Maryline Baumard milite pour l'importation en France des pédagogies "explicites"
Paru dans Scolaire le lundi 23 décembre 2013.
Les scientifiques connaissent les méthodes qui rendent l’école efficace et permettent à tous les enfants de vraiment apprendre à lire, écrire et compter. La France, dont PISA révèle une école à deux vitesses et sur le déclin, peut réussir à avoir la meilleure école du monde dans dix ans, à condition de sortir d’une approche idéologique, d'écouter la science et de regarder ce qui fonctionne à l’étranger. C’est la thèse défendue par Maryline Baumard, journaliste, dans son nouveau livre "La France enfin première de la classe". L'auteure enquête sur les pays, attentifs aux preuves scientifiques, qui obtiennent de meilleurs résultats. Du spécialiste du cerveau Stanislas Dehaene à l’économiste Esther Duflo, Maryline Baumard a interrogé les chercheurs - en économie, en psychologie, en neuroscience…
"En France, enseigner est un art, au pire un artisanat, jamais une science", affirme l’auteure. "On considère traditionnellement qu’il faut une bonne dose de vocation et de talent pour réussir dans la profession. Pour preuve, pendant plusieurs année, la formation a été refusée aux jeunes entrant dans le métier, tout juste leur concédait-on un petit compagnonnage". Elle estime qu’il manque aujourd’hui une dimension aux ESPE. "S’y intéresse-t-on vraiment à l’efficience de telle ou telle méthode pédagogique ? Aux connaissances scientifiques mesurées ? Pas vraiment. Y diffuse-t-on des résultats, parfois étonnants, obtenus avec certaines approches de la lecture ou des mathématiques ? Raconte-t-on à tous les jeunes enseignants des zones les plus difficiles (…) qu’ailleurs certains professeurs réussissent à en finir avec le déterminisme social qui veut que les fils de cadres occupent la tête de classe, les enfants de chômeurs coiffant le bonnet d’âne ? A toutes ces question, la réponse est négative."
"Le miracle de la Floride"
L’auteur explique que la famille Bush, notamment grâce à Jeb, ex-gouverneur de Floride, a permis à cet Etat américain de repartir à la hausse dans les évaluations en lecture, en s'appuyant sur les résultats d'expérimentations réussies. Dans une école élémentaire de Tallahasee en 1993, où les enfants issus d’un milieu défavorisé peinent à acquérir les apprentissages de base, les meilleurs spécialistes américains de la lecture sont appelés à la rescousse. Leur diagnostic : "les enfants qui entrent à l’école élémentaire ne sont pas prêts à apprendre à lire. Ils manquent de vocabulaire et leur conscience phonologique est trop peu développée". Joseph Torgesen, psychologue, participe à la mise en place d’une nouvelle méthode pédagogique. "Les maitres devraient enseigner de façon plus explicite la conscience phonologique et l’entrainement au décodage (…) Les enfants qui entrent à l’école avec une bonne conscience phonologique et un bon vocabulaire apprennent bien à lire quelle que soit la méthode choisie. En revanche, ceux qui sont moins bien préparés ont besoin d’approches éducatives plus systématiques en conscience phonologique, entrainement au décodage, travail sur la fluidité, le vocabulaire et les stratégies de compréhensions", explique le scientifique à l’auteure.
Le professeur, selon lui, doit, comme il ne peut "présumer de ce que sait chaque enfant (...) enseigner avec soin tout ce que les enfants ont besoin de savoir pour devenir de bons lecteurs. J’entends par là un enseignement systémique et explicite, un entrainement soutenu, soigneusement conçu et orchestré." Cette expérimentation "a servi de détonateur" pour lancer une politique d’apprentissage de la lecture aux Etats-Unis.
Approche méthodique des processus d'apprentissage en Asie
Les performances en mathématiques des jeunes asiatiques, en tête du dernier classement PISA s’expliquent par une approche méthodique des processus d'apprentissage et de la prise en compte du fonctionnement du cerveau. Maryline Baumard explique qu’à Singapour "la méthode n’est pas originale, juste très structurée". "Elle insiste sur la compréhension en profondeur des acquisitions. Chaque fois qu’une nouveauté arrive, une série d’exercices et de problèmes permettent à l’élève de manipuler le concept sous toutes les coutures. La progression vers l’abstraction est très étudiée et très progressive." Par ailleurs, insiste l’auteure, la présentation est pensée pour que l’élève comprenne que la multiplication et la division sont en lien comme l’addition et la soustraction. Ces manuels ont été traduits en français. Quelques enseignants les utilisent, affirme l’auteure.
L’auteure revient également sur des pays comme l'Inde ou le Kenya qui réussissent progressivement à assurer l'éducation de base d’élèves éloignés des savoirs.
Clivage politique droite-gauche
La journaliste estime que son enquête révèle "un clivage droite/gauche un peu à l'inverse de ce qu'on pourrait attendre", avec une droite plus attentive à l'expertise scientifique, et une gauche portant sur l'école un regard marqué par une approche idéologique. "La droite aurait-elle moins peur de l’expérimentation ? Peut-être. Le monde de l’éducation ne lui est pas acquis et elle pense sans doute trouver là un levier pour convaincre, quand la gauche classique, elle, se démène pour trouver de vraies raisons de ne pas écouter ce qui sort des éprouvettes ou des classes transformées en champs d’expertise". Plus globalement, "la France des décideurs a-t-elle réellement envie d’offrir aux élèves les plus fragiles les armes intellectuelles dont disposent les enfants des familles aisées et cultivées ? Il faut s’interroger honnêtement sur ce point car l’inertie de notre système éducatif prouve qu’on aime laisser le pauvre hors la culture, hors la lecture, quand la connaissance se transmet d’une génération à l’autre chez les nantis".
"La France enfin première de la classe", Maryline Baumard, Fayard, 248 pages, 18 € (ici)