La maternelle peut-elle être "une école à part" et "une école à part entière" ? (Les Cahiers pédagogiques)
Paru dans Petite enfance, Scolaire le vendredi 24 février 2023.
L'école maternelle est-elle "trop ou pas assez scolaire" ? La question n'est pas tranchée, constate Christophe Joigneaux (U. Paris Est Créteil) dont la contribution conclut le dossier du dernier numéro des Cahiers pédagogiques, qui se demandent "où va l'école maternelle". Le chercheur rappelle que dans tous les textes, depuis les années 80, il est prévu que celle-ci "initie la construction progressive d'une posture d'élève", mais aussi qu'elle répond "à ses besoins notamment de jeu, de mouvements, de repos et de découverte". De fait, "la pédagogie de la découverte a progressivement laissé place à des préconisations d'une intervention plus directe et systématique des enseignants". Il faudrait "mettre en oeuvre un véritable enseignement", mais sans qu'il soit "trop scolaire" !
A cette aporie s'ajoute un constat, l'école maternelle française reste "une de celles qui produisent les plus grands écarts de réussite entre élèves selon leur origine sociale", comme le notent Maëlis Rousseau (PE) et Jacques Crinon (U. Paris Est Créteil). N'est-ce pas qu'on attend, dès le jour de la rentrée, non pas un enfant, mais un élève, souligne Ghislain Leroy (Rennes 2) ? "Si l'enseignant ajuste sa pratique aux enfants qui sont déjà élèves, et non à ceux qui ne le sont pas, il oeuvre à l'accentuation des inégalités initiales." Et il évoque des situations de violences éducatives, "cris de la maîtrise, humiliations devant tout le monde de certains élèves, et même violences physiques". Pour lui, la prise en charge des enfants "doit être indissociablement scolaire et éducative, dans une approche globale de l'enfant".
Mais les textes officiels vont-ils dans ce sens ? Mireille Brigaudiot (sc. du langage) constate que "nombre de textes émanant du ministère ont donné et donnent toujours des conceptions de l'évaluation équivoques, voire contradictoires avec l'esprit du programme". Elle vise en particulier les "propositions d'observables d'indicateurs de progrès", un document de 52 pages pour quelque 300 items dont elle déplore le caractère technocratique et les "énormes contradictions qu'on y trouve". Christine Passerieux (ancienne enseignante de maternelle, militante pédagogique) décrit pour sa part très précisément en quoi l'école maternelle est une école. "Pour nombre d'enfants, tout est à apprendre à l'école : la relation à l'enseignant ou l'enseignante, à de nouveaux adultes et aux pairs, le rapport au temps contraint, à l'espace (...). A l'école, il ne suffit pas de faire, mais d'apprendre à mettre à distance son action pour être en mesure de la dire, mais aussi de la penser (...). Devenir élève, c'est identifier les enjeux cognitifs de telle tâche ou telle situation."
A noter que ce dossier est particulièrement fourni en propositions d'activités en classe et de données sur des enseignements spécifiques, comme l'accès à la numération.
"Où va l'école maternelle ?", Cahiers pédagogiques n° 583, 12€