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Décrochage : et si les dispositifs éloignés des modalités scolaires préparaient à la précarité ? (Florian Asséré, Paris 8)

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 22 février 2021.

Une efficacité "discutable". Tel est le constat que fait un jeune chercheur sur des dispositifs de rescolarisation de la MLDS (Mission de lutte contre le décrochage scolaire) sur lesquels il a mené une recherche, dans le cadre de sa thèse intitulée "Une déscolarisation de la rescolarisation. Comment l'accompagnement des décrocheurs au sein du dispositif MLDS s'inspire-t-il de celui des chômeurs ?", thèse soutenue en décembre dernier. Dans cette thèse, Florian Asséré (université Paris 8) montre comment le modèle d'accompagnement des décrocheurs au sein du dispositif MLDS s'apparente à celui des bénéficiaires d'aides sociales aujourd'hui (particulièrement des chômeurs) qui tend à s'individualiser, se psychologiser et se contractualiser, modalités d'actions éloignées de la forme scolaire, et livre une analyse des effets de cet accompagnement sur les élèves. Analyse qui n'a pas porté sur la rescolarisation à moyen et long terme - pour laquelle des travaux ont déjà été menés - mais sur des questions de court terme et plus qualitatives à long-terme.

Sur les modalités d'action, le chercheur constate que la volonté de transmissions des compétences sociales "domine" celle des savoirs scolaires, ce à quoi s'ajoute une "attention particulière (...) portée à la personne", les acteurs penchant pour l'idée que les causes du décrochage "tiendraient finalement avant tout à des facteurs personnels et souvent psychologiques". Mais cette "certaine" distance entretenue dès lors avec le fonctionnement ordinaire de l'institution scolaire semble ne pas correspondre aux attentes des jeunes et ne pas avoir des effets positifs, observe Florian Asséré qui souligne entre autres une tendance de ces dispositifs, contrairement à l'objectif affiché, à les préparer à la précarité.

Les témoignages dans la communication officielle valident les effets positifs, alors que "ce rapport au dispositif n'est pas la règle"

De ce travail, le chercheur dégage en effet des "effets pervers de ce mode d'accompagnement". Si la communication officielle au travers de témoignages (par exemple sur le site de l'Éducation nationale) montre des propos de jeunes qui correspondent aux attentes de la MLDS (confiance en soi, ouverture d'esprit, de volonté et développement de rapports interpersonnels), "ce rapport au dispositif n'est pas la règle, bien au contraire", écrit Florian Asséré. De fait, d'ailleurs, les réussites présentées officiellement sont souvent présentées de manière individuelle "du fait de leur rareté". Ainsi, plus ces propos sont recueillis "à proximité du terrain d'enquête", "moins ces thèmes reviennent", les jeunes mettant l'accent sur des sujets qui ne sont pas valorisés ou rejetés par les acteurs des dispositifs, sur les disciplines scolaires ou "le réalisme sur les taux de pression de certaines filières".

Le chercheur note aussi une "forme de rejet" des élèves qui se traduit par les absences ou le chahut observé dans les ateliers. Et, si "les absences des élèves sont nombreuses au sein du dispositif" et tendent "à augmenter au fil de l'année", elles sont "particulièrement fortes et croissantes dans les ateliers qui sont pourtant présentés comme les outils principaux de cet accompagnement".

Ce sont donc les aspects "antiscolaires" qui s'approchent de l'accompagnement social qui semblent susciter le moins d'adhésion des élèves (ateliers, compétences sociales, faible part des disciplines scolaires...). Une façon, chez les jeunes, de revendiquer "leur normalité d'élève", analyse le chercheur pour qui ces "formes de résistance" sont opérées par les élèves "face à la mise à l'écart induite par le dispositif". D'ailleurs, "revient souvent" dans les entretiens l'idée qu'ils sont "traités comme dans une SEGPA", ce qui "confirme" un "sentiment de stigmatisation ressenti par les élèves", l'acronyme de SEGPA étant associé pour eux "à la déviance".

En réalité, un nombre limité d'options pour leur orientation

Si des acteurs ont "conscience de ces réticences" et peuvent chercher à les "lever en maintenant un minimum de cours disciplinaires", certains peuvent les interpréter "comme une preuve supplémentaire du manque de confiance en soi ou d'ouverture d'esprit des élèves", regrette par ailleurs le chercheur. Ainsi, écrit-il, "peu efficaces du point de vue des effets annoncés, de la présence et des appropriations des élèves, les modalités d'actions finissent par reporter sur le décrocheur la responsabilité de sa situation". En effet, l'accompagnement et sa qualité sont conditionnalisés à l'engagement supposé du jeune. Certains intervenants peuvent même adopter une posture de "magistrature sociale", en opérant des distinctions "entre ceux qui méritent ou non leur aide au travers de critères qui semblent trop subjectifs de l'aveu même d'une des coordonnatrices". Pour le chercheur, cette focalisation sur la personne au détriment de l'élève "participe moins de son épanouissement que de la responsabilisation individuelle de sa situation, en lui faisant croire qu'il peut se réaliser (...)à partir de sa capacité à se montrer confiant, ouvert, volontaire et entreprenant".

Enfin, la préparation à la "précarité" est un autre effet pervers observé par le chercheur, les modalités d'accompagnement semblant plus largement préparer à une existence professionnelle précaire réservée aux jeunes peu ou pas diplômés. Ainsi, malgré un discours qui "prône une forme d'épanouissement à travers l'orientation professionnelle, les élèves ont en réalité un nombre très limité d'options et s'inscriront par la suite le plus souvent dans des filières professionnelles aux faibles taux de pression et disponibles dans l'établissement d'accueil". Idem pour les stages, réalisés "dans des domaines situés plutôt dans le bas de la hiérarchie sociale". "Dans son fonctionnement et ses effets, le passage par la MDLS tend à préparer dès l'école ces élèves à un emploi non désiré, voire à une existence faite de solitude, d'attente, de temps partiel et de vide qu'ils risquent probablement de connaître du fait des diplômes peu valorisés auxquels ils auront accès par la suite", conclut encore Florian Asséré qui voit ici se construire à travers ces dispositifs "peut-être un nouveau réseau de scolarisation prompt à créer, dès l'école, l'individualité négative développée par la précarité sociale".

Prolonger cette recherche qui ne constitue pas un "benchmarking"

Mais, insiste le jeune chercheur, on ne doit pas rejeter la faute sur les acteurs même si l'autonomie recherchée "peut les éloigner de l'objectif visé". "C'est tout un ensemble qui explique cette inefficacité" et, entre autres aussi, "le manque de moyens". Il insiste aussi sur le fait que cette étude ne constitue pas un "benchmarking des dispositifs efficaces" mais met juste en évidence, "à court terme", des dispositifs "qui emportent peu l'adhésion, notamment pour les modalités qui s'éloignent du scolaire". D'où la nécessité de prolonger ce travail par des recherches "plus ambitieuses" qui permettraient de comparer plusieurs dispositifs qui se rapprocheraient davantage du scolaire pour voir s'ils suscitent une adhésion différente.

Le chercheur invite aussi à mener des recherches comparatives, alors que l'institution scolaire française ne semble s'en tenir qu'aux aspects pédagogiques à la charge individuelle de l'enseignant et peu prendre en compte "les aspects structurels" comme le nombre d'élèves, d'enseignants et d'assistants-enseignants, logiques structurelles que l'ont retrouve en revanche dans les "modèles nordiques". Là-bas, on privilégie par exemple la présence de plusieurs enseignants en classe, des cours de soutien en petits groupes, alors qu'en France, l'institution, pour pallier ces problèmes scolaires, offre des dispositifs ciblés sur des catégories ou très individualisés et qui "arrivent un peu après coup, après le décrochage".

Cette première étude a porté sur 2 dispositifs dans 2 lycées professionnels de l'académie de Créteil en mêlant entretiens (formels et informels) avec des élèves et anciens élèves, des intervenants extérieurs, une élue affectée à la question du décrochage scolaire, des observations et des observations participantes (par exemple via l'accompagnement durant une année de l'intervenant s'occupant d'un atelier vidéo) et l'étude de 177 questionnaires de coordinateurs (sur les 800 qui exercent au niveau national) et de matériaux divers, institutionnels et médiatiques, ainsi que des matériaux issus de l'enquête de terrain (extraits de cahiers, d'emplois du temps, de bulletins scolaires, etc.).

Camille Pons

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