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SNES : les enjeux d'un congrès quand le syndicat n'est plus dans l'opposition (L Frajerman)

Paru dans Scolaire le mercredi 26 mars 2014.

Le SNES, le syndicat FSU du second degré, réunit son congrès la semaine prochaine, du lundi 31 au vendredi 4 avril. Santé du syndicat, relations avec le ministère, entre tensions et dialogue social, atmosphère dans les établissements et situation des enseignants... ToutEduc a demandé à Laurent Frajerman, chercheur à l'institut de recherches de la FSU et au Centre d'Histoire sociale de Paris-I de décrypter les enjeux du congrès.

ToutEduc : Ce congrès est le premier depuis l'alternance de 2012. Est-ce que cela lui donne une couleur particulière ?

Laurent Frajerman : Oui. Le SNES était avec Luc Chatel, et avant lui avec Xavier Darcos, dans une logique d'opposition frontale, le ministre bloquant toute discussion. Ce n'est plus le cas. Vincent Peillon comprend, du fait de son histoire personnelle, les problématiques des enseignants du second degré, et on a senti de sa part une volonté de ménager le SNES, qu'il s'agisse de la discussion sur les statuts ou sur les professeurs des classes préparatoires. Du côté syndical, les dirigeants ont évité toute crispation sur les mots, par exemple lors de la grande concertation de l'été 2013 quand il a été question du socle commun... Au fond, la matrice explicatrice de cette "paix armée", c’est le souvenir du désastreux conflit entre Claude Allègre et le SNES, dans les années 1990. Le congrès sera donc l'occasion de faire le bilan des relations du syndicat avec le ministère autant qu'avec le ministre lui-même.

ToutEduc : Vous avez évoqué les statuts. Le projet de décret sera soumis au CTM (comité technique ministériel) deamin 27 mars, donc avant le congrès. Pensez-vous que le SNES le votera et que cela fasse débat à Marseille ?

Laurent Frajerman : A l'heure où nous parlons [mardi 25, ndlr], le bureau national ne s'est pas encore prononcé. Il est inscrit dans la culture du SNES de se battre jusqu’au dernier moment pour obtenir le plus possible. Il présente donc des amendements qui seront débattus au CTM. Mais il est probable que le SNES votera le texte, et cela fera débat au sein même de la tendance majoritaire du syndicat, "U et A" (unité et action). Certaines sections académiques, comme Créteil et Lille, sont sur des lignes plus dures, d’opposition plus constante. La minorité "Ecole émancipée" aussi. A mon avis, ce conflit, ancien dans le SNES, reste pour l’essentiel confiné au niveau des directions (bureau national, responsables des sections), il n'irrigue pas l'ensemble du corps militant et touche encore moins les syndiqués. Mais l’un des enjeux sera l'atmosphère du congrès, assisterons-nous à des débats vifs, le secrétariat général sera-t-il remis en cause globalement ? D’autant qu’est à l’ordre du jour le remplacement de Daniel Robin, co-secrétaire général qui prend sa retraite.

ToutEduc : Quels sont les termes du débat ?

Laurent Frajerman : Le texte cite le statut de la fonction publique, et certains, Emancipation notamment, pensent qu'il pourrait contribuer à un alignement des obligations de service des enseignants sur celles des autres fonctionnaires, via une annualisation. Cela me paraît faux, puisque ce projet prévoit clairement des maxima hebdomadaires et qu'il est dérogatoire du statut général, auquel il faut bien qu'il se réfère, à moins d'imaginer une 4ème fonction publique ! En réalité, ce débat en masque un autre, que je viens d’évoquer. La direction entend prouver qu'elle ne pratique pas l'opposition systématique, qu'elle peut signer des textes négociés à froid, et la minorité le lui reproche, elle estime qu'elle est trop proche du pouvoir socialiste. De ce point de vue, la note de Terra Nova (fondation influente au PS), très hostile au SNES, montre que cette proximité est toute relative ! Ajoutons que si le dialogue social s’est rétabli entre la direction du syndicat et le ministère, l'atmosphère dans les établissements n'est pas toujours à cette image.

ToutEduc : Voulez-vous dire que les relations entre les enseignants et les chefs d'établissement sont mauvaises?

Laurent Frajerman : C'est très variable selon les personnes et les lieux, mais le clivage s’accentue aujourd’hui. Une génération de personnels de direction a été formée à l'ESEN dans les années Sarkozy et y a acquis une "culture du management". On leur a expliqué qu'un établissement se gérait comme une entreprise, de manière autoritaire. L'alternance a mis ce discours en sourdine, mais les pratiques demeurent, d’autant que le principal syndicat des proviseurs et principaux, le SNPDEN-UNSA exerce une influence forte au ministère. Ainsi, le SNES reproche au SNPDEN d’encourager ses membres à ne faire voter la dotation horaire globale (les moyens dont disposera l'établissement l'année suivante) par leur conseil d'administration qu'à la fin de l'année scolaire, quand il est trop tard pour peser sur les choix... Certains se sont imaginé que cela affaiblirait le syndicalisme, mais au contraire, lorsque les militants résistent, l’action du SNES rassure les enseignants et il se renforce.

ToutEduc : Voulez-vous dire que les professeurs sont inquiets ?

Laurent Frajerman : Oui, bien sûr. C'est d'ailleurs ce qui explique l'émotion qu'a suscitée le conflit sur la rémunération des professeurs des classes préparatoires. Les enseignants non concernés auraient pu se désolidariser. Tout au contraire, ils y ont vu un précédent. On revenait sur des avantages acquis, on baissait les salaires de fonctionnaires... comme en Grèce !

ToutEduc : Traditionnellement, les congrès ont aussi un volet "vie syndicale". Cette question en recouvre souvent une autre, la santé du syndicat...

Laurent Frajerman : Comment adapter les formes du militantisme et les structures syndicales à notre époque ? Le SNES, dans la période antérieure, a perdu des adhérents. Cette année, il en gagne. Les chiffres exacts seront donnés à Marseille, mais ce sera de l'ordre de 700 parce que le syndicat a mis en place l'adhésion directe, via son site, et non plus seulement en s'adressant aux militants des établissements. Il y a au moins un syndiqué, susceptible de faire au minimum boîte aux lettres, de recueillir les chèques, dans 95 % des lycées et collèges. Or quelque 5 000 adhésions, dont plus de 4 000 renouvellements, sont passées par Internet. C'est un nouveau rapport au syndicat qui se met en place, sans la médiation du niveau établissement et de l'action locale. Celle-ci reste la plus opératoire pour une vie syndicale riche, mais l’enjeu est de combiner les deux.

Dernier livre publié : "Les frères ennemis. La Fédération de l'Éducation nationale et son courant unitaire sous la 4e République", Paris, Syllepse, 2014, voir ToutEduc ici

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