

Les requérants espéraient sans doute à terme l’abandon du dualisme des modes de rémunération des heures syndicales (décharges accordées par l’Etat et heures supplémentaires payées par l’établissement). Ils ont pour l’instant perdu sur ce point et la coexistence va perdurer.

La décision n° 401570 du mercredi 19 juillet 2017 ici

 

 

 

André Legrand.

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