L'éducation artistique en zone d'éducation prioritaire, ça ne s'improvise pas (Culture&diversité)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture, Orientation le lundi 27 mai 2013.
Mots clés : jeunesse, éducation prioritaire, culture, égalité des chances, association
Le 24 mai dernier, les collégiens de Rochefort ont remporté le 3e Trophée d'improvisation "Culture&Diversité". Sous les yeux de Yamina Benguigui, ministre déléguée en charge des Français de l'étranger et de la Francophonie, ils ont devancé les jeunes orateurs de Lille et Bordeaux. La présence de Jamel Debbouze a assuré une visibilité médiatique à cet événement, qui n'est qu'un des nombreux programmes menés par la fondation Culture&diversité.
Alors que les débats sur la loi de Refondation ont souligné l'importance d'une éducation artistique et culturelle, la Fondation Culture & Diversité "s'est donnée pour mission de favoriser l'accès des jeunes issus de l'éducation prioritaire aux arts et à la culture". Depuis 2008, elle met en oeuvre ses projets en partenariat avec le ministère de l'Education nationale et le ministère de la Culture et de la Communication - cette convention, reconduite en 2013, est "inédite" pour une fondation d'entreprise. La déléguée générale de la Fondation, Eléonore de Lacharrière, revient pour ToutEduc sur les objectifs de Culture&diversité, l'organisation du Trophée et les autres projets menés pour favoriser "la cohésion sociale et l'agalité des chances".
ToutEduc - En quoi consiste le Trophée d’improvisation Culture&diversité?
Eléonore de Lacharrière - Le Trophée d’improvisation Culture&diversité a été mis en place à la rentrée 2010-2011. Nous [la fondation Culture&diversité] l’organisons en partenariat avec l’association Déclic théâtre et plusieurs municipalités. Culture&Diversité finance et coordonne le projet. Nous nous chargeons de la partie administrative, Déclic Théâtre de la partie artistique. Nous assurons les liens avec le ministère de l’éducation, les acteurs de Déclic Théâtre se chargent de mettre en place les ateliers et les matchs d'improvisation au sein des établissements.
Les trois premières éditions ont réuni 8 collèges de quatre villes partenaires : Bordeaux, Lilles, Rochefort et Trappes. L’année prochaine, deux nouvelles villes vont nous rejoindre, dont Paris.
Notre objectif principal est de permettre aux jeunes de l’éducation prioritaire d’accéder à la pratique artistique. Les élèves des établissements partenaires suivent des ateliers d’improvisation. Les comédiens sélectionnent ensuite certains élèves qui participent à des "matchs d’improvisation" au sein de leur collège, puis entre les établissements d’une même ville, et enfin entre les représentants de chaque ville au cours d’une finale nationale, parrainée par Jamel Debbouze.
Les élèves sélectionnés ne sont pas forcément les meilleurs, mais ceux qui ont le plus progressé pendant l'année, qui ont été les plus assidus, etc. Les "matchs" se déroulent en équipe, rigoureusement mixtes : ils permettent de développer des compétences relationnelles, l’écoute et le respect de l’autre.
Jusqu’à cette année, le programme était entièrement financé par la fédération Culture&diversité. En 2013-2014, la caisse des Dépôts va nous soutenir.
ToutEduc - Comment s’organisent les « ateliers théâtre » au sein des établissements scolaires ?
E. de Lacharrière - Les ateliers s'adaptent à l'organisation de chaque établissement. Ils peuvent se dérouler sur le temps scolaire, comme à Bordeaux. D’autres établissements préfèrent les mettre en place en-dehors du temps scolaire, pour privilégier le volontariat ou ne pas se concentrer sur une seule classe.
Le programme des ateliers est élaboré en partenariat avec l’équipe pédagogique, afin de coller au projet d’établissement. Ils sont menés par des animateurs de l’association Déclic Théâtre, en collaboration avec un professeur référent, quand les ateliers ont lieu sur le temps scolaire, ou un membre de l’équipe pédagogique (CPE, principal, principal adjoint) lorsqu’ils se déroulent hors temps scolaire. On sait à quel point les relais au sein des établissements sont indispensables à la réussite des projets éducatifs.
ToutEduc - Quelles autres actions mène la fondation Culture&diversité, avec quels partenaires ?
E. de Lacharrière - Nous poursuivons un objectif global : permettre à tous un égal accès aux arts et à la culture. Dans ce but, nous menons de nombreux programmes pérennes auprès de 150 établissements scolaires situés en zone d’éducation prioritaire. Nous avons aussi créé cette année le prix de l'Audace artistique et culturelle qui a impliqué plus d'une centaine d’établissements (1). Ces projets sont organisés selon deux axes d'action : la cohésion sociale et l'égalité des chances.
Les pratiques artistiques sont de formidables outils de cohésion sociale. C’est pourquoi nous avons développé huit programmes qui permettent aux jeunes d’éducation prioritaire de découvrir le théâtre, la danse, l’image, la musique, le Patrimoine ou l’art oratoire. Dans ce but, nous avons noué des partenariats avec des acteurs importants de ce secteur : le Théâtre du Rond-Point, le BAL à Paris, ou le centre chorégraphique national de Grenoble, par exemple. Ils travaillent en étroite collaboration avec les établissements scolaires impliqués dans ces projets, ainsi que les parents d’élèves.
Parallèlement, nous menons aussi des actions d’insertion professionnelle en direction des élèves de ZEP qui veulent se diriger vers des métiers artistiques. Nous cherchons ainsi à favoriser l'accès des jeunes issus de l'éducation prioritaire aux études supérieures dans les grandes Ecoles des domaines artistiques et culturels.
Nous avons noué des partenariats avec plusieurs grandes Ecoles (l'Ecole du Louvre, l'Institut national du patrimoine, la Fémis, l’ENS Louis-Lumière, les écoles nationales d’architecture) et certaines institutions (l'UNESCO et la mairie de Paris). Avec elles, nous menons trois types d’actions auprès des élèves. D’abord un travail d’information : nous organisons des forums d'information, des visites des Ecoles partenaires et des rencontres entre leurs équipes pédagogiques, leurs étudiants, et les parents et élèves des lycées. Ensuite, les enseignants repèrent les élèves intéressés par ce type d’études et nous les aidons dans leur préparation aux épreuves d'admission des écoles. Après avoir été sélectionnés sur dossier par un jury, les élèves suivent des stages d’une durée de 6 jours à 3 semaines pendant les vacances scolaires. Le contenu pédagogique de ces formations est entièrement assuré par les Ecoles partenaires. L’association Culture&diversité se charge du soutien logistique (achat de matériel, prise en charge des frais de déplacement des élèves). Les élèves passent ensuite les mêmes concours que les autres, sans quotas.
Enfin, nous accompagnons les admis au cours de leur scolarité. Nous assurons un suivi financier (bourses sur critères sociaux), logistique (aide au logement grâce à un partenariat avec la Cité internationale universitaire de Paris) et pédagogique (sessions de tutorat et de monitorat). Nous continuons aussi à favoriser l'accès des élèves à la culture et leur insertion professionnelle, en négociant des prix intéressants auprès de nos partenaires, notamment à Paris, et en facilitant la recherche de stages et de petits boulots.
ToutEduc - Combien d’élèves ont suivi ces programmes « d’égalité des chances » ? Pour quels taux de réussite ?
E. de Lacharrière - En 7 ans, nous avons informé 7200 élèves. Nos stages « Egalité des chances » ont concerné 700 élèves (environ 15 par an à la Fémis, 25 en école d’art, 35 à l’ école du Louvre, une trentaine dans les écoles d’architecture).
Les pourcentages d’admission des élèves qui ont suivi les « stages Egalité des chances » sont supérieurs aux moyennes nationales. Par exemple, l’année dernière, nous avons eu un taux d’admission de 50% dans les écoles nationales d’architecture, alors que la moyenne nationale est à 8%, et de plus de 20% à la Fémis, contre un taux d'admission national de 4,5% environ.
(1) Le "Prix de l'audace artistique et culturelle" distingue "un projet d'éducation artistique et culturelle exemplaire en faveur des jeunes les plus éloignés de la culture". Il sera remis mi-juin à l'Elysée, en présence du Président de la République.
Vous pouvez retrouver le détail de ces programmes sur le site de la fondation Culture&Diversité, ici.
Pierre Baqué, ancien conseiller ministériel sur les questions d'éducation artistique et culturelle, avait proposé aux lecteurs de ToutEduc une tribune sur le sujet, à retrouver ici.
Propos recueillis par Raphaël Groulez.