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Créer du lien entre les enseignements professionnels secondaires et supérieurs (une tribune de D. Bloch)

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 29 décembre 2023.

Voici la 3ème des tribunes que le recteur Daniel Bloch* propose aux lecteurs de ToutEduc (voir aussi ici et ici). Comme les deux autres, les opinions qui y sont exprimées n'engagent que leur auteur, elle est "en clair" et peut donc être "forwardée" sans modération.

Le discours "fondateur" du Président Emmanuel Macron, prononcé le 4 mai 2023, à Saintes, et consacré à l’enseignement professionnel, ne traite pas des enseignements professionnels supérieurs sauf par référence aux quelques six semaines de préparation à la poursuite d’études des bacheliers professionnels, introduites au dernier trimestre de terminale, six semaines considérées comme suffisantes - on peut légitimement en douter -, pour améliorer significativement le taux de réussite des bacheliers dans la suite de leurs études. Un taux de réussite aujourd’hui particulièrement bas. Ce traitement, "en silo", de l’enseignement professionnel secondaire, peut conduire à quelques avancées "incrémentielles", alors qu’il eût fallu un projet en rupture pour traiter de l’enseignement professionnel, qui est aujourd’hui en grande souffrance notamment en raison de l’absence de connectivité entre les enseignements professionnels secondaires et supérieurs.

La plupart des 170 000 bacheliers professionnels - au moins 85 % d’entre eux - envisagent de poursuivre leur formation en vue d’obtenir un BTS, avec alors un accès facilité à l’emploi, et à un type d’emploi cohérent avec le niveau et la spécialité de leur diplôme. Si la moitié des bacheliers professionnels candidats à l’entrée en STS y accède, la moitié seulement d’entre eux obtient un BTS. Des élèves en échec, et un gâchis pour notre économie qui manque massivement de techniciens supérieurs, particulièrement pour l’industrie.

Ces vingt dernières années ont connu deux tentatives significatives de mise en synergies des enseignements professionnels secondaires et supérieurs. Toutes deux réussies sur le court terme, lorsque ces enseignements relevaient d’un ministère en charge tout à la fois du secondaire et du supérieur, mais à l’arrêt, dès lors que la liaison entre la rue de Grenelle et la rue Descartes se trouvait rompue.

C’est ainsi, pour la première d’entre elles, qu’ont pu être mis en place des Lycées des métiers sous le ministère de Jacques Lang (2000 – 2002), Jean-Luc Mélenchon étant alors ministre délégué aux enseignements professionnels. Pour Jean-Luc Mélenchon, le "Lycée des métiers" devait rassembler des filières de formation préparant à un ensemble de métiers relevant du même secteur d'activité économique, des formations de tous niveaux, y compris relevant des enseignements supérieurs, avec, bien sûr, des sections de techniciens supérieurs préparant au BTS, mais aussi des formations conduisant à la licence professionnelle que Claude Allègre venait d’instituer, et dont il voulait contribuer à la réussite. Ces lycées des métiers devaient recevoir de multiples publics, sous statut scolaire ou étudiant, en formation continue ou en apprentissage. Après un départ réussi, progressivement, ces lycées des métiers devaient sombrer, dans l’anonymat, se transformant en une simple signalétique, près de mille lycées en portant aujourd’hui le nom. Oubliés, ou presque par l’Éducation nationale qui en a la tutelle.

La seconde tentative se rapporte aux Campus des métiers et des qualifications, créés dans leur principe en 2013 par Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, et développés par Najat Vallaud-Belkacem entre 2014 et 2017, elle-même ayant, comme Jack Lang précédemment, autorité à la fois sur les enseignements secondaires et supérieurs. Ces Campus constituent de fait une résurgence du projet initial de Lycées des métiers, mais avec des ambitions accrues. Il s’est ainsi agi, avec Najat Vallaud-Belkacem, de transformer ce qui n’était au départ qu’un simple label en une structure organisée, localisée, dotée des directeurs opérationnels ayant, pour la plupart, exercé des activités en entreprise. Des directeurs dont on attendait qu’ils se comportent en véritables managers, en charge de constituer chacun de ces campus tout à la fois à la fois comme des chaînons reliant les enseignements professionnels secondaires et supérieurs mais aussi comme des éléments du développement économique et social territorial, de sorte qu’ils ont pu être inscrits dans une convention relative aux "Territoires d’innovation pédagogique" signée le 20 septembre 2017 entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations.

Mais, une fois encore, avec le découplage, au niveau ministériel, des enseignements professionnels secondaires et supérieurs, ce dispositif s’est, en pratique, refermé sur lui-même, ne laissant plus guère d’espace aux établissements d’enseignement supérieur, à l’exception des quelques campus encore placés sous leur responsabilité directe, mais bien loin d’être ces "Harvard de l’enseignement professionnel" vantés par Jean-Michel Blanquer, qui succédant, en 2017, à Najat Vallaud-Belkacem, les transforme en réseaux académiques, ou régionaux, repliés pour la plupart, de fait, sur le secondaire, des campus virtuels, délocalisés, avec des directeurs opérationnels supposés, sans véritablement de moyens, coordonner jusqu’à plusieurs centaines de partenaires : des Campus de papier glacé. Le Président de la République, dans son allocution du 4 mai semble tout en ignorer, et notamment leurs capacités établies à développer les relations entre les enseignements professionnels et les entreprises. C’est ainsi qu’il propose de renforcer ces relations en instituant, dans chaque lycée professionnel, un Bureau des entreprises (BDE), une décision bien venue. Mais une création ex-nihilo, sans interactions instituées avec les deux structures préexistantes, Lycées des métiers et Campus des métiers et des qualifications, qu’ils auraient pu efficacement renforcer, et pour le directeur qui en à la charge, un domaine d’intervention limité aux enseignements secondaires.

Franchissons une dernière étape, de nature davantage "macroscopique". À l’an 2000, nous "produisions" 250 000 bacheliers technologiques ou professionnels. Vingt-deux années plus tard, 70 000 bacheliers s’y sont ajoutés. Comment justifier de ce que, sur cette période, le nombre d’inscrits en STS ait été réduit de 20 000 et celui des inscrits en IUT de 10 000 alors que le nombre de bacheliers augmentait ainsi de plusieurs dizaines de milliers ? Un pilotage à réinstaurer.

* Daniel Bloch est l’auteur de l’ouvrage intitulé "Une histoire engagée de l’enseignement professionnel" paru en 2022 aux Presses universitaires de Grenoble, et également d’un second ouvrage, à paraître, début 2024, aux Presses universitaires de Grenoble, sous l’intitulé "Quel avenir pour l’enseignement professionnel ?".

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