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Baccalauréat professionnel : la polémique sur le sujet de français est-elle justifiée ?

Paru dans Scolaire le jeudi 23 juin 2022.

"Selon vous, le jeu est-il toujours ludique ?" Le sujet proposé aux élèves pour l'évaluation des compétences d’écriture, valant pour la moitié de la note de l'épreuve de français, fait polémique sur les réseaux sociaux, polémique reprise par 20 minutes, le Figaro, l'Etudiant, le Midi libre, Riposte laïque... On y dénonce la baisse du niveau, les élèves ne connaissaient pas le sens de l'adjectif ludique et, pour ceux qui le connaissaient, ils ont été troublés par la forme tautologique du sujet, mais en filigrane, le travail des enseignants qui n'auraient pas appris aux élèves un minimum de vocabulaire y est mis en cause. C'est du moins ainsi que nombre d'entre eux ont ressenti ces attaques. A l'inverse, sur son blog, Eveline Charmeux met en cause l'inspection et l'auteur du sujet, qui "piège" les élèves avec une difficulté de vocabulaire qui n'apporte rien au problème posé.

L'épreuve, de trois heures, comporte deux parties, qui avaient toutes deux pour sujet "le jeu", sachant que le thème du programme de français était, pour cette année et l'année prochaine "le jeu, futilité, nécessité".

La première partie comportait un extrait du roman de Leïla Slimani, "Chanson douce", dans lequel on voit la nounou jouer avec des enfants de manière quelque peu inquiétante, une reproduction d'un tableau du xixème siècle, "La Place de jeu" (Jacques-Laurent Agasse) et un court extrait de "Jeu et réalité" de D. W. Winnicott, dans lequel le pédiatre et psychanalyste montre que le jeu peut avoir "quelque chose d’effrayant". Les candidats devaient répondre à plusieurs questions montrant qu'ils avaient compris ces textes et qu'ils pouvaient tirer des informations d'un document iconographique.

Ils devaient donc ensuite répondre "dans un développement argumenté" à la question sur le caractère "ludique" du jeu, un mot que beaucoup de candidats ont semblé ne pas comprendre. Selon les témoignages recueillis par ToutEduc, les enseignants chargés de la surveillance de l'épreuve sont gênés. Quelques uns sortent des salles et dans le couloir, se posent la question : "Qu'allons-nous faire ? Allons-nous leur expliquer le mot ?" Jacques*, enseignant d'anglais est d'accord. Fabienne, professeur de français est réticente. Kamel, enseignant de mathématiques refuse. On se regarde, l'air désolé. Après quelques minutes de concertation, chacun rejoint sa salle de surveillance...

Les enseignants d'autres lycées que ToutEduc a sollicités, racontent la même scène. Mais, pour Sarah, enseignante d'Espagnole, "il n'était pas question de sanctionner les élèves, juste pour un mot". Et, Catherine, sa collègue, de renchérir : " Comme Sarah, j'ai senti le besoin de donner un synonyme, amusant. Dans notre lycée, nous avons un nombre important d'élèves allophones qui malheureusement, en plus des années de la Covid, n'ont pas eu droit à un enseignement égalitaire et juste, à cause des cours de FLE (français langue étrangère, ndlr) qui ont été courts, très courts et, parfois, inexistants... "

Ce que reconnaît Fabienne, IEN, chargée de l'enseignement professionnel, qui dit :  "Pour ces jeunes qui ne maîtrisent pas la langue française, il est évident qu'il faut aménager des parcours pour leur permettre d'acquérir la langue qui, là encore, est une clé des réussites." En outre, elle déplore cette polémique qui tend à remettre en cause les compétences des enseignants : "J'ai assisté très souvent à des cours de français. Le mot ludique y avait toute sa place dans les explications de textes ou d’œuvres inscrites au programme. Est-ce, encore une fois, une attaque de plus contre le lycée professionnel ? Par ailleurs, j’aurais aimé que l'inspection générale publie un communiqué pour s'expliquer et pouvoir passer à autre chose. Entre nous, le sujet de géographie, je ne dirais pas qu'il était difficile, mais il mobilisait les compétences de lecture/compréhension des élèves car les supports étaient, par rapport à l'ancienne épreuve, plus longs. En ce qui concerne l'épreuve de français, je le répète, je ne comprends pas cette polémique."

Mais la plupart des 90 correcteurs, venus corriger 3420 copies, le matin du 22 juin, dans un lycée du centre de la France, l'ont en tête. Certains se demandent si la réunion d'harmonisation de la veille n'a pas penché de façon excessive dans le sens de la bienveillance envers des candidats qui n'ont pas compris le mot ludique. Ce n'est pas le cas. Sur la feuille distribuée avec le corrigé, on peut lire : "Le candidat doit montrer qu'il a compris le sens du mot ludique, qui doit être maîtrisé au regard du thème annuel. Si le hors sujet est évident, la rédaction doit être sanctionnée."

C'est évident pour Alain, de la commission d'harmonisation. "Nous, dit-il, quand nous avons traité l'objet d'étude du programme limitatif 'le jeu : futilité, utilité', nous avons expliqué que le jeu peut être amusant, contraignant aussi, avec un enjeu, bien sûr. Nous avons travaillé sur le vocabulaire, dès la première séquence. La difficulté, en revanche, peut venir de certaines sections ou des élèves allophones... Mais d'une part, ce souci avec le vocabulaire n'est pas nouveau et je pense que c'est un phénomène à la marge. Je pense aussi que nous avons tout simplement une image négative du lycée professionnel, j'allais dire des élèves du lycée pro pour lesquels il faudrait faire du français basique. Non. Nous faisons du français. Nous faisons lire à nos élèves Camus, Sartre et d'autres auteurs mondialement connus." Sylvie, enseignante de Lettres Histoire, confirme : "Nous avons toujours traité des thèmes compliqués, certains semblent tout ignorer de ce qui est attendu d'un élève du lycée professionnel. Cette pseudo polémique, nous la laissons à d'autres."

Et finalement, les notes oscillent entre 10 et 12, en moyenne. Alain commente : "Ce n'est guère pire que les années précédentes. Les collègues disent que le sujet est plutôt facile..."

* Les prénoms ont été modifiés

Propos recueillis par Rabah Aït-Oufella

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