Aziz Jellab interroge la démocratisation scolaire, au-delà du "rapport passionnel à l’école"
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mercredi 23 novembre 2016.
"La question scolaire apparaît de plus en plus liée et indissociable de la question sociale", estime le sociologue Aziz Jellab dans son ouvrage intitulé "Société française et passions scolaires", paru en octobre. "Or celle-ci, tout en couvrant des enjeux aussi centraux que la mobilité sociale désormais ralentie, l’émancipation intellectuelle et sociale des catégories dominées, tend à s’identifier à la question ethnique", ajoute-t-il.
Comment explique-t-il ce phénomène ? À ses yeux, "l’affaiblissement du mouvement ouvrier et les recompositions de la classe ouvrière laissent place à des tensions dans lesquelles les inégalités de réussite sont lues et perçues comme la conséquence d’une concentration de la difficulté scolaire dans des territoires marginalisés". Et si le système éducatif peine à être réformé, c’est selon lui parce que l’idéologie fait figure de "science" et que les "préférence partisanes font office de vérités canoniques".
Le lycée professionnel, "théâtre d’expériences plurielles"
Pour développer son analyse, l’auteur s’appuie notamment sur des recherches qu’il a conduites, en particulier dans les lycées professionnels. Celles-ci mettent en lumière d’une part le "déclin de la classe ouvrière" associé à cette voie : "si auparavant, les élèves allaient dans l’enseignement professionnel parce qu’ils étaient fils ou filles d’ouvriers, désormais, ils le rejoignent parce qu’ils sont en échec au collège."
D’autre part, ces enquêtes montrent l’importance des interactions pédagogiques avec les enseignants. Ceux-ci construisent des "stratégies adaptatives" pour réconcilier leurs élèves avec l’école. Aziz Jellab souligne le "contexte extrêmement varié" du lycée professionnel, "théâtre d’expériences plurielles", entre réussite d’un grand nombre d’élèves ou échec d’une partie d’entre eux, entre pacification des relations avec les enseignants ou conduites conflictuelles.
Le versant scolaire de difficultés sociales
Pour comprendre le rapport de la société française à l’école, le chercheur propose aussi une approche originale axée sur la justice pénale. Elle montre que les jurés des jurys populaires sont "très réactifs à l’injustice et portent le souci de l’équité, même si le sens de celle-ci, comme celui de la peine et de la réparation juste, varie selon le statut social et les ressources intellectuelles et culturelles dont disposent les individus".
Au final, Aziz Jellab estime qu’on ne peut réformer l’école sans interroger les inégalités sociales préexistantes et "les transformations affectant les sphères économiques et politiques". "L’impression d’une école assiégée par les difficultés des élèves, qui constituent souvent le versant scolaire de difficultés sociales, se renforce de la complexification des attentes politiques à l’égard de cette institution", résume-t-il. Et dans ce cadre, l’une des contradictions majeures du système éducatif français reste "la tension entre logique de formation et logique de sélection".
Société française et passions scolaires, Presses universitaires du Midi, coll. Socio-Logiques, 2016, 410 pages, 19,5 €.
Diane Galbaud