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L'enseignement laïque de la morale ne dira pas le bien et le mal (Alain Bergounioux, interview exclusive)

Paru dans Scolaire le mardi 30 avril 2013.
Mots clés : Bergounioux, laïque, morale

"L'enseignement laïque de la morale, ce n'est pas dire le bien et le mal." Alain Bergounioux, l'un des trois auteurs du rapport de la mission de réflexion sur cet enseignement, revient pour ToutEduc sur ce travail qui a suscité "de la confusion, de la méfiance" car "il va à l'encontre des tendances actuelles de la société". De plus, ajoute l'historien, certains, comme Eric Zemmour, ont voulu faire croire "à une morale d'Etat" en plein débat sur le "mariage pour tous".

ToutEduc : Les syndicats enseignants ont très peu réagi à ce rapport. Comment comprenez-vous ce silence ?

Alain Bergounioux : Ils attendent sans doute d'y voir plus clair. Il y a notre rapport et il y aura ensuite ce qu'en fera le Conseil supérieur des programmes, et enfin, nous verrons comment cet enseignement se mettra effectivement en place en 2015, une échéance qui apparaît assez lointaine. De plus, entre les textes officiels et les pratiques du terrain, la différence est souvent importante. L'introduction en 2011 par Luc Chatel, d'adages moraux n'a eu pratiquement aucun effet dans les classes. Ajoutez à cela que nous ne distinguons habituellement pas "enseignement" et "discipline" alors que cet enseignement fera appel à plusieurs disciplines, dont l'éducation civique... Vous le voyez, les risques de confusion sont importants. Par ailleurs, je crois que nous sommes parvenus à des choses raisonnables, difficilement contestables.

ToutEduc : Comment voyez-vous, concrètement, les choses ?

Alain Bergounioux : Je voudrais d'abord vous faire remarquer que nous ne disons jamais qu'il faut "réintroduire cet enseignement", car beaucoup de choses existent déjà. A l'école primaire, il s'agit essentiellement de conforter ce que font les maîtres, et qui ne peut pas se réduire à un peu de socialisation et un peu d'éducation civique. Nous insistons sur le travail du langage, sur la nécessité pour les enfants de verbaliser leurs émotions. Au collège et au lycée, nous avons voulu attaquer le problème sous trois dimensions. Il faut d'abord relire les programmes d'éducation civique, une discipline qui d'ailleurs n'apparaît pas dans la voie technologique. Nous voulons la conforter, donner plus d'importance aux enjeux moraux et éthiques. Nous souhaitons voir se mettre en place des modules interdisciplinaires, de deux heures par mois vraisemblablement. Nous voudrions enfin que la vie scolaire soit impliquée, que le CPE participe à l'heure de vie de classe, et que celle-ci soit l'occasion pour les élèves de parler de leur classe, mais aussi de l'établissement.

ToutEduc : Vous faites évoluer la pédagogie...

Alain Bergounioux : Effectivement. D'ailleurs, dans notre rapport, nous évoquons les pédagogies actives, institutionnelles... S'il faut un enseignement de la morale à l'école, il faut aussi une morale de l'école, que celle-ci soit plus exemplaire qu'elle ne l'est aujourd'hui. Notre rapport pose le problème des adultes, de leur attitude vis à vis des élèves, et cet enseignement est un facteur d'évolution des établissements et des comportements.

ToutEduc : C'est bien ce que vous reproche la FNEC (la fédération FO de l'enseignement) qui considère que "la seule transmission des savoirs et des savoir-faire disciplinaires (...) suffit à définir la finalité de l'école publique et républicaine".

Alain Bergounioux : Je ne pense pas que les savoirs soient par eux-mêmes une morale. D'ailleurs, tous les grands penseurs de la laïcité, nous rappellent la nécessité de donner du sens aux enseignements, de les inscrire dans une morale commune. L'Ecole a un rôle à jouer, différent de celui des familles. Elle le joue déjà, et beaucoup de choses existent, mais il manque une cohérence...

ToutEduc : En quoi cette cohérence n'est-elle pas une morale d'Etat ?

Alain Bergounioux : L'Ecole ne dira jamais comment il faut vivre, elle ne dira pas le bien et le mal. Pour reprendre l'expression de Jean Baubérot, une morale laïque est une "morale trouée", elle n'a pas réponse à tout. C'est en quoi, contrairement à ce que pensait Nicolas Sarkozy, l'enseignant ne peut être comparé au curé ou au pasteur, qui sont porteurs d'une morale absolue. Nous avons auditionné de très nombreuses personnalités, de Ruwen Ogien, partisan d'une morale minimaliste, et pour qui tout ce qui ne nuit pas autrui est permis, à Alain Finkielkraut, un maximaliste. Et entre les deux, la palette est large, à condition de partir de la dignité humaine, des devoirs que l'on a envers soi-même, et envers les autres, que l'on doit prendre en considération. L'Ecole ne doit pas avoir peur de jouer son rôle, d'enseigner les valeurs de la République, dont on a besoin pour vivre ensemble.

ToutEduc : Pourquoi ne pas se contenter de l'éducation civique ?

Alain Bergounioux : Il n'est pas question de substituer cet enseignement à l'éducation civique, dont je suis bien placé pour évoquer l'importance, j'ai travaillé aux programmes actuels. Mais la tendance naturelle de l'enseignement, c'est de limiter cette éducation à la connaissance des institutions. Or, pour reprendre l'expression d'Homère, "il n'y a pas de remparts sans hommes", ou celle de Jaurès, que nous citons en exergue de notre rapport, "l'enseignement civique ne peut avoir de sens et de valeur que par l'enseignement moral". Les institutions n'ont de force que si elles sont soutenues par des hommes et des valeurs.

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