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Santé mentale : l'accompagnement scolaire en question (INJEP)

Paru dans Scolaire le jeudi 11 juillet 2024.

Comment les souffrances adolescentes sont-elles prises en compte et traitées à l'école ? Sidonie Vacher analyse, dans le numéro 97 de la revue Agora, les résultats d'une étude mêlant des questionnaires menés auprès d’adolescents scolarisés dans quatre collèges français et une enquête par observation au sein d’un collège REP+.

La sociologue de l'Education (U. Lyon 2) constate que les idéaux d’autonomie et de santé mentale “imprègnent tout le tissu institutionnel et traversent, entre autres, l’institution scolaire désormais sommée de développer les capacités réflexives des élèves et de veiller à leur état de santé psychique.“ Dans les discours ministériels et les politiques éducatives, le bien-être est progressivement apparu depuis une dizaine d’années, comme l'en atteste la circulaire de rentrée 2022 ayant élevé au rang de priorité le bien-être des élèves, une prise de position inédite qui néanmoins “s’inscrit dans un processus bien à l’œuvre de publicisation des problématiques de santé mentale en direction des professionnels de l’éducation“.

Adaptation

Mais comment, sur le terrain, se traduit cette préoccupation pour les vulnérabilités psychiques des élèves ? Le personnel scolaire, indique-t-elle, y participe activement en contribuant au repérage des signes de souffrance et à l’accompagnement/orientation des jeunes en situation de mal-être. Néanmoins, si les problématiques de santé mentale “suscitent une forte mobilisation des équipes éducatives lorsqu’il s’agit d’élèves adoptant des comportements scolairement déviants et/ou ayant des résultats scolaires faibles“, les vécus adolescents de souffrance sont “peu repérés et peu accompagnés par l’institution scolaire (ou alors minimisés) lorsqu’ils coexistent avec une bonne adaptation scolaire“. Par exemple, les élèves en situation de mal-être ayant des résultats plutôt au-dessus de la moyenne sont 35,9 % à dire qu’un professionnel de l’établissement a déjà initié un échange avec eux sur leur santé mentale, contre 63,4 % de ceux ayant des résultats plutôt en dessous de la moyenne de classe.

Un défaut de prise en charge d’une partie des élèves psychiquement vulnérables qui questionne dès lors l’action des professionnels de l’éducation, qui opéreraient une sorte de “filtre scolaire“. Cela s'explique notamment par l’idée qu’un bon élève est, dans les représentations sociales en santé, “de fait un élève qui va bien“. De plus les référentiels d’action publique participent de l’ancrage de cette croyance commune dans notre imaginaire collectif, insinuant entre autres que “le bien-être conduirait naturellement à une bonne adaptation scolaire“. Or si la santé mentale “s’est convertie en une finalité de l’éducation nationale, cette dernière peine à la penser autrement que subordonnée à des impératifs scolaires.“

Conditions de travail

Mais l’invisibilisation des souffrances d’élèves scolairement conformes tient aussi aux conditions concrètes de travail dans le second degré, “incompatibles avec un suivi approfondi et personnalisé de chaque élève.“ La charge de travail et la multiplication des prescriptions institutionnelles conduit le personnel scolaire à élaborer tout un travail d’adaptation, à commencer par une hiérarchisation des tâches destinées prioritairement aux adolescents “perturbateurs“, “décrocheurs“, “violents“. D'autant que la connaissance de ces derniers “contraste avec une méconnaissance des élèves plus ajustés aux codes scolaires“, qui passent “largement inaperçus dans l’enceinte du collège“.

Conformité

Concernant les vulnérabilités psychiques des adolescents scolairement désajustés, la sociologue fait valoir une situation paradoxale. Si les filles sont surreprésentées dans l’échantillon d’enquêtés déclarant un vécu de souffrance, les garçons font davantage l’objet d’une vigilance quant à leur santé psychique au sein de l’institution scolaire : 54 % des élèves garçons interrogés déclarent qu’un personnel scolaire a déjà initié un échange avec eux sur leur santé mentale, contre 41 % de leurs pairs féminins. Un effet qui “trouve sa résolution dans la moindre conformité scolaire des garçons comparativement à leurs camarades filles“, tandis que “la variable ‘déviance scolaire‘ est celle qui semble le mieux légitimer les investigations des professionnels en termes de souffrances ou de troubles psychiques sous-jacents.“

C’est d'ailleurs “principalement lors des échanges et réunions engendrés par les situations de désajustement scolaire que se manifeste la préoccupation des acteurs de l’établissement pour la santé mentale des élèves“, des temps de gestion de l’inadaptation scolaire qui “donnent aussi à voir la façon dont les catégories psychologiques sont régulièrement ressaisies dans le registre de la responsabilité individuelle.“

Pour Sidonie Vacher, l’idée d’une santé mentale “auto-activée“, accessible en puisant dans ses seules ressources internes toujours exploitables est ‘un mythe de notre temps‘ qui circule largement dans l’espace social“, mais également au sein de l’école.

Mais le succès discursif du registre psychologisant (résilience, force intérieure) s’explique surtout “par sa capacité à faire tenir l’action éducative et à en sauvegarder le sens“. Et de façon plus pragmatique, les professionnels trouvent dans cette nouvelle rationalité éducative “les voies d’un renouvellement de l’action institutionnelle à destination des élèves scolairement déviants“ : ateliers autour des compétences psychosociales dans le cadre de la lutte contre le décrochage scolaire, développement de l’estime de soi et des ressources de la responsabilisation des élèves, etc..

Revue Agora n°97, Presses de Sciences po, 168p., 17€ ici

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