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Très grande difficulté scolaire : accompagner chaque élève considéré comme un cas particulier, sans outils standardisés (Inspections générales)

Paru dans Scolaire le lundi 13 janvier 2014.

"Il est peut-être temps aujourd’hui d’inverser la perspective et de considérer qu’enseigner c’est d’abord faire progresser dans leurs apprentissages des élèves différents qui ont tous des besoins différents" et non pas "gérer le collectif avant de traiter les cas particuliers." Cette formule est extraite d'un rapport des deux inspections générales sur "la grande difficulté" scolaire, un prisme qui leur permet d'examiner le fonctionnement des écoles et des collèges et de proposer une autre logique à l'ensemble de l'institution.

Les inspecteurs généraux constatent d'abord que "la notion de 'grande difficulté' n’apparaît pas (...) dans les textes réglementaires", et qu'elle est "absente des textes à portée internationale". Elle est "multiforme", difficile à quantifier, mais "ce sont 4,8 % des élèves de quatrième et 6,9 % des troisièmes qui [sont] scolarisés en dehors des classes de collèges banales" et à l'école primaire, dans toutes les classes, on trouve des élèves "qui vont chez l’orthophoniste". Même s'ils veulent "éviter de considérer la 'grande difficulté' comme une catégorie qui caractériserait a priori une population d’élèves", les auteurs notent que "dans la plupart des cas rencontrés (...), le contexte de vie pèse fortement (...) les inspecteurs généraux ont été surpris par la proportion, parmi les élèves rencontrés, de ceux qui vivent dans des conditions douloureuses et parfois d’une extrême gravité. La violence subie, le dénuement, le manque de soins, le refus des aides ou le sentiment d’abandon reviennent souvent dans les tableaux dressés par les enseignants."

Aucune évaluation des RASED

A l'école primaire, les "classes de perfectionnement" (ou d'enseignement adapté) ont disparu et les élèves qui présentent des difficultés "graves et persistantes" sont scolarisés dans la classe ordinaire. Mais les enseignants, qui sont des "professionnels des apprentissages" n'ont "qu’une faible connaissance des processus d’apprentissage et des troubles susceptibles de les perturber". Ils ne disposent d'ailleurs "que trop rarement, ou trop partiellement, des informations issues des autres professionnels", orthophonistes, psychiatres, rééducateurs, médecins, infirmiers, psychologues ou maîtres spécialisés "Il y a des médecins qui partagent ce qu’ils estiment devoir partager dans le respect de leurs propres principes, des psychologues scolaires ouverts à l’échange et à la mutualisation des connaissances avec les enseignants (...)", mais parfois "le maître est totalement coupé de tout avis extérieur" et ne trouve aucun appui du côté des personnels des RASED.

Le rapport s'attarde sur les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté et sur les difficultés de leurs personnels, destabilisés par les postes laissés vacants, transformés, supprimés, ou sur lesquels ont été affectés des maîtres non spécialisés, "voire parfois par [des] néo-titulaire[s]", ce qui contribue "très fortement" à une "perte d’identité professionnelle". C'est surtout vrai pour le maître "G" dont les inspecteurs estiment l'action légitime, mais s'interrogent sur l’efficience de leur mode d’intervention : une "prise en charge en petit groupe, une fois par semaine, hors de la classe" alors que "l’objectif [est] d’amener un enfant à devenir élève". Ils ajoutent qu' "aucun élément fiable ne permet d’évaluer l’effet de l’activité des maîtres spécialisés qui composent le RASED. Aucune étude ou enquête n’a été conduite à l’échelle nationale, à l’exception du rapport de l’inspection générale de l’Education nationale présenté en 1996, de quelques avis parlementaires ou de rares travaux universitaires (...) On ne peut que s’étonner qu’un dispositif engageant l’activité de plus de 10 000 fonctionnaires ait été perpétué pendant plus de 20 ans sans faire l’objet d’un bilan rigoureux."

Indépendamment des RASED, les inspecteurs généraux considèrent qu'il est impossible de "dresser un inventaire complet" des dispositifs mis en place pour les élèves en très grande difficulté. L'aide personnalisée créée dans les écoles en 2008 a été remplacée par des activités pédagogiques complémentaires en 2013. "Dans les collèges, on peut ranger dans cette catégorie les deux heures d’accompagnement personnalisé prévues dans les horaires de la classe de sixième (...)", mais aussi "des dispositifs territorialisés qui visent à concentrer les aides sur des secteurs où s’accumulent le plus de difficultés", notamment les dispositifs de réussite éducative... Au niveau quatrième-troisième, où "est constatée le plus vivement la démobilisation de certains élèves", les dispositifs étaient multiples, mais officiellement, " à la rentrée 2013, ne [devaient] subsister que les troisièmes préparatoires aux formations professionnelles (dites prépa-pro) et les dispositifs d’initiation aux métiers en alternance (ou DIMA), auxquels s’ajoute la spécificité des quatrième et troisièmes agricoles". 

Cela n'exclut pas la tentation de constituer pour ces élèves "une classe spécifique", expérimentale, à projet ou à profil, inter-niveaux ou passerelles, tremplin, de remobilisation : "les exemples observés ne sont pas toujours probants" et "ces structures ne permettent que rarement de résorber l’écart avec les autres classes et souvent l’aggravent" d'autant qu'elles sont " difficilement gérables" en termes de comportement. Quant aux "groupes de niveau, de besoins ou de compétences", ils présentent "l’intérêt majeur de susciter un travail commun au moins parmi les professeurs des disciplines concernées", une façon polie de dire qu'ils n'en ont pas vraiment pour les élèves.

Ils vont en classe et c'est tout

Mais beaucoup d'élèves "ne bénéficient de rien de particulier; ils vont en classe, avec plus ou moins de régularité, et c’est tout". Mais l'inspection n'accable pas les enseignants, loin de là. Sur une heure de classe, "le temps qui peut être réservé à l’élève 'en grande difficulté' ne saurait dépasser une ou deux minutes" alors que ces élèves "arrivent en sixième avec des acquis du niveau du CE2" et que l'écart "ne fait que croître au fil du parcours jusqu’à un point où la capacité d’abstraction et de formalisation requise, le vocabulaire présupposé acquis, la nécessité de maîtriser la compréhension de messages écrits ou oraux de plus en plus complexes ou la vitesse de traitement de l’information attendue, entre autres, constituent des murs infranchissables". Si certains enseignants "se résignent" et "s’efforcent néanmoins de les intégrer dans le collectif", d’autres, tentent une "différenciation" dans un cadre beaucoup plus contraint qu'à l'école primaire. "Quelques-uns ont suivi des stages (sur les neurosciences, sur les profils de lecteur, sur les troubles spécifiques des apprentissages,...), d’autres se sont même rapprochés de laboratoires universitaires ou encore se sont tournés vers une formation spécialisée (2CASH)." 

D'ailleurs "l'absence de cohérence et de continuité des dispositifs est d’abord le reflet de l’absence d’une réponse collective de l’établissement à la grande difficulté et à la difficulté en général (...) Quelle que soit la bonne volonté du principal et de l’ensemble des personnels, la dimension et l’organisation même du collège rendent malaisée une réflexion approfondie et partagée sur une question aussi complexe".

Les SEGPA peuvent être une voie de réussite

Le rapport est plus positif sur les SEGPA qui peuvent "être une voie de réussite", puisque la plupart des élèves ont une solution à la sortie, que beaucoup réussissent un CAP, vont même vers un bac pro. Mais l'inspection critique le flou des critères qui président à l'orientation des élèves de l'école primaire vers ces sections et les textes officiels, qui réservent cet "enseignement général et professionnel adapté" à des élèves qui ont déjà un an de retard, ce qui provoque des redoublements inutiles en CM1 ou CM2 "d’élèves déjà confrontés à l’échec" mais arrivés à l'heure à ce niveau. Autre reproche, le responsable de la SEGPA est théoriquement placé sous l’autorité du principal du collège, mais "il bénéficie d’une large délégation d’initiative" et il est, de fait, le directeur d'une "petite unité annexée au collège". La SEGPA "doit proposer des parcours plus diversifiés, et parfois plus ambitieux, comportant des temps d’apprentissage partagés avec les autres collégiens", être mieux intégrée à l'établissement.

Au total, "le constat de l’échec de près d’un élève sur dix qui n’atteint pas, à quinze ans, le plus faible niveau défini en français et/ou en mathématiques aux évaluations internationales impose une mobilisation convergente de tous les acteurs" pour personnaliser la réponse apportée  à chaque élève en grande difficulté, pour "bâtir des parcours pluriannuels". Cela suppose aussi de "soutenir les enseignants par la formation" puisque "répondre aux besoins d’élèves très différents les uns des autres (...) est une tâche d’une haute complexité (...); on peut attendre des ESPE (écoles supérieures du professorat et de l'éducation) qu’elles s’emparent de cet objectif."

Eviter les outils standardisés

Parmi les solutions plus immédiates que préconise le rapport, la mise en place d'un tutorat pour chacun de ces élèves, de façon notamment que les familles aient "un interlocuteur unique désigné parmi les professeurs". Il faut aussi "développer un vivier de formateurs susceptibles d’intervenir en formation initiale et continue". Les inspecteurs plaident encore pour la mise en place d'un 'projet personnalisé pour tout élève en situation de grande difficulté (ou susceptible de s’y trouver)", ce plan accompagnant l'élève "dans la durée depuis la maternelle jusqu’au terme des apprentissages fondamentaux" et "associant autour de l’enseignant le médecin de l’éducation nationale, le psychologue scolaire et, en tant que de besoin, d’autres professionnels, tout en impliquant les parents". Il convient toutefois "de se garder de toute formalisation excessive qui déboucherait, une fois de plus, sur la production de grilles, d’outils standardisés, de formulaires, de procédures et de règles contraignantes".

Le rapport "Le traitement de la grande difficulté au cours de la scolarité obligatoire" est à télécharger ici

 

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