L'histoire secrète de la réforme des rythmes scolaires (interview de Claude Lelièvre)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le mardi 18 mars 2014.
Mots clés : Rythmes, Lelièvre, Peillon, SNUIPP, Darcos
La question des rythmes scolaires ne constitue pas un enjeu pour les municipales, tout le monde en convient aujourd'hui, alors qu'elle aurait pu constituer un cheval de bataille pour l'UMP, ou, au contraire, un argument pour les maires qui l'auraient mise en oeuvre dans la mesure où les enfants rentreraient satisfaits de leurs activités à la maison. ToutEduc a demandé à Claude Lelièvre, historien, mais aussi acteur et témoin privilégié de cette réforme d'en retracer les origines.
ToutEduc : Quel a été votre rôle dans la rédaction de l'appel de Bobigny ?
Claude Lelièvre : A l'époque [en 2010, ndlr], la victoire de la Gauche à la présidentielle était loin d'être acquise, et il ne faut pas imaginer des organisations se préparant à l'exercice du pouvoir. Mais plusieurs syndicats, dont le SNUIPP [le syndicat FSU du premier degré, ndlr] ont compris, dans le prolongement des rencontres de Brest organisées par les Francas et de Rennes organisées par la Ligue de l'enseignement, l'importance que prenait notamment la question des PEL et des PET (projets éducatifs locaux et projets éducatifs de territoire). Yves Fournel, adjoint au maire de Lyon et président du réseau français des villes éducatrices, a réuni une sorte de cartel où la FSU a progressivement pris toute sa place. Il avait aussi prévu un groupe d'experts en appui. Petit à petit, la plupart de ces experts ont disparu, et finalement, j'ai été amené à jouer le rôle du ''diplomate'' entre certaines organisations.
ToutEduc : L'appel porte sur plusieurs sujets, dont la question des rythmes. Savez-vous pourquoi Xavier Darcos avait décidé de supprimer le samedi matin travaillé ?
Claude Lelièvre : J'en ai parlé avec lui en octobre 2007. Son grand projet, c'était la réforme du lycée, moins d'heures de cours et davantage d'individualisation des parcours. Il a pensé qu'en allant dans ce sens dès l'enseignement primaire pour une réforme que le SNUIPP – membre de la FSU – devrait endosser, il pouvait s'aménager une bases argumentative forte vis à vis du SNES [le syndicat FSU du second degré, ndlr]. Il savait, les enquêtes d'opinion étaient claires là-dessus, qu'une majorité de parents et d'enseignants voulait la suppression des cours le samedi matin. Il offrait une quasi journée en moins aux enseignants du premier degré...
ToutEduc : Vous voulez dire "une demi-journée" ?
Claude Lelièvre : Non. Un enseignant parisien qui habite en banlieue et qui fait plus d'une heure de trajet aller et plus d'une heure retour, raisonne en journées. Xavier Darcos leur offrait un A-R en moins et 2 h en petits groupes contre 2h devant classe entière. Mais in fine les lycéens sont sortis des établissements, les ont bloqués ; la réforme du lycée a été abandonnée, et Xavier Darcos a dû quitter la rue de Grenelle...
ToutEduc : Comment avaient réagi les syndicats ?
Claude Lelièvre : Seul Antoine Prost a dénoncé un "Munich pédagogique". Le SE a demandé, dans le Monde du 9 septembre 2009, une remise à plat des rythmes scolaires. Le SNUIPP a organisé une consultation des enseignants, et sur 15 000 réponses, une courte majorité s'est prononcé pour la réforme. Gilles Moindrot, qui en était alors le secrétaire général, savait bien que c'était un cadeau empoisonné, mais il pensait qu'il ne serait guère possible de revenir dessus.
ToutEduc : Le SNUIPP a pourtant signé l'appel de Bobigny qui prévoyait un retour aux 4,5 jours...
Claude Lelièvre : En effet. Il savait de plus qu'une partie de sa base était hostile aux PEL et à une nette politique de décentralisation. Il y a eu plusieurs états du texte, et finalement, la formule retenue a été "refuser la semaine actuelle de 4 jours". Avec l'adjectif "actuelle", la direction du SNUIPP se gardait une porte de sortie, vis à vis d'un futur gouvernement, mais aussi de ses mandants. Elle savait que ce ne serait pas simple, mais elle espérait que ça passe dans "un paquet cadeau", avec d'autres mesures prises si possible dans le même temps (enseignants en surnombre, formation continue, nouveaux programmes, même si - là encore - rien ne semblait simple pour le ''tempo'' à tenir).
ToutEduc : La direction aurait pu s'abstenir de signer l'appel, cela aurait été plus simple pour elle...
Claude Lelièvre : Vous oubliez que l'appel comportait aussi la priorité au primaire et au collège, à l'école obligatoire, que le SNES avait acceptée. S'il ne signait pas, la FSU se retirait, et le SNES avec elle.. Et de façon plus générale, la direction du SNUIPP était pour qu'il y ait un accord le plus large possible, non pas simplement sur des protestations, mais sur des propositions positives de changement.
ToutEduc : Et Vincent Peillon savait-il à quel point ce serait difficile ?
Claude Lelièvre : Oui. Il ne faut pas croire à la fable du ministre naïf qui aurait cru le terrain aplani parce que les états-majors avaient signé. Je l'ai rencontré longuement début décembre 2011 ; j'avais fait partie de l'équipe de Martine Aubry, lui de l'équipe de François Hollande [pour la primaire qui avait eu lieu au mois d'octobre, ndlr], et c'est la dernière question qu'il avait inscrite à notre ordre du jour. Il était pour lui évident que le statu quo était impossible, les sondages donnaient une majorité de Français pour une réforme des rythmes scolaires, mais la majorité devenait minorité quand on interrogeait les parents, et plus encore les enseignants. Il savait qu'il rencontrerait aussi des résistances du côté des élus, y compris socialistes, qu'il s'agisse du financement ou de la gestion des personnels communaux, dont les maires devraient réorganiser les temps de service. "Je pense que c'est essentiel. Ce sera dur, mais on le fera", m'a-t-il dit.
ToutEduc : Et vous, quelle analyse faisiez-vous des résistances à venir ?
Claude Lelièvre : Je voyais venir des résistances de principe, contre "la territorialisation" de l'éducation, en pensant qu'elles seraient minoritaires. On est aux limites de l'incohérence à Paris, quand les enseignants dénoncent le poids de la mairie, et acceptent de déléguer sans problème aux PVP (professeurs de la Ville de Paris) l'enseignement de la musique, des arts plastiques et de l'EPS ! Il n'y aurait donc que des réactions locales, d'autant plus fortes que les agglomérations seraient importantes, donc que les temps de trajet des enseignants seraient plus longs, et que cette "journée" supplémentaire pèserait plus lourd. C'est notamment vrai dans la capitale. D'ailleurs, le SNUIPP y a fortement mobilisé, mais la direction n'a pas vraiment cherché à étendre le mouvement durablement au niveau national. Elle a été amenée à jouer une partition complexe dans une situation complexe. Pour la direction du SE-UNSA, qui soutient la réforme, cela n'a pas été simple non plus !
ToutEduc : Et maintenant ?
Claude Lelièvre : La réforme est passée. Jean-François Copé aurait voulu en faire un argument de campagne, mais Alain Juppé a déclaré qu'il voulait être "exemplaire" à Bordeaux. Xavier Bertrand a demandé que le Gouvernement retire sa réforme au vu du résultat des municipales, avant d'annoncer qu'elle serait mise en oeuvre à Saint-Quentin dont il est maire, et que les activités seraient gratuites, au nom de l'intérêt général. Les "gilets jaunes" n'ont pas mobilisé samedi dernier.
ToutEduc : Vincent Peillon a gagné ?
Claude Lelièvre : Oui, mais il n'a pas tout gagné...
ToutEduc : Il aurait été préférable, du point de vue de la chronobiologie, que les activités périscolaires soient organisées dans le prolongement de la pause méridienne...
Claude Lelièvre : Sans doute. Et sur la question des statuts, il n'a pas pu avancer autant qu'il l'aurait souhaité.