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Le programme "lecture" (soutenu par Agir pour l'Ecole) a des résultats "prometteurs" (étude d'A. Bouguen)

Paru dans Scolaire le mardi 03 novembre 2015.

Les premiers résultats du programme "Lecture" sont "prometteurs", estime Adrien Bouguen (Ecole d'économie de Paris, institut des politiques publiques) qui a procédé à son évaluation. Promu par l'association "Agir pour l'école", il propose une méthode de travail et un accompagnement des enseignants, notamment dans le domaine de la phonologie, pour qu'ils individualisent au maximum les apprentissages en grande section, au CP et au CE1 et qu'ils travaillent en petits groupes. Après l'évaluation prévue en 2012 par le ministère lors de l'extension du dispositif expérimental, d'abord conduit dans l'académie de Grenoble, à celles de Lille, Créteil, Clermont-Ferrand et Versailles et publiée en 2014 (voir ToutEduc ici et le site d'Agir pour l'école ici), celle-ci porte sur les résultats de quelque 3 000 élèves de grande section, comparés à ceux d'un échantillon témoin équivalent.

ToutEduc : Votre évaluation porte sur plusieurs domaines de compétences, le vocabulaire, la connaissance des lettres, la compréhension, la phonologie, la "lecture lexicale" et la lecture "non lexicale" ? Qu'entendez-vous par "lecture non lexicale" ? N'est-ce pas un peu surprenant comme item, s'agissant d'enfants de maternelle ?

Adrien Bouguen : Effectivement, les enfants ne sont pas supposés savoir lire en fin de grande section, mais ils peuvent reconnaître des lettres, identifier des sons, et ils sont capables de fusionner deux sons, par exemple un N et A, pour faire NA. Dès lors, ils peuvent lire un "pseudo-mot" comme MENA... Le programme démarre au mois de janvier, quand, au moins dans les anciens programmes, il était prévu qu'ils se préparent à la lecture. Les résultats sont prometteurs pour les acquis en maitrise phonologique en grande section. Cela ne présume en rien de l’effet de ce programme en CP mais nous pouvons être optimistes: de nombreuses études internationales établissent un lien direct entre la maitrise phonologique et les compétence de lecture. Je suis sûr d'une chose, un enfant qui, à la fin de son année de grande section, n'identifie pas les sons, ou est incapable de reproduire un son qu'il a entendu, aura de très grandes difficultés pour apprendre à lire au CP.

ToutEduc : Vous écrivez qu'en "lecture non lexicale", les élèves qui ont bénéficié de ce programme ont progressé de 10 points de plus que les élèves du groupe témoin. En revanche, ils n'ont progressé que de 4 points en phonologie, alors que "Lecture" met l'accent sur la phonologie, du moins en grande section. N'est-ce pas paradoxal ? 

Adrien Bouguen : Je voudrais d'abord rectifier, 4 points, c'est déjà un résultat important. Et même dans les autres domaines que nous avons évalués, la reconnaissance des lettres, la compréhension, la lecture, où ils progressent d'un peu plus de 2 points, c'est tout à fait significatif. Il n'y a qu'en vocabulaire que nous ne constatons pas de différence dans la progression des deux populations d'élèves. Mais c'est vrai que nous avons été surpris par ces résultats. Je pense qu'en réalité, les deux effets ne peuvent se distinguer statistiquement, la phonologie permet la reconnaissance de pseudo-mots et réciproquement.

ToutEduc : Les élèves de chaque classe sont répartis en 4 groupes. Selon les graphiques que vous publiez, ce sont les "moyens forts" qui ont la plus forte progression, 14 points en lecture non lexicale. Or le programme est destiné à prévenir l'échec des plus faibles...

Adrien Bouguen : Les plus faibles progressent quand même de 9 points en lecture non lexicale ! C'est tout à fait remarquable. Qu'ils progressent de plus de 5 points en phonologie et de trois points en reconnaissance des lettres, est également très important. De plus, les élèves les plus en difficulté progressent plus vite que les meilleurs dans les domaines de base, c’est-à-dire en phonologie et en reconnaissance des lettres alors que les plus forts initialement progressent plus vite en lecture non lexicale. Cela semble indiquer que, grâce à la méthode, le contenu de l’éducation a été ajusté au plus près des besoins des élèves. Qu'ils progressent de plus de 5 points en phonologie et de trois points en reconnaissance des lettres, est déjà très important.

ToutEduc : On sait qu'en éducation, les expériences réussissent toujours, car elles sont portées par des enseignants formés et "qui y croient". Le programme "lecture" repose sur la formation des enseignants et leur accompagnement. Comment pouvez-vous isoler cet effet ?

Adrien Bouguen : La littérature en économie de l’éducation indique au contraire que peu d’études, utilisant des méthodes rigoureuses et conduites dans des conditions proches de la réalité de terrain, parviennent à démontrer des impacts significatifs, malheureusement. Cela concerne la France mais également l’ensemble des pays développés, les Etats-Unis notamment. Cela témoigne de la difficulté de modifier les pratiques et de faire progresser les élèves.

En ce qui concerne votre second point, vous avez raison de signaler que les données ne nous permettent pas d’isoler rigoureusement l’effet de la méthode de l’effet de la formation des enseignants. Il est en effet possible que la même intensité de formation des enseignants (même nombres d’heures, même suivi en classe…) en employant une autre méthode pédagogique puisse avoir des effets similaires. J’invite d’ailleurs les autres approches pédagogiques à entrer dans un dispositif d’évaluation rigoureux de ce type.

Cela étant dit, les résultats suggèrent que la formation des enseignants n’est pas le seul mécanisme. Si les effets étaient uniquement dus à la mobilisation des enseignants, ils devraient être à peu près les mêmes dans tous les domaines (du vocabulaire à la lecture). Or ils sont très nettement différenciés avec des effets forts trouvés sur les compétences ciblées par la pédagogique employée.

ToutEduc : Mais la méthode, n'est-ce pas justement la mobilisation des enseignants, avec des visites dans les classes, un accompagnement, ce qui a un coût d'ailleurs ...

Adrien Bouguen : Vous avez raison d’insister sur l’importance de la formation. L’un des enseignements essentiels de cette étude est de reconnaître qu’une formation, intensive, de qualité, avec un suivi en classe, peut avoir de bons résultats sur les élèves. Quant au coût, nous l'évaluons à 200 € par élève et par an pour une augmentation des compétences de 15,3 % d'un écart-type. Si les résultats en fin de CP et de CE1 confirment ce résultat, c'est indéniablement une piste intéressante, et un rapport coût-bénéfice bien inférieur à celui d'autres politiques éducatives comme la réduction de la taille des classes.

La note est accessible sur le site de l'IPP, ici, l'article scientifique lui-même est en anglais

 

 

Propos recueillis par P. Bouchard, relus et complétés par A. Bouguen

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