Les enjeux de l'Ecole, vus de gauche (revue Germinal)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mardi 06 décembre 2022.
"On peut dire à peu près n'importe quoi sur l'éducation", constate Vincent Peillon quand la revue Germinal interroge l'ancien ministre sur "les récentes réformes" (les "réformes Blanquer", ndlr). Le philosophe a été "attristé par l'absence de débat sérieux dans notre pays sur les questions éducatives, comme si tout le monde ignorait les vrais chiffres, les réformes déjà conduites, les évaluations existantes des différents dispositifs (...)". Le 5ème numéro de la revue, consacré à "l'école émancipatrice" propose sur plus de 300 pages des réponses à ce constat désabusé, clairement marquées à gauche et faisant une large part à l'histoire et à la philosophie comme à la sociologie.
C'est ainsi que Jean-François Chanet (historien) revient sur la personnalité de Jean Zay dont "la méthode témoign(ait) d'une confiance nouvelle (...) dans ce qu'il n'était pas encore d'usage d'appeler 'les acteurs' (inspecteurs, instituteurs et institutrices)". L'ancien recteur ajoute que "la marge d'autonomie" laissée à des collectifs d'acteurs locaux réclame (du ministère, ndlr) de "la continuité dans la définition des objectifs comme dans celle du pilotage et du cadre dans lequel on s'efforcera de les atteindre".
Claude Lelièvre (historien) estime "tout à fait possible que dans l'avenir, peut-être proche, une forte ressemblance entre les établissements publics et les établissements privés (sous contrat, ndlr) se fasse jour en laissant à chaque établissement une plus grande liberté d'administration dans le cadre d'un cahier des charges respectueux de règles nationales, mais offrant plus de place à la créativité et à la diversité. Cependant on voit bien aussi la ligne de crête, avec les risques de tomber dans des établissements où règneraient l'entre-soi, où seraient éliminés les plus faibles, où seule compterait une certaine réussite scolaire."
C'est parce que "les enjeux sont considérables" que Cyrll Lemieux (sociologue) propose "d'opérer une clarification idéologique". Dans une "optique réactionnaire", la finalité de l'enseignement est de garantir "la transmission d'une tradition", l'éducation "n'est pas pensée comme un facteur de mobilité sociale" et le style pédagogique "peut être qualifié de dogmatique, au sens où il est fondé sur le figeage des savoirs transmis aux élèves", tandis que pour un socialiste, la finalité de l'enseignement "n'est autre que l'émancipation de la société tout entière", ce qui suppose de "cultiver chez les élèves un savoir réflexif plutôt qu'instrumental aux connaissances transmises" mais aussi une "universalisation réelle de l'accès à l'école". Il constate toutefois que "face à la tentation d'une régression vers des pédagogies dogmatiques, la gauche s'avère aujourd'hui souvent désemparée".
Il ne faudrait pas pour autant céder aux illusions du "pédagogisme" et croire qu'il suffirait de mettre les élèves en activité pour qu'ils apprennent, estime Marion Bet (doctorante en philosophie). La pédagogie authentique "s'adosse à une maîtrise infaillible de la discipline" et cette "maîtrise savante" est "une prémisse irréductible" : tout bon professeur est d'abord "un érudit dans sa matière". C'est à cette condition que "la pédagogie conduira l'élève à s'extraire de son milieu social d'origine par cette rencontre avec le savoir".
A noter parmi les autres contributeurs Christophe Prochasson, Eric Charbonnier, Jean-Paul Delahaye, Bruno Karsenti, Pierre Merle, Bruno Poucet..., mais aussi celles du SGEN-CFDT, du SE-UNSA et de la FCPE, ainsi que des "paroles d'enseignants".
Germinal #5, éditions du Bord de l'eau, 318 p., 18€, le site ici