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Dès la maternelle, les activités extrascolaires choisies pour les enfants sont différenciées selon leur capital culturel et économique (DEPS)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 09 décembre 2020.

"Avec l'entrée en maternelle, la forme scolaire (ses visées et ses modes d'encadrement pédagogiques) étend son emprise sur l'ensemble des temps de l'enfance et déborde l'enceinte de l'école pour imprimer sa marque sur les temps extrascolaires, notamment dans les milieux les plus diplômés." Tel est l'un des principaux constats que font Nathalie Berthomier et Sylvie Octobre, respectivement statisticienne et chargée d'études au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture dans une étude intitulée "Réorganisation des temps enfantins à l'entrée en maternelle des enfants de la cohorte Elfe", qui a été publiée le 30 novembre 2020. Celles-ci montrent en effet, en s'appuyant sur les données d'une cohorte de l'étude longitudinale Elfe (plus de 18 000 enfants nés en 2011 qui ont été suivis depuis leurs premiers jours), comment les parents de classe sociale élevée (en plus d'accorder une place importante au temps d'école) choisissent pour leurs enfants des structures collectives d'encadrement des loisirs, d'activités artistiques et culturelles extrascolaires, mais aussi leurs activités partagées avec eux, autour de l'école qui "devient centrale". À l'inverse, les familles peu dotées en capitaux culturels et économiques ou issues de l'immigration, "renvoient plus nettement les temps extrascolaires au loisir et à la détente et moins aux activités précocement encadrées". Ces choix prennent donc "place dans une stratégie culturelle socialement située".

Pour les familles les plus dotées, il s'agit dès lors de mettre en place des stratégies éducatives afin "de développer les dispositions culturelles que l'école transformera éventuellement en capitaux au fil du cursus scolaire" et celles-ci "en attendent une rentabilité non seulement en matière de développement personnel de l'enfant, mais aussi en matière d'avantage comparatif dans le monde social".

Les familles aisées cherchent à doter leurs enfants de ressources qui paraissent utiles pour le futur

Ainsi, les parents les mieux dotés en capitaux économiques et culturels sont ceux qui vont le plus engager leurs enfants précocément dans des activités extrascolaires encadrées, sportives, artistiques ou culturelles "en visant un enjeu éducatif" : 25 % des enfants dont la mère ou le père est cadre et 27 % des enfants des familles les plus aisées y sont inscrits et 24 % des enfants ont une mère ou un père titulaire d'un diplôme supérieur à bac + 2. Et cette proportion est plus importante encore lorsqu'on observe juste les inscriptions aux activités artistiques et culturelles (même s'il faut noter que seulement 4 % des enfants de trois ans et demi sont inscrits au moins à une activité artistique ou culturelle en amateur) : 53 % des mères de ces enfants et 42 % des pères sont détenteurs d’un diplôme supérieur à bac + 2 et 27 % appartiennent aux familles les plus aisées.

Parce que ces familles peuvent, au regard du coût et des contraintes organisationnelles (gestion des trajets) et parce que "la forme scolaire de la plupart de ces activités" intéresse ce public dont "le but premier est moins d'organiser le temps que l'enfant ne passe pas en classe (...) que de le doter de ressources qui paraissent utiles pour le futur et qui s'ajoutent à celles offertes par l'école". "Pour ces familles, les activités extrascolaires encadrées viennent donc apporter des réponses éducatives complémentaires à celles de l'école et s’insèrent dans un parcours de construction d’un avenir souhaitable pour l’enfant, porté plus particulièrement par les mères", analysent les auteures de l'étude qui observent aussi que ce sont d'ailleurs ces mêmes parents qui sont les plus investis dans l'école (ceux qui assistent aux réunions avec les enseignants et font partie des associations de parents d’élèves), mais néanmoins pas aux sorties.

Lecture active et exercice précoce de la graphie plus fréquents chez ces mêmes familles

De même, ce sont aussi ces ménages qui partagent le plus d'activités avec leurs enfants, avec l'entrée en maternelle, fortement liées aux apprentissages scolaires. Si les interactions avec les enfants, nombreuses et largement organisées autour des apprentissages scripturaux (lire et écrire) et mathématiques, concernent une large majorité des parents (à trois ans et demi, ce sont 98 % des enfants dont l'un des deux parents chante avec lui ou lui fait écouter de la musique, 97 % d'entre eux, avec qui l'un des parents, peint, dessine, colorie avec lui, ou lui raconte une histoire et 93 % à qui ont fait compter ou réciter les chiffres), en revanche, d'autres activités "particulièrement marquées par des visées et des modes de fonctionnement pédagogiques", restent, même si elles sont plus rares, l'apanage des familles des classes sociales élevées.

La lecture active est ainsi particulièrement répandue chez les parents détenteurs du plus fort capital culturel (55 % des enfants dont les deux parents sont diplômés du supérieur la pratiquent contre 47 % des enfants dont les parents sont détenteurs de diplômes inférieurs ou égaux au bac) ou économique (57 % des enfants des familles aux plus hauts revenus la pratiquent contre 50 % de ceux des ménages les moins aisés). Alors qu'ils sont "déjà préconstruits de manières très différentes selon les milieux sociaux au premier anniversaire de l'enfant", les divers rapports au langage "ne convergent pas avec l'entrée à la maternelle", observent les chercheuses.

Et l'exercice précoce de la graphie "relève des mêmes mécanismes socialement situés, quoique les effets sont de plus faible ampleur" (39 % des enfants dont les deux parents sont cadres le font, contre 35 % des enfants dont les deux parents sont employés, ouvriers ou inactifs, de même que 40 % des enfants des ménages les plus aisés contre 36 % des enfants des ménages les plus pauvres).

Le confinement a renforcé les "effets des capitaux culturels" des familles

Enfin, les usages différenciés des écrans sont aussi à corréler au milieu social, même si les écrans sont largement présents dans les occupations de tous les enfants de cet âge. Ainsi, "les enfants qui sont inscrits à une pratique en amateur comptent nettement moins de forts consommateurs d'écrans, qu'il s'agisse de la télévision, de la tablette, de l'ordinateur ou des jeux vidéo sur console ou sur smartphone. Et "il ne s'agit pas seulement d'une incompatibilité d'agendas, les pratiques en amateur n'occupant que marginalement le temps de la semaine à trois ans et demi, mais de normes éducatives socialement situées".

Les mêmes auteures ont produit une autre étude, qui vient d'être publiée ce lundi 7 décembre 2020, sur la recomposition des temps de loisirs qui a été opérée lors du confinement chez les 9 ans. Étude qui a révélé des tendances similaires, notamment des distinctions en termes de volume horaire comme de type de loisir investi selon l'origine sociale. De cette étude ressort que "le confinement a également renforcé les effets des capitaux culturels des familles". Cet effet est notamment sensible en matière de lecture, pratiques artistiques en amateur et jeux de société non connectés puisque 70 % des enfants qui ont un père ou une mère cadre en ont fait plus qu'auparavant, contre 58 % des enfants dont la mère ou le père est employé, et environ 70 % des enfants dont la mère ou le père ont un niveau d'études supérieur à bac +2, contre 59 % des mères et 61 % des pères ayant le niveau lycée.

L'écart est également sensible en matière d'activités physiques puisque les enfants de cadres ont fait plus d'activités physiques dans la cour ou le jardin du domicile.

L'étude "Réorganisation des temps enfantins à l'entrée en maternelle des enfants de la cohorte Elfe" de novembre 2020 ici

L'étude "Loisirs des enfants de 9 ans en situation de confinement" de décembre 2020 ici

Camille Pons

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