Agir pour les jeunesses rurales (colloque INJEP)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mardi 26 novembre 2024.
Mots clés : Jeunesse rurale, INJEP, fonds d'expérimentation
Face au constat que les jeunes des territoires ruraux se retrouvent souvent dans les angles morts des politiques éducatives, alors même qu’ils font face à de nombreux défis, notamment en matière d’accès aux services et d’opportunités professionnelles, l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) a voulu mettre en lumière ces publics et a conçu un dispositif pour accompagner des projets dans les ruralités.
Lancé en 2019 par l’INJEP, le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) a permis de financer dix projets en faveur des jeunes ruraux pendant trois ans, de 2020 à fin 2023. A l’exception d’un mené sur l’ensemble du territoire métropolitain, les autres l’ont été à échelle régionale, en Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Grand Est. Au total 1,5 millions € ont été alloués pour leur mise en place.
Un colloque, organisé par l’INJEP, s’est tenu à la Marbrerie, un lieu artistique à Montreuil, ce 26 novembre. Il visait à présenter les projets menés grâce au fonds et à en tirer des enseignements pour la suite. Et aussi à mieux comprendre les réalités multiples des jeunes en milieux ruraux, qui peuvent se sentir délaissés par les politiques. Ce sentiment de manque de considération a d’ailleurs poussé l’association Rura, qui accompagne des jeunes issus des zones rurales, à publier une lettre-ouverte dans le média Ouest-France ce 26 novembre dans laquelle elle interpelle Michel Barnier pour que le Premier ministre n’oublie pas les jeunes ruraux.
Parmi les projets financés par le fonds qui œuvraient à une meilleure accessibilité aux services de santé, celui "En route pour la santé" dans la communauté de commune Saint-Marcellin en Vercors où vivent 45 000 habitants, dont 4 000 jeunes. Dans ce territoire montagnard, les services sont concentrés dans la ville principale. Pour pallier la difficulté d’accès aux soins de santé pour les habitants plus éloignés, un minibus se rendait auprès des publics isolés. 229 permanences ont été tenues par une psychologue et une travailleuse sociale, par ailleurs en lien avec d’autres structures de santé et des établissements scolaires. L’expérimentation est en voie de pérennisation, la communauté de commune ayant décidé de prendre le projet à sa charge.
Un autre projet concerne l’accès aux logements. "Mobi’coloc", porté par l’Union nationale des comités locaux pour le Logement autonome des jeunes (UNCLLAJ) et expérimenté dans plusieurs départements de France, a permis à 121 jeunes âgés de 14 à 30 ans de bénéficier d’un logement "clé en main" et abordable financièrement. Les colocations cherchaient à favoriser la mixité sociale en mêlant des profils divers de jeunes et à conduire vers l’autonomie résidentielle. Si des difficultés sont apparues, en raison justement de cette mixité, le projet a eu le mérite d’apporter des solutions dans un marché du logement sous tension, rapporte Théodora Lizop, chargée du projet.
Pour comprendre les besoins des jeunes des territoires ruraux, d’abord faut-il définir le terme de "jeunesse rurale", qui est à décliner au pluriel, comme l’ont souligné les intervenants présents à la première table-ronde du jour qui visait à dresser un état des lieux. "Il existe d’importantes différences entre les espaces ruraux, entre ceux dynamiques et ceux en déclin démographique. Il est donc impossible d’homogénéiser ces espaces", avance Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue et chargée d’étude à l’INJEP.
Une diversité sur laquelle revient également Mélanie Gambino, géographe à l’université de Toulouse, qui insiste sur "la nécessité de ne pas figer la ruralité dans une unique représentation", alors qu’il existe une multiplicité de réalités sociales, de territoires avec des spécificités propres et des manières de les habiter. Elle rappelle que des jeunes, qu’ils vivent en ville, à la campagne, dans le périurbain, peuvent traverser des difficultés similaires. La géographe pointe par ailleurs des similarités entre jeunes, quel que soit leur lieu d’habitation, notamment leurs trajectoires de moins en moins linéaires. C’est "une jeunesse yoyo qui s’adapte à un marché libéralisé et qui fait des ajustements", avance la géographe, nuançant ainsi l’opposition ville versus campagne.
Loin de constituer un espace objectivable et harmonisé, "la ruralité est une représentation avec des caractéristiques différentes selon les jeunes. Elle peut être perçue comme un piège qui empêche de se déployer, un refuge identifié comme un espace où les jeunes ont des liens, ou un projet de vie pour celles et ceux qui veulent y revenir", explique Mélanie Gambino. Selon elle, les représentations politiques et médiatiques se figent autour de l’idée d’un espace de délaissement. "Mais s’il y a des difficultés évidentes, il n’y a pas que des problèmes. Cette fixation péjorative ne rend pas justice aux réalités vécues", poursuit la géographe.
Pour autant, des difficultés propres aux territoires ruraux existent bien. "Les besoins sont différents entre les jeunesses rurales, entre celles qui restent et celles qui partent. Mais ce qu’on a observé, c’est un frein autour de la mobilité", rapporte Marie Davy, secrétaire nationale-agriculture du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC). Autre frein selon elle : le manque de considération des jeunesses dans les politiques publiques qui nourrit une défiance des jeunes vis-à-vis des élus.
Afin de relancer le dynamisme des territoires ruraux, "il faut arrêter de voir les campagnes comme des espaces économiques mais comme des espaces de vie, dit Simon Guérin, président du Mouvement international de la jeunesse agricole et rurale catholique Europe (MIJARC). Il faut investir dans l’associatif et le culturel qui n’apportent pas de bénéfices économiques mais qui sont nécessaires à l’ancrage." Autre levier indispensable pour Marie Davy : davantage de moyens financiers alors même que "l’Etat finance de moins en moins les associations d’éducation populaire, pourtant nécessaires à l'émancipation des jeunes".
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