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Psychologues de l'Education nationale : retour vers le futur ? (une tribune de J-P Bellier)

Paru dans Scolaire, Orientation le dimanche 14 avril 2024.

Jean-Pierre Bellier, inspecteur général honoraire, a été chargé par les ministres Vincent Peillon, Benoît Hamon et Najat Vallaud-Belkacem de mener à son terme le projet de création du corps des psychologues de l’éducation nationale. Suite à la publication du rapport de l’IGESR relatif à la situation et à l’évolution des missions des psychologues de l’éducation nationale de la spécialité éducation, développement et conseil et orientation professionnelle (PsyEN EDO) (ici, voir aussi ToutEduc ici), il nous propose une analyse qui, selon la formule consacrée, n’engage que son auteur, mais que nous publions bien volontiers.

Le rapport de l’IGESR relatif à la situation des PsyEN EDO devrait être reçu comme un heureux évènement par la profession toute entière. L’analyse sans concession qu’il propose des raisons des tensions dont ils sont l’objet depuis leur existence constitue un pavé dans la mare qui fera date ; ce pour plusieurs raisons :

d’abord parce que depuis sa création le 1er février 2017 (ici) à l’aube une alternance politique longtemps mutique sur les questions de santé mentale des jeunes, la prise de conscience institutionnelle que le système éducatif dispose d’un corps unique de psychologues de l’éducation nationale hautement qualifiés (Bac+5+1) est en soi une information de choix ;

ensuite parce qu’il ne lui aura fallu que trois années (!) pour que la prédiction des dégâts collatéraux de la pandémie Covid-19 interpelle un ministre et son administration et leur fasse prendre conscience que le confinement d’une génération d’élèves dans des conditions de précarité et de promiscuité parfois pathogènes risquait de provoquer de véritables troubles psychiques à la fois cognitifs, sociaux et comportementaux ;

enfin parce qu’il était utile que l’institution s’interroge sur les travers d’une vision nostalgique des concepteurs de Parcoursup assignant aux PsyEN EDO des missions relevant du registre information/orientation, au mépris de leurs missions statutaires et à un moment où la compétence orientation interrogeait avec plus d’insistance la sphère pédagogique…

La psychologie "de et dans" l’éducation

Tout dans ce rapport met en exergue le fait que le décret fondateur, s’il pose le principe de disposer d’une compétence avérée de psychologue dans l’éducation nationale, a subi les offensives traditionnellement coutumières d’une résistance au changement institutionnel : "Mis à part la mise en œuvre des dispositions statutaires relatives au recrutement, à la formation initiale et à l’évaluation des agents dans le cadre du PPCR, l’institution n’a pas vraiment accompagné l’évolution portée par le décret du 1er février 2017, à savoir disposer d’un corps de psychologues de l’Education nationale au service des enfants et des adolescents pour leur développement psychologique, social et cognitif. Si ce statu quo ante n’a pas vraiment perturbé l’exercice professionnel des PsyEN EDA (éducation, développement et apprentissages, intervenant auprès d'élèves du 1er degré, ndlr), les réformes intervenues depuis 2017 ainsi que le contexte de fragilité croissante de la santé mentale des élèves ont sensiblement mis en tension les missions des PsyEN EDO, laissant ces personnels dans l’insatisfaction professionnelle de ne pouvoir y répondre." Dans ce contexte, que quatre inspecteurs généraux interpellent leurs ministres de tutelle sur le bien-fondé des choix opérés dans la mise en œuvre de la politique d’orientation de ces dernières années, notamment en termes de prise en compte de la réalité des besoins des adolescents, est un évènement loin d’être négligeable.

La publication de ce rapport nous oblige à nous rappeler comment la création de ce corps unique et ses deux composantes, en définitive validée "a posteriori" par l’inspection générale, résulte d’un compromis historique entre organisations familiales, professionnelles et syndicales, ministres en charge de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Santé. Prémonitoire, le dossier constitué en 2017 par le Syndicat National des Psychologues, intitulé "Dynamisme et résistances dans l’Education nationale" (voir aussi l'article d'Eliane Gamond ici) en résume les subtilités. Quoi qu’il en soit la conclusion et les recommandations de l’inspection générale sont riches d’enseignement puisqu’elles proposent de passer par pertes et profits ces résistances et de nous projeter dans un avenir où la psychologie "de et dans" l’éducation pourra et devra occuper toute sa place.

Rien ne doit nous faire oublier ce tournant décisif. L’histoire retiendra néanmoins combien le décret fondateur du corps de PsyEN résulte d’un long chemin, souvent pavé d’embûches, parcouru depuis la préconisation historique du plan Langevin-Wallon en 1947 (ici) de faire profiter le système scolaire des apports de la psychologie pour l’éducation et l’orientation. Toutefois, refusant de s’appuyer sur cette science faussement qualifiée de "molle", l’institution éducation nationale s’était évertuée à la maintenir dans un registre essentiellement limité, au collège et au lycée, à des prestations de bilan, d’information et de conseil en orientation. En 1991, sous la pression des organisations syndicales, le ministère avait certes été contraint d’amarrer, dans le second degré, le titre de psychologue à celui de conseiller d’orientation mais il s’était en même temps employé à limiter pour l’essentiel l’intervention du conseiller d’orientation-psychologue… à l’information et à l’orientation. Bref sans vraiment en changer le référentiel.

L’année 2012 aura été celle d’un renversement de tendance puisque les groupes de travail relatifs à la refondation de l’école de la République, dans le second degré particulièrement, ont fait ressortir la nécessité de doter le système éducatif d’une compétence indiscutable en psychologie autre que celle strictement axée sur le conseil en orientation. Il n’aura pas été de trop de profiter de la continuité d’un mandat présidentiel et de la volonté commune de trois ministres de l’Education nationale successifs pour neutraliser les résistances au changement, désamorcer les procès en diabolisation, se débarrasser du poids de décennies d’hostilité de l’Education nationale peu disposée à comprendre ce qu’apporte la psychologie au fonctionnement de l’Ecole. Avec, en point d’orgue de cette période, la publication du décret fondateur donnant toutes leurs dimensions aux deux spécialités de PsyEN.

Retour à la case départ !

Mais, disons-le sans fausse pudeur, les années Blanquer et consorts marqueront une régression sans égal dans ce domaine voire, pour les PsyEN EDO, un retour à la case départ ! Quant à la psychologie, sous l’influence d’un conseil scientifique monomaniaque, elle ne sera mise en avant que de façon caricaturale, laminée par un discours neuroscientifique jusqu'au-boutiste niant la richesse d’une discipline, dans le champ des sciences humaines et sociales, forte de ses multiples composantes. Plus que jamais il apparaît, aujourd’hui, que c’est de cette science dans sa diversité, science du singulier, des embuches, des petits riens qui perturbent les enfants dans leurs trajectoires, dont l’éducation nationale a besoin. Car celle-ci ne peut ignorer indéfiniment les tensions qui règnent à l’intérieur comme à l’extérieur de ses murs ; elle a tout à gagner à s’appuyer sur l’éthique d’une discipline de la réussite comme de la vulnérabilité, de la singularité comme de la fraternité*.

Le devenir et la pertinence des contributions des PsyEN EDO (comme EDA) pour faire "corps unique" dépend donc de la capacité d’un ou d’une ministre et de son administration à ne pas se laisser entraîner par les propos de pseudo experts dont les postures ne font que refléter une opinion individuelle ; l'ultracrépidarianisme (le fait de s'exprimer hors de son domaine de compétence, ndlr) est monnaie courante au sein de l’intelligentsia éducative… Il ne nous reste donc plus qu’à souhaiter que la nouvelle ministre de l’Education nationale prenne connaissance de l’analyse objective et factuelle de son inspection générale ; et qu’elle en tienne compte !

Si besoin un clin d’œil comme post scriptum ?

Pour citer un exemple auquel la France se réfère fréquemment, la Finlande, pays reconnu pour la réussite scolaire de ses élèves, où les enfants sont heureux d’aller à l’école**, les homologues de nos PsyEN y sont de trois à cinq fois plus nombreux que dans l’école française***. Les établissements secondaires en sont dotés à raison d’un pour 200 élèves, ce qui leur permet d’être disponibles pour tous les élèves qui peuvent venir les consulter à la demande pour être guidés dans leurs études et bénéficier aussi d’une écoute attentive et experte en cas de besoin. Même si l’élève n’en ressent pas l’urgence, il devra rencontrer un tel interlocuteur au moins deux fois par an !

* Pour reprendre les termes d’Abdennour Bidard, Lettre ouverte au monde musulman, Ed Les liens qui libèrent, 2015.

**  L’éducation en Finlande : les secrets d’une étonnante réussite "Chaque élève est important" Paul Robert, Principal du collège Nelson Mandela de Clarensac (Gard), 2006.

*** Voir le Rapport de Marie Rose Moro et Jean-Louis Brison "Bien être et santé des jeunes", remis au Président de la république le 29 novembre 2016 (ToutEduc ici)

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