Les ESPE pourront-elles corriger les effets pervers de la masterisation ? La réponse de B. Garnier (IUFM de Corse)
Paru dans Scolaire le lundi 15 avril 2013.
Mots clés : ESPE, Garnier, Corse, IUFM, référentiel, inégalités, UFR, EAP,
En matière de formation des enseignants, "le gouvernement actuel ne mettra pas fin, avec la création des ESPE, à toutes les inégalités devant la formation des maîtres sur le territoire national qui ont découlé de la réforme engagée par le gouvernement précédent". Professeur de Sciences de l’éducation, directeur des études à l’IUFM de Corse, Bruno Garnier répond aux questions de ToutEduc.
ToutEduc : La situation est-elle différente en Corse de ce qu'elle est sur le continent ?
Bruno Garnier : Contrairement à la plupart des universités françaises, l'université de Corse, qui est une université jeune et de taille encore modeste, ne comportait pas, dans ses UFR, les préparations aux concours ou aux métiers de l’enseignement et de l’éducation. L'IUFM de Corse assure donc depuis sa création la maîtrise d'oeuvre de l'ensemble des formations du premier et du second degrés qui y ont été ouvertes. La plupart des autres IUFM, ou bien ne dispensaient pas toutes les préparations aux concours du second degré, ou bien les ont perdues au moment de la réforme de la mastérisation, au profit des UFR de lettres et de sciences.
Si on met donc de côté le cas particulier de la Corse, les ESPE seront presque partout les maîtres d’ouvrage délégués des préparations aux concours de l’enseignement, celles-ci se trouvant assurées par d’autres composantes qu’elles (sauf le concours du professorat des écoles dans beaucoup de cas). De même, dans nombre de régions, les services du rectorat prendront le contrôle de tout ou partie de la formation professionnelle, même si l’ESPE y joue le rôle de chef d’orchestre. La participation effective de l’ESPE aux enseignements et aux formations risque d’être lourdement marquée par les inégalités territoriales, liées à l’histoire locale, aux rapports entre partenaires et aux enjeux, notamment budgétaires, que représente la formation des maîtres en termes de postes de formateurs et d’enseignants chercheurs.
ToutEduc : Ne pensez-vous pas que les maquettes des concours obligent les ESPE à professionnaliser la formation ?
Bruno Garnier : Pour l'instant, on ne sait rien ou peu de choses des nouvelles épreuves des concours et je n'ai pas de boule de cristal pour en deviner les caractéristiques. Mais j'imagine que les épreuves écrites ne devraient pas beaucoup changer, puisque le concours est placé aux mois de mars-avril de M1, trop tôt pour que les candidats aient eu le temps de travailler sur les questions d'enseignement. De plus, les UFR de lettres et de sciences, les corps d'inspection disciplinaires et la société des agrégés ne sont généralement pas de chauds partisans de la professionnalisation des concours, en particulier des épreuves écrites... Je n'espère pas grand chose des concours. Et pourtant, une faible prise en compte de la professionnalisation enseignante dans les épreuves écrites susciterait de grandes inquiétudes de ma part pour les EAP [les emplois d'avenir professeur, ndlr].
ToutEduc : Votre inquiétude est-elle en rapport avec votre analyse du concours ?
Bruno Garnier : En effet. En soi, c'est une très bonne mesure. Si l’on prend un certain recul historique, les concours de l'enseignement ont longtemps été une occasion de favoriser l'ascension sociale des enfants de milieux populaires, mais avec la mastérisation, le risque était grand que le vivier se limite à ceux qui pouvaient financer leurs études jusqu'à bac+5. Les EAP devaient contribuer à démocratiser l’accès aux métiers de l’éducation et de l’enseignement. Or ils seront rémunérés pour un mi-temps. Autrement dit, pendant qu'ils seront 12h par semaine dans un établissement scolaire, leurs camarades travailleront les disciplines académiques, et si le concours ne valorise pas les compétences professionnelles, ils seront désavantagés. Il faudrait pour eux un concours différent, ou une dispense de l'écrit, comme autrefois pour les "ipesiens" [les étudiants des instituts préparatoires à l’enseignement du second degré, un système supprimé en 1978, ndlr]. C’est ce qui semblait découler, selon le simple bon sens, de l’expression de « pré-recrutement » employée par le ministère à leur propos.
ToutEduc : Nous sommes au mois d'avril, les ESPE doivent ouvrir en septembre, et les inconnues restent nombreuses. Ne craignez-vous pas beaucoup de flou ?
Bruno Garnier : Les orientations sont très précises... au niveau local. Au niveau national, les disparités seront très importantes selon que l'ESPE est intégrée à une université, à un PRES, qu'il est le service commun de plusieurs universités... Le gouvernement précédent avait voulu ces différences et le gouvernement actuel ne mettra pas fin à cette gestion libérale de la formation des maîtres qui marque une rupture avec plus d’un siècle d’application du principe de l’égalité des statuts des écoles normales puis des IUFM avant intégration. Il n’en va pas de même des contenus des maquettes des masters. Le référentiel métier qui vient d'être publié change la donne, il va structurer le master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) sur tout le territoire et rétablir de l’égalité de l’offre de formation. Mais il faudra sans doute d’autres ajustements pour parvenir à un équilibre entre la nécessaire égalité de la qualité de la formation des maîtres et l’adaptation de leurs compétences aux ressources et aux besoins locaux, notamment en ce qui concerne l’enseignement professionnel.
Selon d'autres sources, syndicales, interrogées par ToutEduc, les maquettes des concours commencent à être connues. Certaines, notamment en musique et en philosophie, feraient la part belle aux savoirs disciplinaires sans faire référence aux savoirs professionnels, au point que certains parlent de "concours hors sol", et du recrutement de "concertistes" plutôt que d'enseignants.