L’Education nationale veut former ses enseignants contre les stéréotypes
Paru dans Scolaire le mardi 14 janvier 2014.
Mots clés : ABCD,
"Amira veut être maçonne.". Lundi 13 janvier, les enfants de CM1-CM2 de l’école Château-Gaillard (Villeurbanne, Rhône) ont discuté de ce scénario avec deux ministres. Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem avaient choisi de se rendre dans leur classe afin de promouvoir "les ABCD de l’égalité". Le dispositif, expérimenté dans dix académies, affiche l’objectif de déconstruire des stéréotypes de genre grâce à des formations et des outils pédagogiques sur le site du CNDP. Maçon, un métier "trop fatigant", "trop salissant", "trop bizarre" pour une fille? La ministre des Droits des femmes explique aux enfants pourquoi ces arguments ne sont pas valables.
Depuis quelques semaines, les enseignants de cette école villeurbannaise analysent leurs comportements pour aller vers davantage de neutralité. "On s’est interrogés sur nos pratiques. On a été étonnés de voir qu’on pouvait donner davantage la parole aux garçons, avoir des attitudes différentes…", confie Nathalie Baudrèche, tandis que la directrice de l’école Evelyne Perrin, donne pour exemple un réflexe, désormais combattu : "Lorsqu’un enfant était blessé ou avait un problème, on appelait systématiquement la maman. Aujourd’hui on alterne."
L'estime de soi des filles
La question de la contribution de l’école aux stéréotypes a été soulevée dans les années quatre-vingt. Plusieurs recherches ont montré que les enseignant-e-s, sans même en être conscient-e-s, ne traitaient pas de la même façon les filles et les garçons dans leurs classes. Ils ou elles accordent plus souvent la parole aux garçons qu’aux filles, expriment des attentes différenciées, n’invoquent pas les mêmes causes aux difficultés scolaires… Les manuels ne sont pas exempts de biais, comme le montrent les études du centre Aubertine Auclert : certains métiers sont réservés aux femmes dans les manuels de sciences, les personnages féminins sont sous représentés dans ceux d’histoire…
Tout cela pèse sur l’estime de soi des filles, et à terme, sur les trajectoires professionnelles. Publié en juillet, un rapport de l’inspection générale sur l’égalité entre filles et garçons enfonçait le clou. Il demandait que "les stéréotypes de genre soient déconstruits et mis à distance", notamment en primaire et préconisait une formation obligatoire des professeurs sur cette thématique. Une raison de plus pour les ministères de lancer"les ABCD de l’égalité" sur le modèle d’une action développée à Créteil : une formation des enseignants et une documentation pédagogique adaptée, aujourd’hui sur le site du CNDP
Peu de formation
Au printemps, le dispositif expérimental devrait être évalué pour être éventuellement généralisé. Dans l’académie de Lyon 46 écoles publiques, exclusivement dans le Rhône, se sont investies dans le programme. L’expérimentation, qui ne dispose d’aucun budget spécifique, ne s’est guère élargie au-delà d’enseignant-e-s, de conseiller-e-s pédagogiques et d’inspecteurs-trices de circonscription motivé-e-s, qui s’emparent du sujet. Selon une inspectrice, cela reste encore "du militantisme". A l’échelle de la France, 600 classes sont concernées selon le ministère de l’Education nationale.
Muriel Salle, maîtresse de conférences en histoire contemporaine et vice-présidente de l’ARGEF (Association de recherche sur le genre en éducation et en formation) intervient sur ces questions depuis plusieurs années. "Vu l’ampleur du travail à mener, l’ancrage des stéréotypes, on ne réussira pas à faire avancer les choses sans consacrer davantage de temps à la formation", estime-t-elle. Or, le ministère de l’Education nationale semble lui-même embarrassé sur cette question. "Nous avions souhaité que la formation à l’égalité fasse partie du tronc de la formation initiale dans les ESPE, mais cela ne s’est pas fait", a regretté Vincent Peillon lundi.
Muriel Florin