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Alain Bouvier : que sera l'école demain ?

Paru dans Scolaire le mercredi 08 avril 2020.

"Et si la classe, évident lieu de socialisation, était aussi un obstacle aux apprentissages individuels ?" demande le recteur Alain Bouvier dans un texte qu'il a adressé à divers médias, dont ToutEduc. Professeur associé à l’université de Sherbrooke, il s'interroge sur les enseignements qui pourront être tirés de cette crise : "La question semble se poser en termes d’alternative entre le simple retour au statu quo auquel beaucoup croient (comme si cela était possible) et un changement radical, complet et profond, non réalisable en quelques semaines. En fait, ce ne sera ni l’un ni l’autre. La réponse est plus nuancée ; la dynamique de changement qui est lancée autour de l’accompagnement des élèves, des enseignants et des parents va se poursuivre pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois", estime-t-il.

Certains acquis sont déjà là : "De façon paradoxale, on peut dire que le travail à distance a rapproché les élèves et les parents des professeurs, CPE et surveillants (...). Cette situation oblige les uns et les autres à mieux se comprendre. Elle a aussi rapproché quelques professeurs entre eux, puisque l’enseignement à distance nécessite un minimum de coordination. Elle a contribué à d’autres rapprochements ; par exemple, les ENT et leurs problèmes ont contraint l’État et les collectivités locales à plus de concertation." Les enseignants n’avaient jamais eu d’occasion aussi massive de voir leurs élèves travailler individuellement. "Ils peuvent ainsi discerner l’origine de leurs difficultés masquées par la classe et constater la grande diversité qui existe entre eux." Et, ajoute l'ancien recteur, "l’institution-École s’est rapprochée du terrain, elle est moins éloignée de la société et plus territorialisée. Elle progresse dans ses savoir-faire collectifs. Enfin, les parents comprennent mieux ce qu’est l’école formelle et surtout ce que sont les rôles, très peu articulés jusque-là, des uns et des autres."

Il donne l'exemple des ENT qui ont "soudainement connu une augmentation de 400 % de leur utilisation". Les outils numériques ont montré qu'ils étaient "riches de possibilités" et il est convaincu que, "s’il était en activité, Célestin Freinet se serait emparé d’eux". D'ailleurs, sur You Tube, "des enseignants sont devenus des stars, régulièrement suivies par plusieurs centaines de milliers d’élèves" tandis que "le triomphe mondial de l’école inversée, en particulier de la Khan academy (...) devrait nous faire réfléchir" et faire évoluer la figure de l'enseignant. "On observe sur le terrain un grand déploiement d’innovations et des trésors d’intelligence qui viennent des enseignants, des élèves, d’associations, d’entreprises privées, faisant d’habiles appels à des aspects ludiques. De petits groupes d’élèves auto-constitués sur WhatsApp ou d’autres applications dont ils raffolent, font preuve de solidarité et des professeurs pratiquent avec altruisme de modestes formes de travail collaboratif."

Il donne aussi l'exemple du baccalauréat, dont les parents avaient déjà compris que Parcoursup en avait fait un "certificat d’études secondaires.", "paradoxalement nécessaire et très peu utile". Et, de toute façon, il sera impossible "de revenir à quelque chose d’uniforme", car "si elles sont reconduites à l’identique, l’hétérogénéité des classes va augmenter considérablement".

Alain Bouvier ne semble pas considérer comme très utiles les initiatives du ministre qui mulitiplie les dispositifs : "Nation apprenante", "vacances apprenantes", "ministère apprenant", "vacances studieuses" et "colonies de vacances éducatives", lesquelles "visent surtout à parler aux parents" et dont il "doute que l’effet obtenu soit facilement mesurable".

Quant aux enseignants, leur implication "est très inégale", certains contactent leurs élèves, d'autres se targuent "de donner en une seule fois du travail comme avant le confinement". Le taux des élèves "perdus de vue", moins de 10 % en moyenne nationale selon le ministre, "dépasserait 30%" dans certains collèges et LEP, "alors que dans d’autres aucun n’est perdu de vue". L'auteur est scandalisé de constater que "les syndicats enseignants ont obtenu du ministre qu’il préserve leurs vacances". Il commente : "Le corporatisme écrase l’éthique !" Certains syndicats ont affirmé "que le soutien scolaire ne (pouvait) pas se faire à distance", "propos irresponsable" qui "ouvre encore plus les portes aux officines privées qui s’en repaissent".

Résultat, les "journaux publient des remerciements adressés à une dizaine de professions dont les pompiers, les éboueurs, les boulangers, les chauffeurs routiers… ; jamais aux enseignants". Cette crise est bien "un exceptionnel révélateur de questions taboues" et l'auteur des "Propos iconoclastes sur le système éducatif français" dénonce dans cette tribune les "statuquologues", notamment le SNES et la FCPE, tous ceux qui plaident pour le statu quo, alors que, "depuis plus d’un siècle, les pédagogies alternatives, et l’école inversée aujourd’hui, tentent de s’en affranchir".

Le texte intégral ici

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