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 Nouvel article mis en ligne 

» La "grande douleur" d'Alain Bouvier, en attendant que l'Ecole se transforme (ouvrage)

Paru dans Scolaire le mercredi 15 décembre 2021.

Dans son dernier livre, "Sur l'école à la française, Propos d'un mocking bird" (oiseau moqueur), Alain Bouvier, ancien recteur et professeur émérite de l'université de Poitiers, pousse un cri de colère. Tenant une chronique durant le confinement dû à la Covid-19, il narre et s'insurge contre l'école à "l'ancienne", contre, écrit-il, "le système éducatif français, ses nombreuses composantes, ses multiples groupes d'acteurs et ses réseaux". Entretien...

ToutEduc : Dans votre dernier livre, vous faites un constat doux-amer de l’École, "à la française" comme vous l'écrivez. On sent, chapitre après chapitre, ce malaise qui s'en empare, de toutes parts. Comment l'expliquez-vous ?

Alain Bouvier : Je ne l’explique pas, je le contacte. Je le constate avec une grande douleur, parce que je sais ce que je dois à l’école, à l’École républicaine, et j’aimerais que chaque enfant puisse en dire autant. Et plus j’avance, d'abord dans ma vie, dans ces derniers mois plus particulièrement, plus je suis à même de constater qu’on est très éloigné des beaux discours. Il y a de très beaux discours, par ailleurs, depuis longtemps, mais ce que l'on peut observer avec lucidité, avec courage, est très éloigné de ces discours.

ToutEduc : Vous semblez presque amer...

Alain Bouvier : Non, je suis lucide.

ToutEduc : Pour parler de ce malaise de l’École, vous avez choisi la moquerie (l'ironie ?), un tantinet pince-sans-rire. Pour quelle raison ?

Alain Bouvier : Oui, il y a de tout cela, effectivement. Les bureaucraties, qu’elles soient syndicales ou autres, ne supportent pas ce registre. Pour atteindre ma cible, si je puis dire, l’ironie, plus que l’humour d’ailleurs, est une arme redoutable parce qu’elle renvoie, d’une certaine façon, souvent au ridicule.

ToutEduc : Ainsi, vous n'épargnez personne (syndicats, professeurs, entre autres...). Sont-ils, sont-elles, tous, toutes complices de ce malaise, ou de ce « péril de l'école française », comme vous dites ?

Alain Bouvier : Effectivement, car personne ne mérite d'être épargné. Objectivement, comme diraient les marxistes. Objectivement, oui, nous sommes tous complices. Là encore, c’est un constat, je me suis vraiment forcé à passer d'un constat à l'autre et ce sont des constats étayés, vérifiables. Je ne me suis pas appuyé sur des rumeurs, ce n'est pas mon registre. Pendant toute la période de ma chronique, je recevais de multiples messages, de toutes sortes. Les gens étaient d’accord ou pas, mais jamais personne n'avait douté de ce que j'avançais. Cela pouvait déranger, bien entendu.

ToutEduc : Pour reprendre votre expression, vous souhaitez éviter "les routes idéologiques". C'est-à-dire ?

Alain Bouvier : Il y a des discours convenus, qui tiennent à des courants de pensées philosophiques, religieux... Le système fonctionne ainsi. Moi-même, j'ai eu des engagements particuliers, syndicaux, entre autres. Je connais le milieu, de l'intérieur. Je suis passé des syndicats que je considérais totalitaires à d'autres où l'on pouvait au moins s'exprimer. Je suis passé du SNESUP au SGEN. Tous ces milieux, je les ai fréquentés. J'avais ma place et si j'étais, un moment, élu, ce n'était pas pour rien. Si vous voulez, je n'ai plus envie de m'inscrire dans ces débats. Je le laisse aux autres. Je ne dis pas que ces débats n'ont pas d'intérêts, non. Je ne porte aucun jugement de valeur. Mais, aujourd'hui, je pense qu'il y a d'autres débats nécessaires; il faut changer les choses. Les débats, de nos jours, sont des débats idéologiques qui sont là pour maintenir les choses à l'identique. Ce sont, à peu près, les mêmes depuis l'après Guerre.

ToutEduc : Vous étiez recteur, fonctionnaire, ce livre ne vous épargne pas, non plus.

Alain Bouvier : Non. Je le répète, personne ne le mérite. Après avoir été recteur, j'étais membre du Haut Conseil de l'éducation, en charge de l'évaluation de la politique publique, membre de la commission parlementaire, pendant cinq ans. J'ai eu, pendant une douzaine d'années, des responsabilités qui m'ont fait découvrir des choses que je ne soupçonnais pas. A la fin, je me suis dit qu'heureusement je ne savais pas tout cela quand j'étais recteur. Il y avait, pour ainsi dire, une grande naïveté, une fraîcheur, si j'ose dire.

ToutEduc : Être recteur est un acte politique...

Alain Bouvier : Cela dépend. J'ai été nommé par un gouvernement. D'autres m'ont gardé, un certain temps. J'avais compris ce que c'était qu'être haut fonctionnaire de l’État. Et le jour où l'on considère qu'on lui demande quelque chose d'inacceptable, il demande sa démission. Personnellement, je ne me suis pas trouvé dans cette situation. Ce qui m'était demandé de faire ne violait pas mes valeurs. Dans l'histoire de l’École, il y a des recteurs qui avaient démissionné. En somme, j'assume tout ce que j'ai fait. Je n'ai pas fait des choses contraintes et forcées. Sinon, je n'aurais pas hésité une seconde.

ToutEduc : Par ailleurs, revenons à votre livre, l'avenir serait-ce une École hybride, ou avez-vous d'autres solutions, à prodiguer ?

Alain Bouvier : Que l'avenir de l’École soit hybride, cela reste une quasi-certitude. Après, une fois que cela est dit, on n'a rien dit. Rien que pendant le confinement, il y a eu trois ou quatre formes de l’École hybride, mises en place. Il n'y a pas qu'un seul modèle. L’École, désormais, doit savoir croiser, le mieux possible, les différentes modalités d'actions proposées aux élèves, avec un nombre croissant de parties prenantes, d'alliances, d'accompagnement aux élèves, aux adultes. Et pour les adultes, il faudrait cet accompagnement entre eux. Du fait, nous sommes entrés dans une École hybride même si, pour beaucoup, cette situation est niée. On semble ne pas voir la réalité, de face. L’École française est entrée dans une phase nouvelle, dans un système hybride qui aura, en se développant, un temps d'adaptation. Cela prendra, sans doute, du temps. Je ne peux prédire l'avenir. Mais elle sera de plus en plus hybride. En espérant qu'entre temps, les GAFAM n'auront pas complètement pris la main sur tous les systèmes scolaires.

ToutEduc : Vous pourriez développer ?

Alain Bouvier : Quand les ministres de l’Éducation nationale se réunissent au niveau international et qu'ils rencontrent les GAFAM dont le pouvoir financier est supérieur à celui des États, que disent-ils ? Les GAFAM déclarent : "Si vous avez des problèmes avec votre système éducatif, nous, nous avons la solution. Nous sommes là pour tout prendre en main." On en est là.

ToutEduc : L’École hybride deviendra-t-elle un concept ?

Alain Bouvier : Oui, et c'est là où nous aurions besoin de chercheurs pour s'en emparer car nous sommes dans ce que j’appellerai un pseudo-concept. Il va falloir le travailler, ce concept, lui donner de l'importance. Bien sûr, pour l'instant, c'est un mot-valise.

ToutEduc : Avec tout ce que vous dites, aurions-nous les moyens de ne laisser aucun élève au bord de l’École, si l'on peut dire ?

Alain Bouvier : Dans ma grande illusion, je dirai oui, ce que je souhaite, bien entendu. A condition qu'on en fasse une priorité des priorités. Les moyens sont dans les cerveaux. Si vous voulez, l'habitude syndicale consiste à dire que c'est juste une question de moyens, sous entendu qu'il faut donner des moyens pour que tout fonctionne au mieux. Mais cela n'a jamais été démontré. En réalité, jamais le fait de donner des moyens n'a changé ce qu'il se passe dans la tête des gens. Ce n'est pas parce qu'on donne des moyens à un système, comme l’Éducation nationale, que les choses s'amélioreront. L’Éducation nationale est, quand même, le premier budget de la cinquième puissance financière mondiale. C'est deux fois l'impôt sur le revenu, ce que l'on donne à l’École actuellement. On peut dire que c'est beaucoup, pour peu de résultats, si j'ose dire. Comment, avec tant de moyens, sommes-nous au vingt-cinquième rang mondial ? C'est ubuesque. Si vous voulez, il faut qu'il y ait une volonté commune partagée. Jusqu'aux années 90, un discours circulait dans le milieu pédagogique français et disait que nous avions la meilleure École au monde, tous les pays nous regardaient avec admiration. Puis, progressivement, sont sorties les différentes enquêtes internationales et personne ne dit, aujourd'hui, que nous sommes contents. Plus inquiétant encore, depuis vingt-cinq ans, cela évolue dans le mauvais sens. Moi, qui suis un amoureux de l’École, je ne peux plus supporter cela.

ToutEduc : Vous avez rédigé cette chronique pendant le confinement. Que pensez-vous de la manière dont le ministre, Jean-Michel Blanquer, a géré la crise sanitaire qui n'est, du reste, pas terminée ?

Alain Bouvier : D'abord, pour moi, c'était une surprise, car je pensais qu'il avait, de par sa fonction, anticipé les choses. N'a-t-il pas des informations méconnues du grand public ? Il a une grande quantité d'informations. Mais, j'ai réalisé qu'il n'y avait aucune préparation. Je croyais également que l'on pouvait apprendre des erreurs. Le système scolaire a connu vingt-cinq périodes différentes pendant le confinement. Les enseignants, eux, malheureusement, ne se souviennent que des deux dernières périodes. Mais, si vous vous référez à mon livre, il y a bien eu vingt-cinq périodes. Aucune n'a été préparée. Le Ministre aurait pu impulser les choses, mais il ne l'a pas fait. Le corps enseignant, lui, formé à Bac + 5, aurait pu prendre des initiatives. Mais, non. Il n'y avait aucun retour d'expérience. C'est un milieu professionnel qui ne pratique pas le retour de l'expérience. Et je suis très content que le monde de la santé ne fonctionne pas de cette façon.

"Sur l'école à la française, Propos d'un mocking bird", Alain Bouvier, Préface de Claude Bisson-Vaivre, Postface de Jean-Marie De Ketele, L'Harmattan, 320 pages, 33€

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