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Contrôle des établissements hors-contrat : la jurisprudence évolue (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire le vendredi 24 mars 2023.

Le contentieux continue sur les questions d’instruction dans les établissements privés hors contrat. A la suite d’une première inspection en janvier 2020, la rectrice de l’académie de Grenoble a adressé une mise en demeure aux responsables de l’association "l’Ecole en couleurs" visant à faire respecter le droit à l’éducation, les normes minimales de connaissance et les règles du code de l’éducation dans une école de l’association située à Brangues, dans le département de l’Isère. Après un second contrôle effectué un an plus tard, qui révélait la persistance des carences et concluait à l’absence de conformité de l’enseignement dispensé aux règles posées par le code de l’éducation, la rectrice a saisi le procureur de la République et la DASEN de ce département a mis en demeure les parents des élèves inscrits dans cette école d’inscrire leurs enfants dans un autre établissement scolaire. La demande de référé-suspension déposée par l’association contre ces décisions a été rejetée par le juge des référés du TA de Grenoble et l’association s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat contre cette décision de rejet.

Le texte de l’article L. 442-2 du code de l’éducation applicable à l’espèce était la version antérieure à l’intervention de la loi sur le respect des principes de la République du 24 août 2021. Sous l’empire d’une version antérieure, un arrêt de la CAA de Bordeaux du 18 novembre 2014 avait considéré que le recours pour excès de pouvoir était irrecevable contre une lettre du recteur de Bordeaux annonçant à la directrice de l’établissement son intention de demander au DASEN de la Gironde de mettre en demeure les parents d'élèves d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement. Dans la présente espèce, le juge des référés de Grenoble avait lui aussi déclaré irrecevable le recours contre la première mise en demeure adressée par la rectrice en juin 2020.

Mais une lecture attentive de l’arrêt de Bordeaux et de l’ordonnance de Grenoble fait clairement ressortir les différences entre les deux situations. A Bordeaux, en 2010, le recteur s’était contenté d’informer la directrice du collège incriminé de son intention de demander au DASEN d’adresser la mise en demeure. "Cette lettre d'information ne constitue pas cette mise en demeure (exigée par les textes) et ne présente donc pas le caractère d'une décision faisant, par elle-même, grief à l'association requérante (et) ne pouvait, par suite, être déférée au tribunal administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir". En revanche, dans le cas de Grenoble, il y avait eu mise en demeure effective adressée aux gestionnaires de l’établissement et imposition faite à ce dernier d’une obligation de mettre en œuvre des solutions pour remédier aux manquements constatés lors du contrôle. La mise en demeure ne se contentait pas de demander des explications ; elle exigeait des actions concrètes. De ce fait, le contenu de la lettre du recteur, les exigences qu’elle posait en faisaient, contrairement à ce qu’a jugé le juge des référés du TA de Grenoble, un acte faisant grief et susceptible de recours. Le juge de Grenoble avait donc, constate le Conseil d’Etat, donné une qualification juridique erronée aux faits de l’espèce.

Le même juge a commis une seconde erreur à propos de la mise en demeure du 17 mai 2021. Il a considéré à tort que le fait pour l’autorité académique d’aviser le procureur de la République de l’existence de faits susceptibles de constituer des infractions pénales la mettait en situation de compétence liée et l’obligeait à adresser aux parents d’élèves une mise en demeure de scolariser leurs enfants dans un autre établissement et il en avait déduit que les moyens invoqués devant lui à l’encontre de cette décision n’étaient pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la mise en demeure. Or l’administration conserve, en tout état de cause, un pouvoir d’appréciation "sur les suites apportées à la mise en demeure et l’étendue des manquements subsistant". Le Conseil annule donc l’ordonnance du juge des référés, dans la mesure où elle a, d’un côté, refusé d’examiner le recours contre la première mise en demeure et, de l’autre, rejeté le recours dirigé contre la seconde sur des motifs de droit erronés.

Décidant d’évoquer l’affaire, le Conseil d’Etat rejette au fond le recours de l’association. S’agissant de la première mise en demeure, celle de 2020, il constate que, malgré le fait que l’association n’avait pas notifié, en temps et en heure, l’identité de la nouvelle directrice de l’établissement, elle avait été régulièrement adressée au président de l’association, avec mention des voies et délais de recours, en juin 2021 et que les conclusions du recours à fin d’annulation n’ont été enregistrées par le TA de Grenoble qu’en juillet 2021. Tardive, la requête est donc rejetée.

S’agissant de la seconde mise en demeure, celle de 2021, les arguments de l’association sur l’insuffisance de sa motivation, son caractère irrégulier, faute de l’absence de mention du délai imparti aux parents pour réagir et du fait que l’administration n’aurait pas caractérisé un refus intentionnel du directeur de l’établissement de respecter la mise en demeure de 2020, "ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées".

La demande de suspension de l’exécution de l’ensemble des mises en demeure est donc rejetée.

 

André Legrand

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