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La rentrée, les ESPE, la situation morale de l'inspection vues par Paul Devin (SNPI-FSU)

Paru dans Scolaire le jeudi 12 septembre 2013.

Les cadres de l'Education nationale ont pu être séduits par les théories du management et du pilotage par les résultats. Les difficultés de recrutement témoignent de "l'énorme fragilité" du système scolaire... Paul Devin, secrétaire général du SNPI, le syndicat FSU des personnels d'inspection, évoque pour ToutEduc les questions que pose cette rentrée.

Paul Devin : Objectivement, on constate cette année une amélioration, le discours a radicalement changé, il n'y a plus de suppressions de postes, la formation initiale est relancée. Mais sur le terrain, c'est à peine mieux que l'année dernière, notamment parce que nous avons recours à un nombre important de contractuels. Tous les postes mis aux concours n'ont pas été pourvus. La crise des recrutements est bien là. Nous avons en apparence une rentrée de qualité, les progrès sont réels, mais ils mettent en évidence l'énorme fragilité du système. Comment quelqu'un qui n'a jamais enseigné, qui a rencontré dix minutes un inspecteur pour signer son contrat, qui découvre le vendredi qu'il va prendre une classe le lundi, va-t-il se débrouiller ? Comment l'aider ? Son recrutement implique-t-il dans quelques années des plans de titularisation ? Personne ne semble anticiper les conséquences de la situation actuelle. Si encore nous pouvions penser que nous bénéficierons l'an prochain d'un budget pour la formation continue... mais dans le contexte économique actuel, et vu le dogme du retour à l'équilibre, c'est peu probable, en dépit des affirmations de Vincent Peillon.

ToutEduc : Le ministre de l'Education nationale a en effet affirmé que ce serait pour lui une priorité à partir de 2015. Mais pensez-vous vraiment que la formation continue puisse rattraper ce qui n'aura pas été fait en formation initiale ?

Paul Devin : Je me souviens d'un temps où nous organisions des stages de 3, 4, voire 5 semaines, les enseignants pouvaient faire un break, développer des pratiques collégiales d'analyse des pratiques, rencontrer des chercheurs, des spécialistes... Quand on n'a que quelques heures, on peut donner quelques informations sur l'accès au numérique ou sur les nouveaux programmes, guère plus. Le fait qu'on ait supprimé la formation continue encourage d'ailleurs le surgissement de petits alchimistes, qui vous donnent des "trucs", des "manuels de survie en milieu scolaire". Ils ne sont porteurs d'aucune réflexion sur le sens du travail de l'enseignant, et ils véhiculent une vision stéréotypée du métier. Je n'aime pas qu'on exploite la souffrance enseignante, mais reconnaissons-le, elle existe, et c'est une réalité nouvelle. Autrefois, l'institution encadrait davantage les personnels, ce qui pouvait être mal vécu, mais était davantage sécurisant.

ToutEduc :
Les ESPE, les écoles universitaires qui vont remplacer les IUFM, ouvrent leurs portes. Etes-vous inquiet ?

Paul Devin :
Nous manquons d'informations. Mais on constate déjà que l'autonomie des universités aboutit à des choses aberrantes, pour le moins. Les disparités sont énormes, et dans certaines académies, on peut se demander si le minimum sera là. Ce qui m'inquiète surtout, c'est qu'on n'a pas réglé le problème de fond, des rapports du disciplinaire et du pédagogique. Le ministre nous affirme que cette question est derrière nous, et effectivement, la question peut être résolue intellectuellement. La distance entre les contenus, les pratiques et les concepts qui les éclairent, qui en permettent l'analyse n'est pas si grande qu'on l'affirme parfois. Mais bien des universitaires ne voient pas comment enseigner la pédagogie, comment faire le lien entre les deux. De plus, notre société, je pense notamment à la télévision, confond trop souvent savoirs et connaissance. On félicite dans un jeu un candidat qui peut donner le nom d'un roi de France, mais qui serait peut-être incapable d'expliquer ce qu'est la royauté. Les jeunes enseignants ne sont pas formés à mettre en relation les divers savoirs, à construire du sens à partir des informations qu'ils trouvent sur Wikipédia ou ailleurs quand ils préparent leurs cours.

ToutEduc :
Vous êtes secrétaire général d'un syndicat de cadres du système éducatif. Les inspecteurs ont été amenés à transmettre un discours sous le quinquennat précédent, et un tout autre discours aujourd'hui. Comment le vivent-ils ?

Paul Devin : Pour la plupart, ils n'avaient pas réellement adhéré à ces propos, ils ont un attachement fort aux valeurs du service public et ils ont su faire la part des choses, même s'ils étaient soucieux d'appliquer une réglementation voulue par un Gouvernement issu d'un choix démocratique. Il faut seulement dire clairement à ceux qui ont été les agents les plus zélés, comme à ceux qui avaient des projets de carrière, qu'ils doivent maintenant se conformer à la volonté de la Nation après de nouvelles élections. La difficulté essentielle est ailleurs. Beaucoup de ces cadres, pour bien faire, pour améliorer les résultats des élèves et par souci de justice, sont tentés par le pilotage par les résultats. Il faut avouer que ça peut paraître séduisant. L'observation d'indicateurs chiffrés, objectifs, allait nous donner les clés de la réussite. Il y avait là une apparence de scientificité. La déconstruction sera difficile et longue.

Il faut de plus que le ministre ait le courage d'aller au bout de ses discours. Le service public ne peut pas être géré avec les techniques de "management" des entreprises privées. Les croyances néo-libérales doivent être combattues et les personnels accompagnés dans cette mutation.

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