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J. Attali oppose l'utopie aux désastres de l'éducation, presque partout dans le monde et depuis presque toujours (ouvrage)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 04 novembre 2022.

Jacques Attali publie "Histoires et avenirs de l'éducation" et il aurait aimé pouvoir en conclure "qu'un bon système éducatif suffit à créer la croissance nécessaire pour le financer, mais ce n'est pas le cas, que plus l'éducation est raisonnable, laïque et généralisée, plus un pays est prospère et socialement juste, mais ce n'est pas le cas (...), mieux les sociétés sont protégées contre les barbarie et la dictature, mais ce n'est pas le cas." Il est "cependant convaincu que, sans une éducation de très haut niveau de tous les humains, et en particulier à la non violence, le suicide de notre espèce est pour bientôt".

Dans ce fort volume, près de 500 pages, aux accents crépusculaires, l'auteur passe en revue les systèmes éducatifs "depuis les débuts de l'Homo sapiens", quand l'animal humain prend conscience qu'il doit transmettre ses savoirs à ses enfants, puis Moïse fait lire la Loi à son frère Aaron, et en Chine, "le principal enjeu de la transmission" est la stabilité d'un empire naissant... Puis les religieux, porteurs du message monothéiste, prennent le contrôle sur l'éducation dont la seule finalité est la transmission du dogme, mais arrivent Luther qui "considère que l'école doit apprendre à gagner sa vie" et Comenius qu'instruire, "ce n'est pas inculquer un amas de mots". Richelieu réserve "la connaissance des lettres" à une élite : "si tous les sujets (d'un Etat) étaient savants", "l'orgueil et la présomption y seraient ordinaires". Aux Etats-Unis qui viennent de conquérir leur indépendance, "l'école devient un outil de la nouvelle nation". En France la Révolution voit se succéder toutes les conceptions possibles de l'éducation, avant de n'en rien faire. En Grande-Bretagne, on forme les pauvres, mais "pas trop", la Russie organise son "arriération" pour lutter contre les idées des lumières. Au début du XIXème siècle, "comme depuis plus de deux mille ans, un Chinois sur six cents devient bachelier" et à la fin du siècle, 30 à 45 % des Chinois et 2 à 10 % des Chinoises savent lire et écrire quelques dizaines de caractères".

L'auteur nous emmène, à travers les siècles, au Brésil et au Japon, dans tous les pays européens, pour y décrire, à grands traits, les systèmes éducatifs, au risque parfois d'une approximation ou d'une erreur (Montaigne n'a pas été formé par les Jésuites, pour ne prendre qu'un exemple), mais avec un sens de la synthèse qui permet de saisir d'un seul mouvement ce qui est sinon dispersé. La documentation est impressionnante par sa masse et son hétérogénéité, travaux universitaires comme articles de presse. L'optique est résolument comparatiste, Jacques Attali ne cherche pas le détail, mais les constantes dans l'histoire de l'humanité vue à travers ses écoles.

Et les conclusions sont inquiétantes. Si la Finlande et le Canada ont réussi à créer "les meilleurs systèmes du monde", fondés sur la coopération pour l'un, sur la décentralisation pour l'autre, si l'Estonie et Singapour ont des bilans très positifs, la Corée a "d'excellents résultats et beaucoup de drames", le Japon n'a plus d'enfants, la Chine a "l'un des plus bas niveaux d'éducation primaire et secondaire", l'Italie connaît un "grand retard", la Suède a ruiné son système scolaire, la Russie va de désastres en désastres, pour l'Inde le désastre est "absolu", la situation au Pakistan est "catastrophique", le Nigéria a "le pire système du monde"... "Le système d'éducation mondial est en situation d'échec."

L'auteur peut alors tirer les leçons du passé, là encore à grands traits, et sous forme d'aphorismes. Pour ne prendre que quelques exemples : "Les deux fonctions principales de la transmission, sous toutes ses formes, sont de prolonger l'ordre dominant et à l'inverse d'organiser la transmission d'innovations parfois en rébellion contre l'ordre dominant (...). La maltraitance et les abus sexuels contre les enfants sont des constantes de l'histoire ; la transmission en est un des prétextes (...). Les garçons des milieux favorisés ont toujours eu, et ont encore, partout, infiniment plus de chances de choisir des études et de les réussir que tous les autres enfants (...). Imiter, répéter, contrôler et sanctionner ont été et sont encore les bases de la transmission du savoir (...). On n'a jamais réussi à transmettre le refus de la haine, de la violence et de la pulsion de mort."

Dès lors Jacques Attali esquisse trois scénarios pour l'avenir, dont deux sont des cauchemars. Le premier, "la barbarie de l'ignorance", voit les pouvoirs imposer "l'enseignement de leurs propagandes" et "pour se défendre d'adolescents de plus en plus autonomes et abandonnés, les Etats, les Eglises et les entreprises n'auront d'autre recours que de créer encore plus d'institutions fermées, formes déguisées de prison". Dans le second, "la barbarie de l'artefact", les outils d'enseignement à distance et "des algorithmes permettant d'analyser de façon très précise et individualisée, les erreurs commises par chaque élève et proposant des exercices de plus en plus adaptés aux besoins de chacun" font de l'éducation un artefact et transforment "l'homme en un objet".

Le troisième scénario est optimiste "vers l'Homo hypersapiens et l'hyperconscience collective" : il suppose qu'on transmette "à tous les enfants du monde des valeurs, des savoirs, des cultures, des capacités créatives et des interdits". Aux pédagogies classiques, il faudrait ajouter "le travail en groupe, la réalisation de projets, le développement de la confiance, de la coopération et de l'estime de soi, le souci de l'excellence pour tous." Il faudrait aussi "enseigner dès l'âge de 4 ans la philosophie et les enjeux de la survie de la planète", tandis que chacun d'entre nous devrait "ne jamais cesser d'apprendre" et "ne jamais considérer un échec dans l'étude comme irréversible"...

"Histoires et avenirs de l'éducation", Jacques Attali, Flammarion, 475 p., 24€.

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