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L'Education nationale maltraite les enseignants (Ouvrage, S. Garcia)

Paru dans Scolaire le jeudi 19 janvier 2023.

C'est par le biais des démissions d'enseignants du 1er degré que Sandrine Garcia, sociologue (U. de Bourgogne), appréhende la souffrance des personnels de l'Education nationale. "Bien que très minoritaires sur le plan statistique, ces démissions ont augmenté si rapidement qu'elles ont attiré l'attention des médias et des pouvoirs publics (...). Elles ne sont que la partie émergée du désenchantement" puisque "tous ceux qui sont insatisfaits ne peuvent pas partir", faute souvent d'un autre moyen de subsistance.

Trop souvent ils ont le sentiment que, pour leur hiérarchie, ils "sont pensés comme des exécutants" soupçonnés d'en faire "le moins possible, tels des ouvriers d'une vision taylorienne". Or les quelques enseignants rencontrés pour cette enquête travaillent beaucoup, "s'épuisent en préparation, y passent leurs soirées et leurs week-ends et dorment mal", ce qui n'empêche pas qu'ils se fassent "démolir" par un inspecteur/inspectrice ou par les formateurs de l'ESPE.

L'auteure met plus particulièrement en cause les conditions de mise en oeuvre de l'inclusion des enfants en situation de handicap. Charline "se retrouve en charge d'une classe de 27 enfants, à plusieurs niveaux, avec un élève trisomique qui grimpe sur les tables, crie, tape sur ses camarades". Le jour de l'inspection pour sa titularisation, croyant bien faire, le directeur fait en sorte que le petit garçon soit absent "pour qu'elle puisse au mieux jouer cette petite scène de théâtre". L'enseignante trouve la proposition "pathétique", il s'agit de "falsifier la réalité (de ses) conditions de travail", elle démissionne. S. Garcia met en cause "l'écart entre le discours enchanté sur l'inclusion scolaire et la réalité de sa mise en oeuvre", elle s'interroge sur "la possibilité même de cette inclusion dans un cadre budgétaire contraint sans compromettre l'enseignement même".

Autre cause de la maltraitance des enseignants, des prescriptions changeantes. Les réformes, dit Agathe, "ça va ça vient, on sait qu'on va nous dire ça, deux ans après, on va nous dire autre chose". C'est ainsi que Martin, enseignant chevronné, qui défend la méthode globale, qui a écrit "plusieurs ouvrages", qui est maître formateur et enseigne à l'IUFM, est démis de ses fonctions à l'IUFM, muté d'office. Mais Monique, qui est favorable aux méthodes syllabiques, qui a d'excellents résultats, est tout autant mal traitée, elle subit une inspection "dégueulasse" et apprend par hasard que la directrice a reçu consigne de ne plus lui confier de CP et "de la traiter comme une débutante".

La souffrance au travail paraît d'autant plus absurde à ces enseignants "qu'elle n'est même pas justifiée par une meilleure réussite des élèves". C'est un point qui revient constamment dans les témoignages, la hiérarchie, pour justifier ses interventions, reproche aux enseignants "de ne pas se soucier de la réussite des élèves". En revanche, elle ne tient aucun compte de leurs résultats, même s'ils sont bons, quand il s'agit de les sanctionner, de leur "intimer l'ordre de rentrer dans le rang" et de faire profil bas, alors qu'ils revendiquent leur autonomie. Cette indifférence aux résultats des élèves se manifeste aussi quand des postes "repoussoirs" sont confiées à des débutants. Ceux-ci ne doivent d'ailleurs pas faire état de leurs difficultés. "J'ai l'impression qu'on ferme la porte de la classe et ce qui est dans la classe reste dans la classe, il ne faut surtout pas montrer nos faiblesses, ni à nos collègues ni aux supérieurs (...). Tout le monde s'en fout."

L'indifférence aux personnes se manifeste aussi parfois le jour de leur démission. Si certains de ces enseignants ont eu droit à un entretien avec l'inspecteur qui a tenté de les retenir et qui a au moins écouté leurs griefs, pour d'autres, rien. "L'institution en prend acte sans les écouter, sans chercher à comprendre." Sara en déduit : "On est rien en fait, personne ne nous connaît." Elle avait été première au concours de recrutement et pensait qu'on essaierait au moins de la retenir.

Sandrine Garcia met en cause "le mouvement de rationalisation du travail" et la "nouvelle gestion publique" qui ont engendré "démobilisation des professionnels, crise du recrutement, persistance des inégalités".

"Enseignants, de la vocation au désenchantement", Sandrine Garcia, La Dispute, 256 pages, 17€

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