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Atteintes au principe de laïcité, une réalité difficile à saisir (rapport d'inspection générale)

Paru dans Scolaire le mardi 13 octobre 2020.

Le nombre des atteintes au principe de laïcité demeure "relativement faible", estime la mission d'inspection générale dont le rapport consacré à "l'application du principe de laïcité dans les établissements scolaires de l’enseignement public", daté de novembre 2019, vient d'être publié. Les auteurs nuancent toutefois ce constat quand ils ajoutent que "la moitié de ces signalements proviennent de six académies" (Créteil, Versailles, Toulouse, Nice, Grenoble et Montpellier).

C'est ainsi qu'ils font état "d’une sensibilité très inégale des chefs d’établissement du second degré à la nécessité du signalement des atteintes à la laïcité", sans pouvoir la mesurer ni l’expliquer. Toujours est-il que les équipes académiques "valeurs de la République" estiment que les signalements recueillis "ne correspondent pas à 'toute' la réalité". "Comment expliquer que quelques académies connaissent un accroissement du nombre de signalements alors que d’autres constatent une stabilisation, voire une légère baisse de ce nombre"?

La difficulté de distinguer entre atteinte à la laïcité et atteinte aux autres valeurs de la République

Les atteintes à la laïcité se manifestent par le port de signes, mais aussi par "la contestation de certains enseignements dans les disciplines expérimentales, l’histoire, ainsi que dans les disciplines artistiques" et l'EPS. "Ces contestations ne s’expriment pas toujours de façon démonstrative. L’une des difficultés des établissements est de pouvoir les repérer à travers des signaux, des stratégies de contournement, des motifs d’absentéisme." A l'inverse, tous les faits signalés ne relèvent pas de la remise en cause du principe de laïcité. Les auteurs citent le cas d'un élève qui pousse un cri "faisant l’éloge du dieu des musulmans", mais pour lequel le dialogue avec la famille et l’élève "a permis de constater qu'il avait été proféré "sans intention ni discernement". D'autres posent question. Le rapport cite "le port d’un burkini par une élève de CM2, des insultes en raison d’une appartenance religieuse réelle ou supposée, des insultes et des menaces de mort exprimées par des élèves en référence à Daesh, des cris invoquant le dieu d’une religion, le refus de serrer la main à des femmes ou le refus d’un élève d’adresser la parole à une femme professeur, le refus de parents d’élèves de serrer la main de personnels d’un établissement, l’interdiction faite à des filles d’accéder au foyer des élèves parce qu’elles ne sont pas de confession musulmane, des attitudes de rejet manifestées par des élèves à l’égard de leurs camarades (...), la demande de création d’une aumônerie, le non-respect par des élèves de la minute de silence en hommage au colonel Beltrame (...),la distribution de la Bible aux élèves à la sortie d’un établissement scolaire (...). Certains de ces faits sont incontestablement des atteintes au principe de laïcité, d’autres n’en sont manifestement pas (tels que la demande de création d’une aumônerie, ou la demande d’un élève interne de pouvoir pratiquer ses prières hors des temps de classe...), d’autres n’en sont pas nécessairement (...), d’autres encore relèvent peut-être de provocations d’adolescents ou de conflits relationnels sans lien avec les convictions religieuses (...), d’autres encore peuvent manifester des comportements sexistes, ou à connotation raciste ou antisémite (...), ce qui démontre la difficulté parfois éprouvée pour faire la distinction entre atteinte à la laïcité et atteinte aux autres valeurs de la République".

Des atteintes au conditionnel

A cette difficulté s'ajoute pour leur recension, la présence parmi les faits signalés, de "demandes de conseils sans que des atteintes à la laïcité se soient produites", et qui sont adressées aux équipes académiques pour clarifier un point de droit et "afin de prévenir d’éventuels conflits ou tensions". Les rapporteurs évoquent aussi, mais au conditionnel "l’existence de territoires dans lesquels il y aurait des 'accommodements', plus ou moins implicites, avec le principe de laïcité", ainsi qu'une méconnaissance, "y compris chez les enseignants expérimentés et parfois chez les chefs d’établissement, du cadre juridique et institutionnel définissant le principe de laïcité" et "des approches différentes (...) qui conduisent, dans certaines écoles et établissements, à minorer des faits (...). L’académie de Normandie fait ainsi part de son étonnement de ne pas voir remonter des signalements de la part d’établissements accueillant des jeunes suivis pour radicalisation."

La mission note de plus que "le premier degré apparaît souvent comme insuffisamment pris en compte dans le dispositif" tandis que le "vademecum de la laïcité à l’école" est "très peu connu des enseignants". Lorsqu’il est utilisé, il est avant tout perçu "comme un recueil de 'recettes' donnant des conseils pratiques pour traiter les situations problématiques", mais "rarement compris dans sa dimension d’apport méthodologique pour guider une démarche de diagnostic ou d’analyse de situations". Pour un certain nombre d’enseignants d'ailleurs, "la conception de la laïcité et de son sens (est) davantage affaire de positionnement personnel, idéologique et politique, que de droit, ce qui (peut) entraîner des tensions dans l’équipe éducative, lorsque la question de son application dans l’établissement (est) évoquée".

Le chevalier de La Barre

Le rapport souligne d'ailleurs que "le nombre de situations impliquant des personnels", environ 140 faits signalés de janvier 2018 à août 2019 (suspicions de prosélytisme, délivrance d’un enseignement non conforme au principe de laïcité, port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse) est "très limité au regard du nombre de personnels relevant du ministère de l’éducation nationale".

Mais certains enseignants savent tirer profit d'une atteinte au principe de laïcité. C'est ainsi qu' "à la suite de la contestation par des élèves de la minute de silence organisée dans les établissements scolaires en hommage aux victimes des attentats de janvier 2015", l’équipe éducative du lycée Gambetta de Tourcoing a travaillé avec les élèves d’une classe sur "l’affaire du chevalier de La Barre, dernier condamné à mort pour blasphème en France, en 1766", travail qui "a débouché sur la réalisation d’une pièce de théâtre, puis, finalement, d’un film pédagogique de quinze minutes, intitulé 'Liberté d’expression: à la barre!', dont les acteurs sont des élèves de la classe et leurs enseignants." Le DVD est "libre de droit".

A noter que les inspecteurs généraux, entre autres préconisations, souhaitent la création d' "un module de formation à la laïcité commun à l’ensemble des INSPé pour la formation initiale des personnels enseignants et d’éducation. La mission a constaté une très grande disparité, d’un INSPé à l’autre, dans la formation à la laïcité délivrée aux différentes catégories de personnels enseignants et d’éducation, aussi bien en termes de volume horaire que de contenus."

Le rapport ici

 

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