Scolaire » Actualité

Davantage d'école, moins d'éducation (François Dubet et Marie Duru-Bellat)

Paru dans Scolaire le mardi 20 août 2024.

“Nous sommes habitués à critiquer l'école tout en ne renonçant pas à croire aux vertus de la massification et à la valeur des diplômes : puisque l'éducation est bonne en soi, son extension serait la réponse à tous nos problèmes et serait sans conteste un progrès pour la société“, font valoir François Dubet et Marie Duru-Bellat dans un ouvrage consacré à l'emprise scolaire.

Les deux universitaires y reprennent l'intuition, développée par Ivan Illich il y a 50 ans, selon laquelle “c'est l'emprise scolaire elle-même qui transforme la nature de l'école et affaiblit l'éducation“. Pour ce faire, ils interrogent l'extension de l'éducation scolaire, qui a donné au fur et à mesure aux élèves un large accès aux études secondaires et supérieures (le redoublement ayant été parallèlement très fortement réduit), et qu'ils apparentent à une “révolution lente mais profonde“. Or si “l'emprise de l'école est massive“, celle-ci n'a pas que des effets positifs. Déjà, les difficultés de ceux qui sont sortis du lycée avec un bagage faible sont importantes. Et si une “démocratisation quantitative“ s'est bien opérée pour les autres, cette homogénéisation des parcours ne signifie pas que les acquis scolaires le soient tout autant : “dès lors que le mot d'ordre est que tout le monde doit aller plus loin, il faut bien laisser passer les plus faibles, en primaire comme dans le secondaire, puis dans le supérieur“.

“L'ouverture profite à tous, plus ou moins !“

Qui plus est, l'évaluation et la sélection existent encore aujourdhui, au travers de “parcours subtilement différents, mais toujours hiérarchisés“ et “les inégalités de trajectoire n'ont pas disparu“, poursuivent les deux chercheurs. Dans ce système, l'orientation est un enjeu capital : “tous les choix, même les plus insignifiants en apparence, deviennent importants, créant de ‘petites‘ inégalités qui s'accumulent et font diverger les itinéraires“.

Ils notent en outre que les débouchés professionnels de la voie générale apparaissant “flous“, les jeunes “n'adhèrent plus automatiquement au tout scolaire, y compris ceux qui ont réussi leurs études“, en témoignent les reconversions ou le succès du choix d'études par apprentissage. Dès lors “sur le moyen terme, l'ouverture scolaire n'a pas sensiblement affaibli la reproduction des inégalités“ et l'expansion scolaire “fonctionne comme une contre-réforme“, à savoir qu'elle “contrecarre les effets démocratisants que pourraient avoir des réformes ciblées sur le fonctionnement même du système éducatif“.

Diplômes

Un des autres points soulevés par les chercheurs en éducation est la “croyance dans la légitimité indiscutable de l'influence de l'école et du mérite“, qui passe à travers la quête de diplômes, bien que “le bagage scolaire n'efface pas le poids de l'origine sociale“. Ceux-ci sont “sans conteste rentable(s), mais c'est surtout vrai des diplômes les plus élevés“, un gain significatif étant seulement noté à partir des bac+ 5.

Mais leur valeur semble surtout “inégale“, leur influence sur les trajectoires professionnelles étant “un phénomène social situé et daté“ dépendant dans chaque pays du marché de l'emploi, de la présence et de la force des syndicats, de la réglementation, etc. Par ailleurs, le travail ayant peu évolué, les mêmes emplois se retrouvent pourvus à des niveaux de diplômes plus élevés qu'auparavant, c'est pourquoi “le diplôme semble fonctionner avant tout comme un outil de filtrage“ pour accéder à un statut, ce qui interroge la notion de qualification, d'autant que “la profession exercée ne correspond à la formation reçue que dans un tiers des cas“.

Capacités éducatives

Les deux auteurs considèrent encore que, du fait de l'emprise scolaire, les capacités éducatives de l'école se sont affaiblies, au moins pour trois raisons. D'une part, “l'expérience de l'élève est dominée par la recherche d'utilité et par la concurrence qui en résulte“ contribuant par la suite, “en instaurant un clivage opposant les vainqueurs aux vaincus de la sélection scolaire, aux mutations des fractures politiques et sociales“. En effet, poursuivent-ils, “à la sereine assurance, voire l'arrogance des uns s'opposent les frustrations et le ressentiment des autres, et l'emprise scolaire finit par affaiblir les démocraties alors que nous pensions qu'elle en était le vecteur essentiel.“

D'autre part, l'affaiblissement de l'école est dû à un mouvement de “reconnaissance“ de l'enfance, l'entrée de l'adolescence et de la jeunesse dans l'école engendrant des tensions au sein des établissements. Mais ce mouvement est “contrebalancé par la revanche de l'élève“, une forte dynamique au sein de laquelle les familles “ont le devoir de tout faire pour la réussite des enfants“.

Enfin, l'école souffre de ne plus avoir “le monopole de la connaissance et de la transmission légitime“, le rapport au savoir ayant changé, “bousculé et transformé par le numérique et par les écrans“. A l'inverse, tandis que “l'instrumentalisme commande l'expérience scolaire“, “la discipline traditionnelle décline, mais le contrôle se renforce“ et les évaluations se multiplient : “tout est noté, tout compte pour le bulletin“. Alors, l'emprise de l'école “se diffuse dans tous les recoins de la vie personnelle et d'autant plus longtemps que les études s'allongent.“

L'emprise scolaire, François Dubet et Marie Duru-Bellat, éditions Sciences Po, 248 pages, 16€.

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →