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Le syndicalisme enseignant en quête d'un nouveau souffle, un peu partout dans le monde (Revue internationale de l'éducation - Sèvres)

Paru dans Scolaire le vendredi 27 janvier 2023.

Les syndicats enseignants ont un "poids spécifique" dans la mesure où ils peuvent mobiliser leurs adhérents et sympathisants sur l’ensemble d'un territoire national, où une grève désorganise une partie de la vie du pays, et où les enseignants "bénéficient d’une large confiance et d’une légitimité sociale parmi les citoyens". Pourtant leurs organisations ne semblent plus "susciter une adhésion durable". C'est ce paradoxe qu'éclaire la dernière livraison de la RIES (Revue internationale d'éducation de Sèvres), dont le dossier est consacré aux "syndicats d’enseignants au xxie siècle".

La situation des syndicats dans chacun des pays envisagés s'explique par des configurations singulières, historiques et institutionnelles. Les deux coordonnateurs du dossier, José Weinstein (Chili) et Werner Zettelmeier (Cergy Paris Université) réussissent pourtant le tour de force de proposer "une grille de lecture" commune, fondée sur "quatre axes" : le syndicalisme enseignant "exprime ou représente les intérêts et les besoins des enseignants", il peut participer "à la gouvernance du système éducatif", il peut également agir ou tenter d'agir sur les réformes et les politiques éducatives, il peut enfin participer au jeu politique. "Ces axes, loin de s’exclure mutuellement, permettent au contraire d’analyser différentes dimensions de l’organisation collective des enseignants dans un système scolaire donné."

Les "syndicats traditionnels" cherchent à représenter les droits des enseignants en tant que "travailleurs", ce qui a d'ailleurs suscité les réticences de certains enseignants qui ne souhaitaient pas être confondus avec des ouvriers. Certains syndicats "s’apparentent davantage à des associations professionnelles" et "considèrent que l’importance de la mise à jour professionnelle de leurs membres, l’application d’un code d’éthique professionnelle ou l’établissement de normes de performance professionnelle font partie de leurs objectifs". A noter encore qu'un "syndicalisme de renouveau" va "au-delà de la défense des intérêts corporatifs".

Les syndicats peuvent être co-gestionnaires

Les deux coordonnateurs soulignent que "certains systèmes scolaires intègrent les syndicats dans les mécanismes d’administration régulière et de gouvernance de l’éducation nationale (...). Le cas du Mexique est à ce titre emblématique. Ainsi, pour certaines fonctions de direction, les promotions étaient décidées jusqu’à la réforme de 2013 par une commission composée du ministère et du syndicat, qui exige également, comme condition d’éligibilité, que le candidat soit membre du syndicat. Il en va de même pour accéder à un poste d’enseignant titulaire."

En Suède, à partir des années 1990, "des représentants des syndicats enseignants ont pu siéger au sein de la commission scolaire suédoise chargée de réfléchir, entre autres, aux stratégies pour une meilleure reconnaissance de la profession enseignante".

Les diverses réformes ne provoquent pas les mêmes réactions

Le dossier est aussi l'occasion de distinguer entre deux types de réformes. Celles qui génèrent une augmentation du nombre des élèves et des investissements dans l'éducation ont le plus souvent "le soutien des différents acteurs de l’éducation, y compris les syndicats d’enseignants". Celles qui "remettent en question le mode de fonctionnement du système et ses résultats, en modifiant souvent les processus pédagogiques et institutionnels concernés" se heurtent généralement à la résistance des enseignants. C'est notamment le cas lorsque ces réformes "encouragent la privatisation, la concurrence entre les écoles et la responsabilisation des écoles et de leurs enseignants."

Mais dans la province de Maharashtra, en Inde, l’Active Teachers Forum "place l’amélioration de la qualité de l’enseignement offert aux élèves", notamment les plus défavorisés, "en tête de ses priorités", et il "a acquis une forte légitimité auprès des citoyens et des enseignants". Il "fonctionne avec des structures organisationnelles participatives", il fait "une utilisation intensive des médias sociaux" et il est considéré comme "un contrepoids à des politiques éducatives inéquitables".

Des "syndicats de justice sociale"

C'est ainsi qu'aux USA, "les syndicats corporatistes" représentent encore le type de syndicat le plus courant et ils fournissent à leurs membres une couverture santé, une police d’assurance, des services juridiques collectifs... Mais "un nombre croissant d’enseignants" ont cherché à faire évoluer leurs syndicats vers des modèles d’organisation axés sur la justice sociale et les SJS, "syndicats de justice sociale" défendent des objectifs de "bien public". Le mouvement n’en est qu’à ses débuts.

Louis Weber (FSU et Internationale de l'éducation) se demande comment évaluer l’efficacité de l’action syndicale. Il constate qu'en général, "les résultats d’une action sont rarement acquis immédiatement. Au mieux (...), ils peuvent contribuer (...) à modifier dans un sens favorable le rapport de force avec le gouvernement." Et depuis "la fin des années d’État-providence" au début des années 80, puis avec les crises économiques qui se sont succédé, "les succès de l’action syndicale se sont faits plus rares".

C'est encore plus vrai au plan international "où l’essentiel de l’activité syndicale passe plutôt par la participation à divers comités consultatifs". D’où "une tendance au désintérêt (des organisations syndicales nationales, ndlr) pour l’activité internationale." Il plaide toutefois pour l'adhésion des syndicats à une organisation internationale, qui leur permet, à défaut d'engranger des résultats, de prendre la mesure des nouvelles dimensions du contexte dans lequel ils agissent.

Une dynamique est en cours

Les coordonnateurs du dossier se veulent plus optimistes : "Le fonctionnement des syndicats doit évoluer" et "les exemples de l’Inde, des États-Unis, de la Suède, voire de l’Autriche (...) montrent qu’une dynamique est en cours (...). La lutte contre les inégalités sociales ne peut pas être menée seulement par l’école ou par les syndicats d’enseignants; elle nécessite de plus amples alliances (...). Il faudrait observer, dans les années à venir, comment se développeront ces deux tendances, recul et renouveau, qui sont actuellement présentes dans le syndicalisme enseignant et si les changements des formes de représentation et de mobilisation, aujourd’hui encore embryonnaires, seront capables de donner une nouvelle voix aux enseignants dans les écoles et dans la société."

 Revue internationale d’éducation Sèvres, n° 91, 189 p., 19€

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