De l'anti-pédagogisme à la pédagogie,l'itinéraire philosophique de D. Kambouchner
Paru dans Scolaire le lundi 28 janvier 2013.
"Plus il y a à transmettre, plus grand est le besoin de médiation (...)". Cette proposition, tirée du dernier chapitre de l'ouvrage de Denis Kambouchner, "L'Ecole, question philosophique", en donne le ton, qui peut se résumer ainsi : une conception exigeante de la culture et du savoir et des enseignants "érudits", mais capables d'amener l'enfant à apprendre. Professeur à Paris-I, spécialiste de Descartes, cet ancien président du jury d'agrégation, était d'abord plutôt hostile aux "pédagogues" et son essai, "Une école contre l'autre" (PUF, 2000), prenait clairement parti contre un courant dont il a depuis appris à connaître quelques figures, Philippe Meirieu ou François Jacquet Francillon notamment. C'est de cette évolution, qui n'implique aucun reniement, que rend compte "L'Ecole, question philosophique".
L'auteur part d'un constat, "l'éducation est chez les philosophes une question délaissée". D'ailleurs, "[la] production confine à l'inexistant", remarque-t-il*. Son interrogation, "comment éviter les facilités rhétoriques et les vues unilatérales" définit une ambition d'honnêteté intellectuelle qui, sur le sujet, n'est pas si fréquente. Il refuse ainsi toute philosophie "scolastique", d'abord "soucieuse d'attester sa propre dignité".
Une machine de Tinguely
Il part aussi d'un autre constat : il est devenu "très difficile ou impossible d'enseigner". Ce serait du moins ce que diraient "un très grand nombre d'enseignants". Et il en examine les implicites : la responsabilité en incombe-t-elle aux élèves, qui aborderaient l'Ecole avec "un a priori négatif", à leurs parents et à leur environnement, qui n'ont pas effectué "un travail d'habituation suffisant afin qu'ils consentent à écouter quoi que ce soit", ou aux enseignants, qui "déçoivent massivement les attentes dont ils font l'objet" ? A moins qu'il ne faille convoquer les trois explications à la fois? L'Ecole n'est-elle pas, comme les machines de Tinguely, "radicalement improductive" ?
Le philosophe examine plusieurs thèses, notamment celle de Pierre Bourdieu** qui propose "l'instauration d'une pédagogie rationnelle". Mais celle-ci ne serait-elle pas dépourvue "d'objets positifs, solides". Denis Kambouchner plaide pour une école qui accueille bien les enfants, qui les soumette "à des demandes raisonnables", de façon qu'ils y seront "heureux d'apprendre quantité de choses", une quantité qui doit être "suffisant[e]". N'y a-t-il pas là un appel à une forme de transcendance ? L'intérêt de ces "choses" s'imposerait-il aux élèves ? Le philosophe l'assume pleinement, avec Marcel Gauchet qui considère comme "une erreur capitale" de vouloir "centrer entièrement le processus éducatif sur l'individu".
L'auteur s'amuse au passage des absurdités du texte actuel définissant le "socle commun", et il convoque dans une deuxième partie les grands ancètres qui fondent sa pensée, de Cicéron à Diderot et à Durkheim, pour conclure avec Erasme, qui a manifestement sa préférence. Pour lui, l'enseignant doit être capable de s'identifier à l'enfant, mais cela suppose qu'il soit pleinement adulte.
"L'Ecole, question philosophique", D. Kambouchner, Fayard, 359 p., 22,50 €, mise en vente le 1er février
* On peut regretter que D. Kambouchner ne cite pas Olivier Reboul avec J. Rancière, A. Renaut et M. Gauchet.
** Les anti-pédagogues de J. Muglioni à A. Finkielkraut l'ont systématiquement récusé sans le réfuter.