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Carte scolaire : l'échec de la réforme Darcos interroge la "séparation des compétences" Etat-collectivités (inspections générales)

Paru dans Scolaire le jeudi 01 août 2013.
Mots clés : carte scolaire, inspections générales, collectivités territoriales, éducation prioritaire, mixité sociale

"La question de la mixité scolaire est très rarement abordée par les DASEN [les inspecteurs d'académie, ndlr] ou par les conseils généraux. L’assouplissement de la carte scolaire n’a pas produit de rupture de ce point de vue et a même souvent eu l’effet inverse." Les inspections générales se sont penchées sur l'efficacité de l'assouplissement de la carte scolaire voulu par Xavier Darcos, alors ministre de l’éducation nationale, en juin 2007. Leur bilan, centré sur la sectorisation des collèges, est particulièrement sévère. A la suite de la DEPP (lire ToutEduc ici), les inspections générales affirment que "les transferts d’élèves autorisés par les dérogations ont plus souvent renforcé des déséquilibres préexistants ou en ont créé de nouveaux". Selon les auteurs du rapport, l'assouplissement de la carte scolaire a installé "une défiance plus forte vis-à-vis de la sectorisation, défiance qui a atteint un point de non-retour", mais aussi marqué "un raidissement des relations entre l'Etat et les conseils généraux".

Politique gestionnaire

Les affectations dérogatoires ont finalement été peu nombreuses. Les départements ont favorisé une approche "pragmatique" car "les conseils généraux étaient soucieux de ne pas connaître de remise en cause drastique de la situation existant avant l’assouplissement de la carte scolaire". Le nombre de demandes satisfaites est resté en moyenne inférieur à 70% de 2008 à 2012. Les dérogations ont été accordées selon une politique de gestion des flux : l'objectif était moins d'améliorer la mixité sociale des étabissements que d'éviter tout bouleversement dans leur composition démographique, afin de limiter les impacts en termes de construction ou de transport scolaire" en période de restriction budgétaire. La lourdeur des démarches administratives explique aussi les réticences de certains chefs d'établissements. "Suivant la taille de leurs écoles, le temps de travail cumulé des directeurs d'école sur les dérogations peut représenter de trois à cinq jours pleins", note la mission.

Certains départements, comme l'Hérault, le Rhône ou la Somme, ont mené des politiques de restriction des dérogations plus actives, afin de maintenir la mixité sociale de certains collèges. Entre 2008 et 2012, le nombre de demandes acceptées a ainsi diminué de 80% dans le Rhône.

Mal informés sur les objectifs de ces politiques, les familles ont souvent été "frustrées" par des refus qui ont renforcé leur sentiment "d'abandon" et "d'impuissance", même si peu d'entre elles ont effectué une demande de dérogation. "Une grande majorité des familles a choisi le collège de secteur", relève la mission. Seulement 12% des familles se sont engagées dans le processus de dérogation entre 2008 à 2012.

Paradoxalement, les familles les plus concernées par l'assouplissement de la carte scolaire n'ont pas cherché à en tirer parti. Seuls 4 % des élèves boursiers ont adressé une demande de dérogation, un taux près de trois fois inférieur aux demandes pour l’ensemble de la population (11 %). "Il y a fort à craindre que certaines familles de milieux défavorisés, à cause par exemple d’une maîtrise mal assurée de la langue française, n’aient ni eu accès à l’information, ni pu concevoir qu’elles seraient capables de gérer un dossier", déplorent les auteurs. Ce manque d'nformation explique aussi pourquoi très peu de familles dont la demande a été refusée ont demandé un recours. "Dans une majorité des cas, il n’existe aucune information sur les recours possibles dans les documents transmis aux parents".

Peu d'effets sur le privé

La réforme a faiblement touché les élèves qu'elle visait en priorité. Elle n'est pas non plus parvenue à changer l'image des lycées défavorisés, malgré la "discrimination positive" menée par les DASEN, qui ont mis en valeur ces établissements et limité les dérogations sortantes qui leur étaient présentées. "Les collèges attractifs restent attractifs et les collèges évités restent évités." L'assouplissement de la carte scolaire a même diminué l'attractivité d'une majorité de collèges RAR [Réseau Ambition Réussite, devenus ECLAIR en 2012] entre 2008 et 2011. Dans ces établissements, 30 % des élèves entrant en classe de 6ème ont demandé une dérogation, soit près de trois fois plus que la moyenne nationale, et le nombre de demandes sortantes a été près de deux fois supérieur au nombre de demandes entrantes.

Inversement, la réforme a-t-elle augmenté l'attractivité du privé, comme de nombreuses collectivités l'ont craint ? Non, répondent les auteurs de la mission. Même si l’assouplissement de la carte scolaire "a renforcé les différences sociales entre les collèges publics et privés", les inspections générales n'attribuent pas la croissance des effectifs dans le privé à l'affaiblissement de la carte scolaire et se démarquent par là de la DEPP. C'est justement parce que les établissements publics ont souvent surestimé l'effet de la réforme sur l'attractivité du privé qu'ils se sont davantage senti en concurrence entre eux. Ils ont alors cherché à conserver leurs meilleurs élèves en acceptant peu de dérogations venant de quartiers défavorisés. D'où "une limitation de la mixité dans les collèges publics aux CSP favorisées".

Une cause d'intérêt national

Faut-il prendre acte de l'échec de l'assouplissement de la carte scolaire et revenir à une application stricte de son principe? Pour les auteurs de la mission, un tel retour n'est ni possible, ni souhaitable. Beaucoup de familles y verraient une "régression inexplicable". "Des habitudes ont été prises depuis six ans et elles marquent un point de non-retour", notent les auteurs, pour qui l'application stricte de la carte scolaire ne contribuerait de toute façon "ni à l’amélioration de la situation des collèges en difficulté ni à un meilleur équilibre social des établissements".

Le problème est plus profond. La mixité sociale est trop rarement le moteur de l'action des politiques éducatives locales, alors même qu'elle figure désormais parmi les objectifs du projet de loi pour la refondation de l'Ecole. Les auteurs de la mission proposent de renforcer son importance en faisant de "l'équilibre social" une référence de l’action éducative, "une cause d’intérêt national" et un critère à évaluer dans chaque établissement.

Pour atteindre les objectifs de mixité sociale qui leur seraient fixés, les établissements devraient s'appuyer sur les collectivités territoriales. "Leur action devra être coordonnée avec l’ensemble des politiques territoriales de l’État et devra trouver les moyens d’entraîner les collectivités territoriales dans la poursuite de cet objectif."

Solidarités territoriales

Actuellement, ce n'est pas toujours le cas : la sectorisation relève de différents acteurs en fonction du niveau scolaire (le maire au primaire, le conseil général au collège, l'autorité académique au lycée) et "les différentes autorités n’ont pas conscience de la solidarité de fait de leurs décisions qui concernent le cursus des mêmes élèves".

La situation est particulièrement complexe au collège, où la sectorisation et l'affectation des élèves relèvent des copétences de deux acteurs distints, respectivement le conseil général et l’autorité académique (le DASEN). Or, selon les auteurs de la mission, les échanges fonctionnels entre le DASEN et les conseils généraux ont beau "exister partout", ils sont loin d'être efficacles. Les DASEN "disposent globalement de plus de données sur les élèves et les établissements et n’hésitent pas à retenir des informations" vis à vis des conseils généraux. C'est pourquoi, selon les auteurs, "ce sont les DASEN, gestionnaires de l’assouplissement de la carte scolaire sur le terrain, qui ont limité les échanges avec les départements" et attisé les tensions entre l'Etat et les Conseils généraux.

Même si les auteurs ne préconisent pas de modifier la répartition des compétences entre l’État et les collectivités , ils soutiennent que l'échec des politiques de la carte scolaire prouvent "les limites de la séparation des compétences" dans ce domaine. "Les services de l’État n’ont pas de prise sur la carte scolaire qui peut être un moyen de mieux répartir les élèves et les conseils généraux n’ont pas de prise sur la politique éducative et hésitent fortement à s’engager dans des modifications de la carte scolaire qui induisent généralement de vives réactions des familles et des élèves".

Pour remédier à ces blocages, les auteurs recommandent un pilotage "local" de la question de la carte scolaire, encadré par "une véritable politique nationale, avec un relais académique, dont elle n’a jusqu’ici jamais bénéficié".

Le rapport des inspections générales sur les "conséquences des mesures d'assouplissement de la carte scolaire après 2007" est téléchargeable ici.

Le numéro 83 de la revue de la DEPP Education et formations, "Les effets de l'assouplissement de la carte scolaire", est téléchargeable ici.

Raphaël Groulez

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