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Sciences de l'éducation : où en est la licence ? (un entretien avec André D. Robert)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le vendredi 24 janvier 2014.

La crainte de voir supprimer la licence en sciences de l'éducation de l'université de Nantes a agité la "blogosphère" ces derniers jours. André D. Robert, président de la 70ème section (celle des sciences de l'éducation) au CNU (Conseil national des universités) décrit pour ToutEduc un paysage "incertain, contradictoire et fragmenté". 

André D. Robert : Les équipes "sciences de l’éducation" ont d’abord pu être surprises face à la décision qui a été prise il y a quelque temps par le ministère de l'enseignement supérieur de ne plus accepter les maquettes de licences "suspendues". Depuis la création, en 1967, des sciences de l'éducation, il était admis que nous démarrions en troisième année de licence. "Sciences" était au pluriel, parce que les fondateurs estimaient que nous nous situions dans le prolongement d'autres disciplines, des "disciplines mères" comme la psychologie, la sociologie, la philosophie, l'histoire..., et que nos étudiants devaient avoir des bases dans au moins l'une de ces disciplines, pour aborder ensuite la complexité des faits éducatifs sous un angle plus multi, voire inter-disciplinaire. Des équipes ont parfois un peu hésité; ici ou là, certains collègues ont pu être réticents face à ce changement, avec des arguments qui leur appartiennent. Mais depuis plus de 40 ans, notre discipline a évolué, elle a entre autres développé un fort secteur didactique, elle a produit un ensemble de travaux scientifiques reconnus, et défini des méthodologies qui légitiment son autonomie. Au fur et à mesure des "vagues" d'accréditation par le ministère, pratiquement toutes les équipes ont donc bâti très sérieusement des maquettes de licence complètes, de L1 à L3, tout en veillant aux articulations possibles avec les autres disciplines de SHS (sciences humaines et sociales).

ToutEduc : Le ministère vous semble-t-il hostile aux sciences de l'éducation, qui n'ont pas toujours bonne réputation dans les milieux universitaires ?

André D. Robert : Non, pas spécialement. Si certains interlocuteurs ministériels n’ont pas été et ne sont pas à l’abri d’a priori négatifs envers les sciences de l’éducation, ce n’est pas de là que me semble venir la plus grande menace, dans le contexte de l’autonomie des universités. C’est dans certaines universités que nous nous heurtons à des équipes présidentielles qui, ayant de notre discipline une mauvaise opinion, dans une conjoncture où les budgets sont très contraints, peuvent avoir la tentation de supprimer cette nouvelle licence sur trois ans, précisément en sciences de l’éducation. Mais il y a plusieurs cas de figure : dans d'autres universités, nous pouvons trouver un appui de la présidence pour une licence complète, dans d’autres encore, est conçu un dispositif (dit "portail") composé de plusieurs sciences humaines et sociales (dont la nôtre) avec possibilité de choix en L3.

ToutEduc : Une formation ne représente-t-elle pas un coût ?

André D. Robert : Oui, et cela peut être un argument développé ; mais si elle attire beaucoup d’étudiants, notamment à travers certains dispositifs (innovants, à distance, et autres) l’argument se renverse. Cela vaut aussi pour d’autres disciplines du champ des SHS, puisque tout le monde est aujourd’hui contraint de raisonner en termes d’efficience. On trouve encore d’autres configurations locales, induites par l’autonomie qui oblige à tenir ensemble plusieurs "fronts" : certains collègues peuvent refuser toute collaboration, pour des raisons "idéologiques", d'autres au contraire souhaitent collaborer avec nous dès la licence, soit parce que, n’ayant pas ces a priori, ils travaillent scientifiquement avec nous dans des recherches et connaissent la qualité de nos productions, soit aussi parfois par intérêt, lorsqu'ils perdent des étudiants et craignent de voir fermer leurs formations.

ToutEduc : Quels sont les débouchés de ces licences sciences de l’éducation? Préparent-elles à l'entrée dans les ESPE et à l'enseignement ?

André D. Robert : Oui, bien sûr mais il faut ajouter que les ESPE, écoles supérieures du professorat et de l'éducation, préparent elles-mêmes, dans leur principe, à tous les métiers de l'éducation au sens large (c’est d’ailleurs ce qui les différencie des ex IUFM). Les sciences de l'éducation ont montré depuis l'origine qu'elles ne se limitaient pas au champ scolaire, même si celui-ci a constitué leur noyau dur. Nous parlons de plus en plus souvent de "sciences de l'éducation et de la formation". Certains de nos étudiants vont évidemment vers l'enseignement, mais d'autres sont préparés aux métiers de la formation (dans les domaines de la formation des adultes, des formations professionnelles spécifiques, dont par exemple des formations infirmières et du para-médical, etc.), aux métiers du travail social, ainsi qu’à ceux de l’éducation en un sens autre que scolaire (éducation à la santé, prise en charge du handicap, éducation thérapeutique du patient, médiation éducative et culturelle, notamment).

ToutEduc : Où en est la situation à Nantes ?

André D. Robert : Aux dernières nouvelles, la présidence, qui avait décidé de ne pas présenter la maquette de la licence complète sciences de l’éducation dans son dossier de renouvellement, serait partiellement revenue sur sa position, et aurait demandé à nos collègues de lui faire une nouvelle proposition de licence en 3 ans avec beaucoup de mutualisation avec d'autres disciplines, mais – à ma connaissance – la situation est encore fragile, et pas entièrement satisfaisante (cela même si la réaction de notre communauté à l’échelon local et national a produit son effet) .

ToutEduc : Globalement, comment se portent les sciences de l'éducation ?

André D. Robert : Elles sont toujours en butte à des a priori négatifs ici ou là, et elles peuvent être mises en difficulté, du fait de la volatilité des situations locales, on le voit bien. Elles doivent, plus que jadis, mais elles ne sont pas les seules, faire preuve d’une constante vigilance et se garder sur plusieurs fronts dans un univers incertain, contradictoire et fragmenté. Mais elles ont aussi fait la preuve en 40 ans de leur productivité et, souvent, de leur pertinence, ainsi que de leur ouverture à d’autres champs que celui du seul secteur scolaire.

Le compte-rendu de la réunion "licence" de l'AECSE (Association des enseignants et des chercheurs en sciences de l'éducation) du 18 janvier sera prochainement publié sur son site ici

 

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