Scolaire » Recherches et publications

Parcoursup : la gestion des flux plutôt que l'accompagnement individualisé des élèves (dossier de veille de l'IFE)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 01 février 2023.

"Parcoursup distribue les places dans l’enseignement supérieur à celles et ceux qui seront les plus performant.es pour les occuper, dans une logique de marché où il faut faire correspondre une 'demande' à une 'offre', en contexte de tensions entre moyens alloués et démographie étudiante croissante."

Alors qu’entre 2008 et 2021 le nombre d’étudiants a augmenté de 25 %, le budget de l’enseignement supérieur a lui chuté de 12 %" et représente 1,5 % du PIB, "contre 2,7 % aux USA". L'IFE publie un "dossier de veille" consacré à la plateforme et à l'analyse de son fonctionnement au vu de la littérature scientifique, des rapports de la Cour des comptes et des analyses de l'OCDE qui lui ont été consacrés. L'autrice, Marie Lauricella constate que la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) de 2018 "introduit un véritable changement de paradigme": "alors que la seule obtention du baccalauréat permettait une entrée de droit dans une formation (non sélective) du supérieur, aujourd’hui ce diplôme ne suffit plus. Les lycéen.nes sont considérés comme des candidat.es à l’enseignement supérieur."

Le recours à une plateforme numérique figurait parmi les recommandations d’un rapport de 2004 de l’OCDE pour rendre "les systèmes éducatifs et le marché du travail plus efficients". L'organisation internationale faisait "le constat d’un coût trop élevé des entretiens et conseils individualisés en matière d’orientation" et elle invitait les décideurs à "rechercher des modalités plus innovantes d’orientation professionnelle". C'est ainsi que Parcoursup a été pensé pour "régler d’une façon alternative à la plateforme APB la question de la capacité d’accueil des filières en tension", et "pour maximiser la réussite des étudiant.es en licence". La communauté européenne avait d'ailleurs "pointé du doigt" la France pour "la complexité de son système d’orientation dans l’enseignement supérieur, divisé entre les filières non sélectives de l’Université et l’accès par concours ou dossiers aux grandes écoles".

Un mécanisme opacifié

Autre argument invoqué, la construction d'un continuum bac -3 / bac +3 : "Parcoursup est entièrement construit comme un outil à deux pieds : il a un pied posé dans le Sco et un pied posé dans le Sup". Quant à l'algorithme d’affectation, il permet d'éviter qu'un.e candidat.e ne conteste son affectation "au motif qu’il ou elle se serait vu refuser l’admission dans une formation qui aurait accepté un.e candidat.e moins bien classé.e que lui ou elle."

Mais Parcoursup a substitué à un mode d’allocation centralisé, géré par l’agence nationale responsable d’APB, "un mode d’allocation multicentrique" et procède "à deux types de classement : celui opéré par les CEV (commissions d’examen des vœux) au niveau de chaque formation du supérieur, appelé 'classement pédagogique', suivi par un classement 'd’appel' établi par l’algorithme de la plateforme nationale (...). La combinaison de ces deux filtres algorithmiques, le premier au niveau local, le second au niveau national, opacifie les mécanismes de l’outil."

Canaliser les aspirations des jeunes

La non-hiérarchisation des vœux "a été présentée afin de rendre crédible l’idée selon laquelle l’orientation des étudiants dans Parcoursup n’était plus le fruit d’un calcul par un algorithme, mais résultait d’un processus de 'dialogue' entre les candidats et les formations". Pourtant, cela "a pour inconvénient majeur de ralentir considérablement le processus d’appariement" (entre les candidat.e.s et les formations) tandis que les candidat.es "ne sont pas systématiquement admis.es dans la formation qu’il ou elle préfère". De plus, la non-hiérarchisation des vœux "ne permet pas de mesurer le taux de pression réel qui s’exerce sur les différentes formations (et ainsi d’identifier les formations dont les capacités d’accueil mériteraient d’être augmentées)".

Quant à "la dimension informative de Parcoursup" et à la présentation des "attendus" des formations de l'enseignement supérieur, elles se heurtent aux critiques de la Cour des comptes qui "pointe le caractère hétérogène des informations délivrées, et met en doute la pertinence de certaines données" tandis que certains sociologues "analysent la publication de ces attendus comme un moyen de canaliser ou d’encadrer les aspirations des bachelier.es" et de "dissuader certains vœux jugés non rationnels". Le dispositif informatif de Parcoursup vise à inciter ou dissuader les individus, considérés comme rationnels et égaux, à prendre la direction de l’enseignement supérieur. Les effets dissuasifs du dispositif auraient d'ailleurs "un impact plus important chez les femmes issues de milieux populaires", il entretiendrait, voire renforcerait "les mécanismes d’autocensure".

La gestion des flux

Le développement du numérique "pour remplacer des méthodes traditionnelles d’accompagnement" a amené le Gouvernement à désigner "les chef.fes d’établissement et les professeur.es principaux.les comme les chefs de file de l’orientation en milieu scolaire, malgré un déficit de formation et de moyens spécifiques alloués à ces missions". Les proviseurs ont réagi en fonction de leurs marges de manoeuvre et ont dû "arbitrer entre l’orientation et les enseignements optionnels, dont dépend pour partie la réputation" de l'établissement. Les 54 heures qui sont théoriquement dédiées à l'orientation ne le sont que de manière hétérogène : "Les lycées où la culture de l’orientation est déjà présente pourront saisir ce cadre pour améliorer leurs initiatives, tandis que ceux où les équipes éducatives sont faiblement mobilisées n’auront pas d’incitation à développer cette dimension."

Les chefs d'établissement ont "un droit de regard sur les choix d’orientation des élèves" puisqu'ils émettent, sur la Fiche Avenir, pour chaque vœu, un avis "sur la capacité à réussir de l’élève". Mais ils conçoivent parfois davantage l’orientation "comme une gestion des flux vers l’enseignement supérieur plutôt que comme l’accompagnement d’un projet individuel". Et surtout, "renforcer ou donner une telle responsabilité aux acteur.trices éducatif.ves dans l’accompagnement vers l’enseignement supérieur (...) revient à concevoir l’orientation en grande partie du point de vue de l’école (...). Cet aspect de la réforme vise à faire correspondre résultats scolaires et attendus des formations du supérieur." Le rôle des équipes de direction et des enseignants est donc, en théorie, plus limité que celui des Psy-EN que leurs missions amènent à "prendre en compte les jeunes pas uniquement comme des élèves, mais dans une perspective plus large, incluant l’ensemble de leurs expériences hors de l’école et des potentialités de leur personnalité".

"L’étiolement du rôle des Psy-EN", dont le nombre a été réduit a favorisé l'essor du "marché privé de l’accompagnement à l’orientation". Mais les coachs se démarquent du psychologue, ils recherchent des effets à court terme, "bien éloignés d’un dispositif paramédical au long cours". De son côté, la prise en compte quasi exclusive des notes induit un biais dans la sélection des candidat.es : une proportion non négligeable de formations "prend en compte le lycée d’origine des candidats pour corriger la différence de notation entre établissements". Cette pratique, "dont le ministère de l'Enseignement supérieur conteste la réalité", entraine "une suspicion de discriminations territoriales".

Un Etat-plateforme

L'autrice se demande si finalement "l’État-Plateforme" ne risque pas "d’apparaitre pour les citoyen.nes comme un monstre froid, dont le fonctionnement est guidé par des processus automatiques" tandis que la sélection des étudiant.es, "dépersonnalisée, rationalisée et routinisée par des algorithmes ou des procédures formelles" pourrait remettre en cause "un principe central dans le système éducatif français : le mérite".

Le dossier "Parcoursup : réguler et rationaliser l'accès à l'enseignement supérieur" ici

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →