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A quelles conditions les religions ont-elles une place à l'école ? (Revue Diversité)

Paru dans Scolaire le jeudi 22 décembre 2022.

"Si l’école laïque peut pacifier les esprits, ce n’est pas par l’oubli et le dépassement des convictions personnelles, mais au contraire par leur meilleure connaissance réciproque. Formulé dans le langage de Paul Ricœur, cela revient à soutenir que la laïcité à l’école, parce qu’elle comporte une dimension éducative, n’est pas complètement, comme celle de l’État, une laïcité d’abstention, mais aussi une laïcité de confrontation, et il vaudrait mieux dire une laïcité de discussion. C’est en discutant entre eux de leurs religions respectives que les élèves catholiques, protestants, juifs, musulmans ou athées pourront apprendre à mieux se connaître et s’entendre", estime Pierre Kahn (U. de Caen) dans sa contribution au dernier numéro de la revue Diversité, titré "Des religions et l'école".

Cette question, souligne dans son éditorial Régis Guyon, est "socialement et politiquement vive" et "touche à une question fondamentale (...) : en quoi les religions participent-elles encore ou sont-elles constitutives d’une culture partagée (...) ? Ou bien sont-elles des marqueurs identitaires ?" Les acteurs éducatifs doivent "veiller à l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles", mais les enseignants doivent "intégrer les religions au sein du curriculum, notamment par un enseignement laïc des faits religieux" et faire de cet enseignement "un moyen d’éduquer à la laïcité". Il commente : "ce lien de causalité, étudier les religions pour éduquer à la laïcité, rencontre beaucoup de limites et d’obstacles".

Très peu de contestation

Jean-François Chanet (Sciences po) semble lui répondre lorsqu'il considère que ce ne serait pas faire preuve d' "une faiblesse coupable" ou d'une forme "d’adhésion à l’islamo-gauchisme" que de juger souhaitable "une connaissance mieux partagée de l’islam, de son histoire, de sa diversité (...) La connaissance est en somme la première forme du respect et ce serait déjà beaucoup que de la faire progresser." Mais il ajoute que "nous assistons ces dernières années à un durcissement manifeste des autorités politiques".

Ismaïl Ferhat (U. de Nanterre) constate pourtant que "l’application de la loi de 2004 (d'interdiction des signes ostensibles dans l'espace scolaire, ndlr) a rencontré très peu de contestations" mais il fait aussi état d' "une perception significativement plus élevée de la laïcité scolaire (...), chez les élèves de culture islamique, comme ayant un aspect discriminant. De ce fait, l’accent mis sur le renforcement du principe laïque à l’école est lu par ceux-ci comme les visant, ce qui ne contribue pas peu à nourrir les tensions autour de la gestion du fait religieux dans les salles de classe."

"L'éducationalisation"

"Il y a eu ce qu’on appelle l’éducationalisation de problèmes sociaux", analyse Françoise Lantheaume (Lyon 2) qui explique : on a voulu "faire contribuer l’éducation à la résolution d’un problème social", à savoir l'accroissement de "l'hétérogénéité de la population française sur le plan religieux due à une immigration (...) où dominait souvent la religion musulmane" et "la réactivation de certaines religions (juifs, catholiques traditionnalistes) soucieux de la grande sécularisation de la France".

Elle évoque "l’intérêt des élèves pour la question des religions, sans que cela se traduise nécessairement par des problèmes". Les enseignants "considèrent comme normal que les élèves se questionnent et les interrogent" puisqu'ils ont "peu de connaissances sur le sujet". Quant aux oppositions qu'ils rencontrent , c’est souvent le fait d'élèves pris dans un conflit de loyauté quand il ne s'agit pas de "provocations adolescentes" qu'ils traitent "par une ignorance volontaire pour ne pas envenimer la situation, le report dans le temps de la réponse, un apport de connaissances, l’humour, la sanction éventuelle, la délégation du problème à un autre personnel. Les élèves se réfèrent plus souvent à la tradition qu’à des connaissances savantes à propos des religions."

Les élèves ne comprennent pas

Philippe Martin (Institut supérieur d’études des religions et de la laïcité) semble davantage préoccupé, il est pour lui "urgent de repenser nos politiques". Les élèves "ne comprennent pas les limites posées" à leur liberté de s'habiller "comme ils le souhaitent", "le port de signes religieux ne les gêne pas". Quant au malaise des enseignants, il ne croit pas qu'il soit dû à un manque de formation : "Je crois que le malaise vient surtout du sentiment que leur parole n’est pas légitime aux yeux des élèves, qu’ils ne peuvent pas l’imposer comme ils le feraient avec d’autres connaissances."

L'analyse de Pierre Kahn est un peu différente. Leur culture professionnelle laïque les "incite à beaucoup de méfiance devant le projet d’intégrer un enseignement des faits religieux à une perspective éducatrice". Mais surtout, avec Olivier Roy, il considère que "le mouvement moderne de sécularisation n’a pas effacé le religieux, mais l’a détaché de tout ancrage culturel. La religion aujourd’hui tend à se donner comme pure foi, sans culture", d'où "la difficulté pour les professeurs de traiter comme éléments de culture commune ce qui relève par ailleurs de cultes particuliers vécus. C’est la raison pour laquelle (...) les enseignants sur lesquels porte l’enquête déclarent n’avoir aucun problème pour travailler les mythologies grecque ou romaine, qui n’ont plus guère aujourd’hui de fidèles, alors qu’ils hésitent à traiter avec leurs élèves ce qui relève de croyances actuelles."

Celui qui avait été responsable du groupe d’experts chargés de la conception des programmes d'Enseignement moral et civique de 2015 souligne de plus que le but patrimonial de cet enseignement du fait religieux est affaibli s'il est "conçu comme un enseignement auxiliaire", un moyen pour comprendre certaines oeuvres. "Si une classe de seconde étudie Dom Juan, il lui faudra un minimum de culture religieuse pour en saisir le sens et les enjeux ; mais si elle étudie Le misanthrope, elle pourra s’en passer (...) Cela n’enlève certes rien au bien-fondé de l’enseignement 'culturel' des faits religieux ; néanmoins, cela indique que la réflexion qui accompagne sa mise en place est loin d’être achevée."

Enclavement territorial

A noter encore dans ce numéro la mise en garde Samia Langar (Lyon 2) : "Sur un territoire comme celui de Vénissieux, les parents et les enseignants s’accordent dans la dénonciation des conséquences désastreuses pour les enfants qu’ils ont la charge d’éduquer, de l’enclavement territorial, de l’absence quasi totale de mixité sociale (...). Les enseignants eux-mêmes le vivent et le disent : le problème de l’école, le problème qui est à la base des difficultés du métier, ce n’est pas d’abord le problème religieux, les 'atteintes à la laïcité', mais celui des conditions sociales et territoriales, de l’absence d’horizon dont l’enclavement territorial est la cause." Ces familles françaises de confession et de culture musulmane ressentent "un déficit de reconnaissance", de manque de "réciprocité". Elle commente : "La réciprocité n’est-elle pas le sens même et la raison d’être de la laïcité ? Le souci de la laïcité passe alors par celui de la réciprocité."

La revue propose également un éclairage sur le travail de l'association Enquête et sur son "Arbres à défis" destiné à "développer l'esprit critique sur les faits religieux" des élèves de CM tandis que Robin Marchand et Olivier Vincent (enseignants associés à l'IFE) montrent comment l'un des 59 établissements privés musulmans (dont 9 sous-contrat) affiche "fièrement" des taux de 100 % de réussite au brevet comme au baccalauréat, l’inscription des élèves se faisant "après un examen d’entrée exigeant". L'établissement entend articuler "foi et citoyenneté, islam et éducation", "ouverture à la diversité de la société française", au risque de "gommer le caractère confessionnel de l’établissement, voire à le laïciser, comme s’il fallait neutraliser toute critique potentielle extérieure de communautarisme".

Le numéro 201 de la revue Diversité est en accès libre ici

 

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