Pour P. Meirieu, comprendre la "surchauffe idéologique" actuelle sur l'école oblige à se référer aux Lumières
Paru dans Scolaire le mercredi 10 juillet 2024.
"Rallumons les Lumières", demande Philippe Meirieu pour qui les enseignants sont confrontés à "une surchauffe idéologique" et c'est aux idéologies qui traversent notre système éducatif qu'est consacré son dernier opus. Il revisite les formules de Descartes sur le bon sens et le pouvoir de la raison, ceux de Rousseau, beaucoup plus directif qu'on ne le dit trop souvent lorsqu'il s'agit de l'éducation d'Emile, de Kant qui ne veut pas que l'obéissance de l'enfant ne soit que "pure singerie", d'Itard avec qui le principe d'éducabilité de tous, y compris de "l'enfant sauvage" est posé, de Jules Ferry, de Jean Macé... et le plan "Langevin-Wallon" pour revendiquer sa position de pédagogue : "Imposer la raison au forceps est évidemment impossible pour qui veut permettre à chacun de penser par lui-même", mais le savoir et en tirer les conséquences n'est en rien céder à la tentation du laxisme : "le principe de toute pédagogie est l'exigence (...), exigence d'aller au-delà de ce qu'on sait faire pour se dépasser sans cesse."
Cette réflexion est ancrée dans l'histoire personnelle de l'auteur dont les parents, d'extrême droite, se moquaient de ses "emportements humanistes" alors qu'il était adolescent. "Pour eux, seules la peur de la sanction et la menace de l'exclusion pourraient mettre au travail des enfants ou des adultes naturellement enclins à la flânerie systématique". Mais, pense-t-il aujourd'hui, inutile de "se quereller à l'infini sur une hypothétique nature humaine", bonne ou mauvaise; tout pédagogue "revendique le droit de choisir l'hypothèse qui ouvre les perspectives d'action les plus fécondes en (lui) permettant d' 'ennoblir les humains' par l'éducation (...). Pas de soumission à un 'ordre naturel des choses' mais la lutte, pied à pied, contre toutes les fatalités."
P. Meirieu situe aussi cette réflexion dans notre temps et il n'épargne pas Jean-Michel Blanquer qui a enfourché "nombre de chevaux de bataille des néoconservateurs" et qui a réussi "le tour de force de s'aliéner en cinq ans, le corps professoral tout entier", ni Gabriel Attal et son "choc des savoirs", ni Emmanuel Macron qui a installé le Rassemblement national au coeur de la vie politique, ni Cyril Hanouna dont "la clé du succès" est à l'opposé des exigences du pédagogue : "ici, aucun sursis à la réaction pulsionnelle immédiate, aucun effort de compréhension des points de vue qui s'expriment, aucun respect de la parole de l'autre."
Le philosophe esquisse alors, à grands traits, le système scolaire qu'il appelle de ses voeux, "une véritable école commune de 3 à 18 ans" qui ferait découvrir à tous les élèves "l'ensemble des disciplines d'enseignement, y compris les disciplines abusivement nommées manuelles". Et, ajoute-t-il, "il est urgent que toutes les forces politiques, syndicales et associatives se rassemblent et proposent à nos concitoyens un projet de société où l'éducation, sous toutes ses formes, occupe la place centrale".
"Education : rallumons les Lumières !", P. Meirieu, postface de Jean Baptiste Clerico (CEMEA), Editions de l'Aube, 191 pages, 17 €, en librairie le 23 août.