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La coopération en éducation, bien que prônée de tous côtés, est loin d'être une évidence (Revue internationale d'éducation, Sèvres)

Paru dans Scolaire le jeudi 20 octobre 2022.

"Les exhortations à coopérer ne manquent pas, venues de l’échelle supranationale (notamment l'OCDE, ndlr) (...): collaboration entre élèves, entre enseignants, entre enseignants et élèves, entre enseignants et autres personnels, entre personnels et parents, entre l’école et ses partenaires territoriaux (...). Le travail collaboratif à l’école est prôné depuis longtemps par des pédagogies alternatives, et depuis plus longtemps encore par de grandes figures de l’éducation (...). Néanmoins l’idée que la collaboration (...) serait la voie royale pour les apprentissages scolaires doit être regardée de près (...). L’idée qu’on 'apprend mieux à plusieurs' est à nuancer", écrivent Patrick Rayou (Paris-8) et Jean-Pierre Véran (CY Cergy) qui ont coordonné le dossier "travailler en collaboration à l'école" du dernier numéro de la revue internationale d'éducation de Sèvres.

Et d'ailleurs, faut-il parler de collaboration ou de coopération ? Sylvain Connac (U. de Montpellier) les distingue, dans la collaboration, c'est le résultat qui compte et "les tâches se répartissent en fonction des talents individuels déjà construits, les meilleurs se réservant celles de niveau élevé. Dans la coopération, les élèves sont partie prenante du projet et dépendants les uns des autres au sein de pratiques d’entraide ou de tutorat qui les aident à progresser individuellement", mais au risque de voir la classe se transformer "en un espace de désordre" ! L'auteur n'en pense pas moins que "les organisations coopératives sont l'avenir de l'école", mais elles "ne sont pas des évidences", tant elles exigent de changements dans la manière de concevoir les apprentissages et dans les formations censées y préparer les enseignants.

Et, l'une après l'autre, les contributions venues de divers pays témoignent de ce que ce ne sont nulle part des évidences. Masengesho Kamunzinzi (U. du Rwanda) montre bien que le système d'enseignement simultané (qui réunit des enfants de même âge et de même niveau dans une classe avec un enseignant dont la parole fait autorité, selon le modèle dominant en Europe, ndlr) a été importé avec la colonisation, alors que "la nature collaborative des apprentissages informels est patente dans certaines sociétés d'Afrique" et que "les potentialités qu'offrent (les) modèles éducatifs collaboratifs sont non négligeables". D'ailleurs, les écoles qui accueillent les enfants de familles riches invitent les élèves "à développer des projets communs" mais "l'esprit de compétition reste omniprésent".

En Nouvelle-Zélande en revanche, "les héritiers de la Couronne britannique" ont entrepris de réhabiliter des concepts de la culture maori "pour favoriser à l’école une culture du leadership, des liens, de la prise en compte de points de vue différents dans le cadre de l’apprentissage horizontal entre pairs". En effet, "des concepts maoris ancestraux sont opérationnels pour développer une éducation reposant sur la coopération, la confiance et la bienveillance". C'est le seul article qui témoigne d'une réelle mise en oeuvre, à cette échelle, de ce qui reste ailleurs des injonctions "démenties dans les faits pour de multiples raisons".

C'est notamment le cas de la coopération entre enseignants, comme le montre l’étude suédoise. Des professeurs de mathématiques, pour lesquels le savoir n'est pas sujet à débat et qui s'inquiètent des modes de transmission, et des professeurs d'histoire, qui ne sont pas toujours d'accord sur les contenus, vont limiter leurs échanges à "des considérations générales relatives à la socialisation des élèves, et non à leurs apprentissages". De même, "les chefs d’établissement et les enseignants ont des visions souvent très éloignées des aspects liés à la vie interne des établissements autant que des modalités pédagogiques et didactiques à utiliser". Les uns "organisent leur travail selon les priorités de leur métier" tandis que l’autorité éducative "tend à privilégier les besoins déterminés par l’organisation. Les identités professionnelles résistent à l’identité institutionnelle."

Ryoko Tsuneyoshi (Bunkyo Gakuin University, Japon) apporte toutefois un éclairage différent avec le "tokkatsu", des enseignements non disciplinaires qui ont toute leur place dans le curriculum, "au même titre que les mathématiques ou la lecture" et dont le but est, par nature, la collaboration pour "identifier et résoudre des problèmes pour améliorer la vie de classe et la vie scolaire", ce qui peut passer par le fait de servir ses camarades à la cantine, ou de faire le ménage dans la classe, mais ce qui suppose un vaste consensus sur les valeurs à développer "au sein du modèle holistique japonais" (très différent du nôtre, ndlr). L'auteur estime que "le potentiel du travail collaboratif des enseignants, comme celui des élèves, n'est l'apanage d'aucune culture". La diversité des contributions dans cette livraison de la revue donne le sentiment qu'au contraire, c'est dans chaque culture que le travail collaboratif doit trouver à s'inscrire, selon des modalités spécifiques.

"Travailler en collaboration à l'école", Revue internationale d'éducation de Sèvres, n° 90, septembre 2022, 17€

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