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Instruction en famille : le Conseil d'Etat valide les décrets de 2022 (une analyse d'André Legrand)

Paru dans Scolaire le mardi 27 décembre 2022.

Dans le cadre de l’abondant contentieux engagé au cours de l’été 2022 à propos des nouvelles règles concernant l’Instruction dans la famille, le Conseil d’Etat a été saisi de 8 recours individuels ou collectifs demandant l’annulation des décrets n° 2022-182 et 183 du 15 février 2022 et 2022-849 du 2 juin 2022. Il y a répondu par un arrêt du 13 décembre 2022, bien éclairé par les conclusions du rapporteur public Jean-François de Montgolfier, parues sur ArianeWeb.

Un requérant individuel, rejoint par les associations "Liberté éducation" et "les enfants d’abord", puis par six autres requérants, contestait te décret 2022-182 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille et en demandait l’annulation. Le Conseil d’Etat rejette les recours, en tant qu’ils contestent le principe même régissant désormais l’instruction dans la famille. La loi du 4 août 2021 confortant les principes de la République a en effet transformé le système de déclaration préalable qui s’appliquait depuis les débuts de la III° République en régime d’autorisation préalable et les requérants voyaient dans ce changement une double irrégularité. Le Conseil d’Etat estime que le régime d’autorisation préalable ne méconnaît par lui-même ni le droit à l’instruction, ni le droit des parents à l’instruction de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

Les requérants invoquaient aussi l’article 53 de la convention européenne des droits de l’Homme qui, sous le titre "Sauvegarde des droits reconnu", prévoit qu’aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie. Ils prétendaient y lire une interdiction pour les Etats signataires de diminuer le niveau d’une liberté déjà consacrée. Le Conseil d’Ett leur répond que la disposition en cause n’a ni pour objet ni pour effet d’obliger les Etats à maintenir un niveau de protection des droits et libertés, résultant d’une législation existante qui serait plus élevé que celui requis par la convention. Comme l’indique le rapporteur public, elle "vise seulement à préserver le droit (et non l’obligation) pour les Etats de conserver un niveau de protection des libertés plus élevé que celui requis par les stipulations de la convention".

Les requérants contestaient ensuite les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille prévues par le décret n° 2022-182, et leur recours couvrait une dizaine de dispositions codifiées allant de l’article R. 131-1 à l’article R. 131-1-9. Le Conseil d’Etat rejette la totalité de leurs arguments validant ainsi la totalité du décret concerné.

Il valide d’abord le calendrier des demandes, fixé par l’article R. 131-11, qui permet aux parents concernés de recevoir une réponse avant la rentrée scolaire, sans interdire la possibilité d’une demande d’autorisation en dehors de la période fixée pour des motifs liés à la santé de l’enfant, à sa situation de handicap ou à son éloignement géographique ou en cas de menace pour l’intégrité physique ou morale d’un enfant scolarisé. Il en va de même de l’obligation de justifier du domicile ou des identités des personnes concernées (article R. 131-11-1), les personnes sans domicile stable ayant toujours la possibilité d’élire domicile auprès des centres locaux d’action sociale. Ou des exigences de certification lorsque la demande est motivée par l’état de santé de l’enfant ou sa situation de handicap (article R. 131-11-2), par la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives (article R. 131-11-3). Ou par l’itinérance en France ou l’éloignement géographique d’un établissement scolaire (article R. 131-11-4)

Un sort particulier doit être réservé à la situation prévue par l’article R. 131-11-5, dans la mesure où il vise un motif nouveau propre à la loi de 2021, "l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif". Le Conseil d’Etat revient sur les divergences d’appréciation entre les juges des référés qui insistent sur l’importance de cet élément et ceux qui croyaient pouvoir tirer de la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 2021 l’idée que cet élément n’avait pas vraiment d’importance. Et, tranchant clairement en faveur des premiers, il déclare que les dispositions de la loi impliquent "que l'autorité administrative, saisie d'une telle demande, contrôle que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant, motivant, dans son intérêt, le projet d'instruction dans la famille et qu'il est justifié que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l'enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d'apprentissage de cet enfant". Par les exigences qu’il pose, l’article R. 131-11-5 précise suffisamment les conditions et les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille quand la demande est fondée sur la situation propre à l’enfant.

Sont validées aussi les dispositions de l’article R. 131-11-6 qui fixe à quinze jours le délai maximum pour produire les pièces et informations manquantes : ce délai n’est manifestement pas insuffisant, compte tenu de la nécessité d’examiner la demande dans un délai compatible avec la rentrée scolaire. Et celles de l’article R. 131-11-7 qui prévoient les conditions de l’autorisation en cas de harcèlement, qui vise en particulier la nécessité de fournir un avis du directeur de l’établissement concerné. Celui-ci a simplement pour objectif de matérialiser la concertation entre l’équipe éducative et les parents et l’existence de menaces sur l’intégrité physique ou morale de l’enfant. Son exigence ne méconnaît donc ni le droit à la liberté d’enseignement, ni le droit à la santé. Enfin, le délai de huit jours imparti à la famille pour informer le DASEN d’un changement de résidence (article R. 131-11-9) n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

Si le décret n° 182 est ainsi validé dans sa totalité, le n° 183, qui crée la commission rectorale chargée d’examiner le recours contre les décisions de refus n’est frappé que d’une annulation d’une importance très limitée. Ce décret institue un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), ce qui implique l’impossibilité de saisir le juge administratif sans avoir, au préalable, saisi la commission et obtenu d’elle une décision. Il fixe la composition de la commission rectorale qu’il crée et les délais de recours devant elle. Le juge des référés du Conseil d’Etat avait suspendu, par une ordonnance du 16 mai 2022, l’application de l’article D. 131-11-10 du code de l’éducation : "eu égard à l'impossibilité de saisir la juridiction administrative en cas d'absence de saisine de la commission, le moyen tiré de ce que le délai de huit jours serait trop court et porterait atteinte au droit à un recours effectif est de nature, en l'état de l'instruction, et même si ce délai ne saurait être d'une durée trop importante, pour éviter que la famille ne soit pas informée avant la rentrée scolaire du cadre dans lequel l'instruction de son enfant sera réalisée, à créer un doute sérieux quant à la légalité de ces dispositions."

L’arrêt au fond confirme cette analyse. Le rapporteur public, suivi par la formation de jugement, considérait que le caractère trop court du délai impliquait une atteinte au droit effectif de recours. Le Conseil d’Etat annule donc l’article 131-11-10 dans sa rédaction du 15 février 2022. Mais suite à l’ordonnance de référé, l’administration avait modifié le texte par un décret du 2 juin 2022 pour porter le délai du recours à quinze jours. Et le Conseil d’Etat estime que ce nouveau délai ne porte plus atteinte au droit de recours, compte tenu de deux éléments : d'une part, l'intérêt tenant à ce que le délai pour saisir la commission ne soit pas d'une durée trop importante pour éviter qu'il soit statué trop tard, au regard de la date de la rentrée scolaire, et d'autre part, le fait que l'instruction du recours administratif préalable obligatoire ne fasse pas obstacle à l'engagement d'une procédure de référé pour contester la décision de refus d'autorisation d'instruction dans la famille. L’annulation prononcée ne vaut donc que pour la période allant de février à juin.

En revanche, les arguments présentés contre la composition de la commission, tenant en particulier à l’absence de représentants des parents en son sein, sont rejetés, aucun principe ni aucune disposition légale n’exigeant leur présence.

 

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André Legrand.

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