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Dans l'enseignement professionnel, l'émancipation des jeunesses populaires passe par l'indocilité (ouvrage)

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 27 juin 2022.

Bienvenue au pays “des riens du tout“. Dans le lycée professionnel que décrit Romain, 17 ans, il y a eu du trafic, des gens qui sont rentrés avec des armes, ou encore “beaucoup de bagarres". Claire, en apprentissage, raconte de son côté : “Je cherchais un stage du matin au soir. Toujours Non. Non, alors que j'étais gratuite.“

La violence de ces propos, issus des “coulisses entre l'école et l'entreprise en formation“, témoigne du vécu d'une importante partie de la jeunesse populaire, “des élèves orientés qui endossent la position d'apprenti.e ou d'élève de lycée professionnel, pour préparer un métier relevant du travail d'execution“, selon les mots de Prisca Kergoat.

Et alors que l“'enseignement professionnel est, depuis les années 80, l'objet d'une disqualification sociale et scolaire“, estime-t-elle encore, “en positionnant le CAP puis le bac pro au bas de l'échelle, les politiques éducatives ont précipité la formation professionnelle dans le domaine des filières de relégation“.

La sociologue considère en outre que “la déstructuration du monde ouvrier, associée à la croyance en la moyennisation de la société et en la démocratisation scolaire, tout ceci sur fond de pénétration de l'idéologie libérale, a non seulement contribué à disqualifier les élèves, à les marginaliser, mais aussi à les rendre responsables de leur position et de leur condition.“

"Savoir-être" et "pratiques indociles"

Mais alors que ces jeunes, marqués par un “sentiment croissant d'injustice“ (notamment en raison de multiples “sas de sélection“ qui les répartissent entre filières selon le genre, le niveau social ou l'ethnie d'origine), seraient “particulièrement dociles“, une notion que le management contemporain aurait aujourd'hui remplacée par “savoir-être“ ou “comportement adapté“, Prisca Kergoat y oppose un “démenti radical“ étayé par une riche étude centrée sur les “pratiques indociles“ qu'ils mettent au contraire en place.

Pourtant, filles et garçons “doivent se soumettre aux injonctions des enseignant.e.s“, à savoir “incorporer les dispositions afférentes au métier d'élève et à celles du professionnel". L'appel à l'autonomie et à la responsabilité contribue dès lors “à une mise en conformité de soi avec le modèle de l'entrepreneur“, un modèle “défendu par des milieux économiques et politiques, en France et en Europe, et diffusé au sein même de l'école“.

Mais cette jeunesse de l'enseignement professionnel, qui “consentirait voire collaborerait à sa propre domination“, à l'inverse se soude à travers une “communauté d'expérience“, elle transgresse et subvertit les injonctions de l'école et de l'entreprise. Comme pour Ingrid, selon qui “il faut apprendre à être un caméléon savant“, ces adolescents “mettent en œuvre l'indocilité“, ce que l'auteure nomme une “relative autonomie de pratique et de pensée“, en d'autres termes “la désobéissance, l'insoumission de celui ou de celle à qui l'on dénie le pouvoir, la capacité ou le droit de se rebeller“.

“Il faudrait savoir : on est des salariés ou des enfants ?“ (Désiré, 20 ans). Ainsi, pour Prisca Kergoat “les dérobades autour de la tenue de travail, les positions de retrait, le refus de certaines tâches peuvent être interprétées comme une façon de faire vivre et de revendiquer une culture juvénile, incertaine et toujours menacée.“ Il s'agirait, au final, “de s'emparer prioritairement d'un rapport social, pour tenter de le subvertir et même, pourquoi pas, de s'en émanciper".

Prisca Kergoat, De l'indocilité des jeunesses populaires, La dispute, 275p., 24€.

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