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Réforme de l'apprentissage : des effectifs en hausse, un coût multiplié par deux (Cour des comptes)

Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 23 juin 2022.

Quels sont les effets des mesures concernant la formation en alternance ? Tout d'abord, celle-ci est une “voie en plein essor“, constate la Cour des comptes dans son rapport publié ce jeudi 23 juin. Elle rappelle la dernière réforme, qui résulte de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel et qui a “profondément modifié le pilotage et le financement de l'apprentissage“. A cela s'ajoutent les “aides exceptionnelles“ qui ont été allouées aux employeurs d’alternants à partir de l’été 2020 “pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire“.

Entre 2016 et 2021, le nombre d’entrées de jeunes en alternance est donc passé de 438 000 à près de 800 000, une hausse de 82 % “largement imputable aux années 2019 à 2021.“ Sur cette période, les entrées en apprentissage, soutenues par les aides exceptionnelles ont augmenté de 98 %, en revanche “les entrées des jeunes en contrat de professionnalisation se sont effondrées“ (- 57 %).

Un succès, de nouveaux enjeux

Les sages de la rue Cambon estiment que la réforme due à la loi Pénicaud semble avoir “soutenu la croissance des entrées en apprentissage (+ 15 % en 2019), dans une conjoncture économique propice et grâce à la dynamique tendancielle de l’offre de formation“ et qu'en 2020 et 2021, la création des places répondait “à une demande des entreprises stimulée par les aides exceptionnelles.“ Ils ajoutent qu'avec la prolongation des aides annoncée par le Gouvernement fin mai 2022 “les entrées en apprentissage resteront vraisemblablement à un niveau élevé, compte tenu de la nouvelle offre de formation et de l’appétence des jeunes pour l’apprentissage“.

Cependant, cette “hausse inédite“ des effectifs en alternance “s’est accompagnée d’une évolution du profil des apprentis“ : 63 % des apprentis préparaient un diplôme d’un niveau inférieur ou équivalent au baccalauréat professionnel en 2016, contre seulement 49 % en 2020.

Une recomposition qui, ajoutent-ils, “ne correspond pas aux objectifs historiquement associés à la politique de l’apprentissage, qui jusqu’à présent visait à améliorer l’insertion professionnelle des jeunes présentant les plus bas niveaux de qualification (CAP, baccalauréat professionnel), ceux qui rencontrent le plus de difficulté à s’insérer sur le marché du travail. À partir du niveau de la licence, la plus-value sur l’insertion professionnelle est faible, l’apprentissage améliorant plutôt la qualité de l’emploi obtenu (type de contrat, rémunération, etc .)."

En représentant “un levier d’évolution de l’enseignement supérieur, qu’il contribue à démocratiser, professionnaliser et financer, dans un contexte où de plus en plus de jeunes poursuivent des études supérieures“, selon ce rapport le développement actuel de l’apprentissage dans les niveaux postbac opère un virage et “répond à de nouveaux enjeux“.

Accès

Mais “le nombre d’apprentis préparant des diplômes du secondaire, pour lesquels l’apprentissage favorise le mieux l’insertion, a nettement baissé de 2000 à 2017 et a peu augmenté depuis.“

La Cour des comptes explique à ce sujet que “le potentiel de croissance des apprentis d’âge scolaire est plus faible que dans l’enseignement supérieur, en raison du profil de ces élèves de plus en plus jeunes à la sortie de la classe de troisième, peu mobiles, probablement hésitants à entrer dans une formation plus exigeante que la voie professionnelle sous statut scolaire.“

Et l’apprentissage “reste mal connu et moins considéré par les professeurs de l’éducation nationale“ dont il faudrait “renforcer la formation“ tout comme “les relations entre les établissements scolaires et les CFA.“

De même, l’accompagnement des jeunes “peut être encore amélioré pour limiter le taux de rupture des contrats, qui demeure élevé, en particulier pour les plus bas niveaux de qualification et dans certains secteurs particuliers.“ La sécurisation des parcours des apprentis “appelle à favoriser davantage les passerelles entre voie scolaire et apprentissage, afin qu’un élève puisse entrer en apprentissage au cours de la préparation de son baccalauréat professionnel et puisse éventuellement revenir en voie scolaire en cas d’échec.“

Dernier point, l’accès à l’apprentissage qui reste pour les auteurs du rapport “difficile pour les jeunes décrocheurs du système scolaire, tant les difficultés semblent importantes pour cette population fragile".

Adéquation et contrôle

En outre, il existe pour les sages de la rue Cambon “un risque que la réforme fragilise les formations peu attractives, pourtant nécessaires aux entreprises, et entraîne une évolution de l’offre uniquement fondée sur la demande des jeunes".

Ils s'interrogent également, au vu des retards et des moyens affectés, sur la capacité des missions de contrôle pédagogique des formations par apprentissage, “à contrôler une offre de formation si importante“, depuis la création d'une obligation de certification qualité des CFA (à compter de 2022).

Croisssance du coût des formations

Surtout, la réforme du financement des centres de formation des apprentis “soulève des difficultés“. Si globalement la situation financière des CFA “ne semble pas s’être dégradée“ fin 2020, les CFA situés en zones rurales et positionnés sur des formations peu attractives, ou ceux devant supporter des plateaux techniques coûteux “sont inquiets quant à leur capacité à pouvoir continuer à financer des formations pourtant nécessaires aux entreprises du secteur industriel ou de l’artisanat traditionnel".

A cela s'ajoute un premier exercice de détermination des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage par les branches professionnelles et France compétences qui “a été réalisé sur des bases fragiles“ et qui a “abouti à une croissance du coût des formations par apprenti (d’au moins 17 %) et à des écarts injustifiés entre formations de même niveau et de même domaine.“

France compétences, en “déséquilibre financier“

La Cour des comptes est préoccupée par l'équilibre financier de l'institution, évoquant une “profonde dégradation financière“. Est souligné le montant total des dépenses d’apprentissage, qui était de 5,5 Md€ en 2018 mais qui “pourrait atteindre 11,3 Md€ sous l’effet de l’augmentation du coût des aides et des contrats d’apprentissage".

Elle déplore d'ailleurs que l’étude d’impact de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ne présentait pas d’analyse de la soutenabilité financière de la réforme de l’apprentissage, et que le développement des effectifs d’apprentis, n’ait “pas été anticipé, pas plus que la croissance du coût unitaire par apprenti“.

Les sages s'émeuvent enfin “que de nouvelles difficultés de trésorerie sont prévues dès l’été 2022“ pour France compétences malgré le soutien massif de l'Etat qui lui a versé des subventions exceptionnelles pour un montant de 2,75 Md€ , et un emprunt à hauteur de 1,7 Md€, en raison de déficits enregistrés en 2020 et 2021, causé par une hausse des dépenses d’apprentissage et une baisse des recettes.

“Compte tenu de la situation globale des finances publiques, conclut la Cour des comptes, il est particulièrement important que la stratégie nationale de l’alternance veille à l’efficience de la dépense publique en priorisant les situations où l’apprentissage apporte une réelle plus-value et en évitant les effets d’aubaine, qu’illustre le déport des contrats de professionnalisation vers l’apprentissage.“

Le rapport ici

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