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EREA : des établissements oubliés et un potentiel mal utilisé (inspection générale)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 02 avril 2014.

Depuis une dizaine d’années, les thèmes du décrochage, des sorties sans qualification, de la scolarisation des élèves en situation de handicap et des internats ont pris une importance grandissante sans susciter d'intérêt particulier pour les EREA. Créés, pour 80 % d’entre eux, depuis une cinquantaine d’années, les établissements régionaux d’enseignement adapté prennent pourtant une part active dans le traitement de ces sujets, autant par les publics scolarisés – relevant de la difficulté grave et persistante – que par la spécificité de leur fonctionnement. Ce sont, en effet, les seuls établissements où enseignent majoritairement des professeurs des écoles – théoriquement spécialisés – au profit d’élèves relevant tous du second degré. Ce sont, aussi, des établissements au sein desquels l’internat joue un rôle éducatif déterminant. Enfin, ils se donnent pour objectif d’assumer une double fonction de prévention de l’échec scolaire et de conduite vers l’autonomie sociale, qu’ils assument en particulier grâce à des taux d’encadrement très favorables et des projets adaptés … Ces éléments sont tirés du rapport rendu en septembre dernier par Didier Jouault, inspecteur général de l'éducation nationale, et récemment mis en ligne par le ministère. Les EREA y apparaissent comme "des structures porteuses d'avenir" mais comme "des établissements oubliés": le dernier texte les concernant est une circulaire de 1995 qui prévoit leur transformation en LEA (lycées d’enseignement adapté) pour la rentrée suivante. Elle n’a été appliqué que dans moins de 15 % d’entre eux. Des décisions nationales fortes semblent donc s’imposer, ainsi que leur déclinaison active par les autorités académiques.

L'expression LEA a disparu

Aucun texte ultérieur, en effet, ne revient, avec la constance ferme nécessaire, sur cette évolution radicale, bien qu’elle exigeât des instances locales à la fois une autre répartition des élèves jusqu’alors scolarisés dans des SEGPA (Section d'enseignement général et professionnel adapté) des collèges et un remodelage profond de la carte des formations en CAP, lui-même couplé à une restructuration des plateaux techniques, dans la mesure où la population désormais exclusivement lycéenne posait des exigences nouvelles en termes de machines, d’espaces, etc. À cette absence de pilotage et d’impulsion durable, il faut sans doute ajouter l’aspect complexe et coûteux de la mise en oeuvre – impossible pour la rentrée suivante – ainsi que la nécessité d’un partenariat dynamique avec les Régions, dont les programmations suivent des rythmes plus pragmatiques. Il en résulte que les EREA sont, pour leur majorité, restés tels quels.

D’autres – sous l’impulsion d’un inspecteur d'académie audacieux ou d’une région – ont entamé l’évolution attendue, quitte à l’interrompre en cours de route faute de pilotage national. En effet, très vite, l’expression "LEA" a disparu de tout texte, bien que la circulaire de 1995 les instaurant n’ait jamais été revue. De sorte que, créés en 1985, en apparence bousculés par la circulaire de 1995, les EREA répondent toujours à la description originelle, presque trente ans plus tard, même si plusieurs modèles coexistent. Et depuis une décennie, aucun texte n’a été pris au sujet des EREA, dans un environnement politique et institutionnel pourtant d’une remarquable richesse. On constate d’ailleurs, avec intérêt, que tel EREA met en oeuvre tel aspect de ces évolutions. Mais c’est toujours parce que l’équipe de direction – comme de manière spontanée – s’est emparée des éléments de réforme qui lui paraissaient correspondre soit aux besoins de son public, soit à des aspirations d’enseignants, soit à une culture locale, et non pas en fonction d’instructions spécifiques ou d’un regard particulier de l’institution. Les EREA ont pu s’intégrer dans le cours de réformes importantes, mais à chaque fois à des degrés et selon des rythmes "locaux" et en se considérant comme des "EPLE de droit commun, en plus spécialisés" pour reprendre l’expression d’un directeur.

Seuls 11 EREA ne scolarisent que des lycéens, les autres ont aussi des SEGPA

Il y aurait là, pour un chercheur, un utile travail d’étude sociopolitique relatif au pilotage du système. Les chiffres, comme toujours, permettent d’analyser la réalité. À la rentrée 2012, sur 79 EREA (tous publics confondus), seuls 11 ne scolarisent que des élèves de lycée (en CAP), sans collégiens. Ils accueillent 1 390 élèves, sur les 10 373 dénombrés par l’enquête de la DGESCO (direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale), soit 13,4 %. On mesure à travers ces données à quel point l’élan vers la transformation en LEA n’a jamais été généralisé. S’il est un endroit où existe, toutefois, le LEA, c’est dans la conscience et la parole des grands élèves (CAP) rencontrés par le rapporteur en EREA, et qui insistent toujours avec vigueur sur leur qualité de lycéens – en particulier, bien entendu, parce qu’elle leur semble porteuse de droits plus étendus que ceux des "petits" : les collégiens de la SEGPA.

Le rapport insiste, sans la moindre équivoque, sur le fait que le réseau actuel des EREA doit être préservé même si leur problématique majeure est celle de nécessaires évolutions. Mais les visites relèvent surtout des pilotages éclairés, des réussites d’équipes, des projets de qualité, un engagement professionnel de nature à permettre les évolutions, les innovations, voire à les anticiper. Car, notamment en certains lieux, des équipes mobilisées et cohérentes accomplissent un travail tout à fait remarquable de resocialisation, de retour à l’estime de soi, d’accompagnement vers le plus grand succès scolaire et d’insertion professionnelle possible pour des élèves en si évidente situation de difficulté. De plus, les parcours des élèves et la présence qu’on souhaite obligatoire en internat permettraient, pour Didier Jouault, de très intéressantes expérimentations de nature pédagogique. Ainsi, il s’étonne que les pratiques soient si peu formalisées, "subjectives et spontanées". Pour lui, il serait dommageable au système dans son ensemble que les réussites des EREA ne fussent pas mises à disposition d’un plus grand nombre, et d’abord des enseignants en formation.

Des centres de formation pour les ESPE

Dans le cadre de nouvelles instructions souhaitées, les EREA, du moins ceux dont les projets et fonctionnements auraient été spécifiquement revalidés par l’autorité académique, doivent devenir des centres d’innovation et de formation sur la mise en oeuvre de projets éducatifs et la prise en charge d’élèves en grande difficulté. L’expertise des enseignants, dans les cas d’EREA "porteurs", ne doit pas rester limitée ni à un espace réduit, ni à un public restreint. On peut imaginer, pour ce faire, des solutions diverses dont aucune ne passe par un accroissement de moyens. Il semble raisonnable de penser que le meilleur niveau d’analyse de la proposition et des besoins est le département parce que l’EREA y est (un peu) connu parce qu’il est proche. C’est toutefois dans le cadre des actions mises en place par les PAF (plans académiques de formation) que ces formations devraient s’organiser, s’agissant de transferts d’expérience et de savoir-faire qui concernent des élèves du second degré. C’est aussi dans le domaine – essentiel – de la formation initiale de tous les futurs enseignants que certains EREA pourraient devenir l’un des maillons du processus formatif mis en place au sein des ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), en accueillant des enseignants ou en exportant leur savoir-faire.

Les dispositions prises par la loi de 2013 s‘agissant de "maîtres formateurs, conseillers pédagogiques" ou du fonctionnement des ESPE permettent de faire entrer le travail des enseignants d’EREA dans le cadre institutionnel de la formation. Il pourrait en être de même pour la formation continue. Sous réserve d’une validation systématiquement organisée par les corps d’inspection dans le plus proche délai possible, le "noyau actif" des équipes éducatives peut être mobilisé, selon diverses modalités: stages in situ, visites, conférences extériorisant l’EREA, intégration dans les formations du PDF (plan départemental de formation) et du PAF, animations départementales... En outre, à ce jour, ce qui précisément distingue une SEGPA de collège de "la" SEGPA de l’EREA, c’est incontestablement l’existence de l’internat "éducatif" pour lequel les EREA ont su passer –comme l’exprime l’un des directeurs – "de l’internat-pensionnat à l’internat-scolarisation accompagnée". L’une des problématiques centrales de l’enquête provient précisément de ce constat : l’EREA, c’est d’abord "l’internat" et donc, des internes, en nombre toujours élevé. Plus de 50 % des élèves sont internes, dans un grand nombre d’établissements et dans certains EREA, ce chiffre atteint 80 voire 100 %. Mais les EREA proposent 5 826 places alors que 4 498 internes étaient présents en septembre 2012: 1 328 places sont sans occupant(e).

Des internats à ouvrir à d'autres élèves

Il faut donc se tourner résolument vers des solutions d’ouverture de l’internat sur l’environnement scolaire. Un effort d’organisation doit permettre d’ouvrir les places vacantes à des collégien(ne)s ou lycéen(ne)s en difficulté sociale, toujours scolarisé(e)s dans leurs établissements, mais auxquels l’internat de l’EREA apporterait une réponse utile et une meilleure chance de succès. De ce point de vue, un véritable objectif serait de faire des EREA des internats mieux centrés, sans homogénéité mais sans grand écart, et en veillant à une politique dynamique de recrutement des élèves, ni "médical" ni "excellence" : social. Cela exigerait une campagne d’information active et claire axée sur la possibilité éducative de l’internat ; ce que mettent en oeuvre quelques EREA et un petit nombre de départements atteste de la faisabilité de l’opération. Et on devrait veiller, en particulier, à un admission équilibrée des adolescents des deux sexes, en tenant compte des champs professionnels ; les formations souvent dites "masculines" de CAP ne doivent plus empêcher les admissions de jeunes filles.

Les projets d’internat, en eux-mêmes, sont parfois remarquables dans leur conception et leur réalisation dans la durée en ce qui concerne l’accompagnement progressif très réfléchi et fortement maîtrisé des élèves vers l’autonomie : ils témoignent d’une réflexion pertinente sur la séparation "lieux de vie /activités construites / activités autonomes / espaces libres / lieux de repos, etc." et d’une recherche de réponses adaptées, par une proposition de choix cohérents, progressifs, évalués. Ils font l’objet de création (ou appropriation) de documents visant à mettre en place les conditions réelles d’une évaluation éducative partagée.

Ne plus distinguer les enseignants éducateurs des enseignants faisant classe

Le rapporteur fait au total seize recommandations, parmi lesquelles: "refonder les cartes de formation (...) avec un interlocuteur unique, l’autorité académique"; développer explicitement dans chaque EREA la fonction de "conseiller insertion"; repenser l'orientation des élèves selon des besoins éducatifs et sociaux particuliers; faire des EREA des centres académiques (départementalisés) de recherche et de formation dans le domaine de la prise en charge éducative d’élèves en grande difficulté scolaire et sociale; limiter l'affectation des personnels "à des personnels spécialisés; ne plus distingue les postes "classe" des postes "éducateurs" et instituer une "inspection transversale", une évaluation croisée et un accompagnement commun des diverses catégories d’enseignants, faisant ainsi de la prise en charge continuée des élèves un objet d’inspection et donc d’avis formatifs.

Le rapport "Les EREA en 2012 : après 50 ans, des établissements oubliés ou des structures porteuses d'avenir ?" (ici)

Arnold Bac

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