Au Bourget, le lycée Germaine Tillion fête 10 ans de réussite sous le signe de l'innovation pédagogique
Paru dans Scolaire le dimanche 28 avril 2024.
Parcours immersifs pour découvrir le projet d'établissement du point de vue d'un élève ou d'un membre de l'équipe éducative, ateliers, conférences, fête.. Ce week-end du 26 et 27 avril était organisée la 2ème édition des rencontres du lycée Germaine Tillion, à l'occasion des 10 ans de sa création.
L'établissement, situé au Bourget en Seine-Saint-Denis, accueille dans son lycée 700 élèves du secteur auxquels s'ajoutent 50 élèves “raccrocheurs“, comme les appelle le proviseur Nahar Mohamed, au sein du Micro-lycée 93. Ce dernier, doté d'un projet expérimental innovant, a servi de matrice à l'ouverture de l'établissement en 2014 sur le site d'une ancienne école normale.
Pour le proviseur, en poste depuis trois ans, les élèves “ce ne sont pas des machines, ce sont des adolescents“, ce qui implique de s'adapter aux évolutions de la société : “nous sommes en constant questionnement intellectuel sur nos pratiques pédagogiques. On s'adapte et on se remet en question, si ça marche on essaie de les poursuivre, ou bien on se dit ça c'est à améliorer, ça on a testé ça n'a pas fonctionné et on rechange notre fusil d'épaule, on part sur autre chose. Cela nous permet d'être en mouvement et d'avoir une équipe très investie.“
Surtout, poursuit-il, “le projet est porté par une dynamique de travail autour du collectif, pas uniquement les enseignants mais également les agents, la vie scolaire, les AED, la direction et le secrétariat, tout le monde est impliqué. Ce qui nous aide c'est qu'on est un des seuls lycées où il y a une concertation d'équipe instaurée dans leur emploi du temps dans leur service, ce qui nous permet par exemple de faire un point sur des thématiques organisées, mises en place et proposées à la direction par l'équipe enseignante, et donc de se requestionner et de se positionner pour faire en sorte de penser à comment améliorer les choses en classe.
Côté éducatif justement, pour l'enseignante Nathalie Broux l'innovation se situe dans “une multitude de gestes pédagogiques qui sont pratiqués ailleurs, qui n'ont rien d'absolument révolutionnaire ou original mais ce qui est original c'est qu'ils sont mis en cohérence et exercés par l'ensemble de l'équipe éducative“, un travail en commun permettant aux élèves de se sentir dans une atmosphère “particulièrement sécurisante et bienveillante“.
Elle mentionne d'ailleurs la présence d'une charte pour l'évaluation destinée à initier une pratique collective “avec toute une réflexion pour qu'elle ne soit pas trop punitive“ : permettre aux élèves de rattraper leur contrôle s'ils les ont manqués, éviter de mettre des zéros et avoir des notes un peu plancher pour les encourager.
Il est enfin question d'une autonomie “raisonnable“ que possède l'établissement, qui reste un lycée de secteur avec 35 élèves par classe, construit autour du bac et des échéances classiques “mais par exemple on travaille en semestre pour ne pas ciseler l'année en trois trimestres et se retrouver tout de suite en conseil de classe, à faire des moyennes“, de quoi se donner du temps. De même, “si un élève est en difficulté, a du mal à s'accrocher, à être présent, on fait le pari qu'il va continuer à s'accrocher donc on n'exclut pas les élèves en fin de seconde, quasiment 100 % des élèves passent en 1ère même si parfois c'est une 1ère technologique qu'on n'a pas ici, l'idée c'est de toute manière qu'il se sente accompagné vers la réussite“.
En plus de l'attention portée à la qualité de l'enseignement, au projet éducatif et au bien-être des élèves, les résultats affichés en quelques années sont assez spectaculaires : alord que l'IPS de l'établissement était de 86,1 en 2020, avec 52 % d'élèves boursiers, son taux de réussite au baccalauréat est passé de 76 % en 2017 à 98 % en 2020 et 2021.
D'ailleurs la réussite était aussi au cœur d'une conférence au titre un brin provocateur, “Qu’est-ce qu’un bon lycée si on donne le bac à tout le monde ?“ qui s'est déroulée vendredi 26 avril. Les débats ont fait ressortir l'importance d'avoir des locaux propres, accueillants, de créer des lieux de vie où les enseignants ont envie de venir et les élèves réussissent (Stéphanie Motta-Garcia, proviseure du lycée Henri IV à Paris), mais aussi d'avoir de la mixité, des marges d'autonomie pour adapter les moyens pédagogiques (Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-UNSA et proviseur de la cité scolaire Buffon à Paris). Ce dernier évoque aussi l'importance de pouvoir se décentrer de l'examen, et de pouvoir avoir une vision sur ce que deviennent les élèves après le baccalauréat.
Pour Grégoire Borst, directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant au CNRS, il est question d'élèves mis dans des situations d'apprentissage “en aveugle“, ne sachant pas pourquoi ils sont là, et quels sont les objectifs à atteindre. Il estime que dans le lycée Germaine Tillion, le projet pédagogique est clair, explicite et transparent contrairement à beaucoup d'endroits, or “là où vous laissez de l'implicite il y a création d'inégalités“. C'est pourquoi hors du discours sur la méritocratie, il faudrait selon lui essayer de travailler sur l' “explicitation“ aux élèves (savoir qui ils sont mais aussi leur projection dans un projet personnel d'orientation) d'autant que ce sont des adolescents en pleine période d'explosion émotionnelle.
Alors que selon lui 40 % des adolescents auraient des sentiments dépressifs, ont justement été évoqués le rôle du contrôle continu, du contenu des apprentissages ou encore des notes données aux élèves. Virginie Schachtel, proviseure de la cité scolaire Hélène Boucher à Paris, évoque d'ailleurs une présence des parents moindre là où elle officiait auparavant, à Vitry-sur-Seine, tandis que “de l'autre côté du périph, à l'inverse on s'en passerait“ au regard de la forte pression scolaire pouvant s'exercer sur les jeunes mais aussi sur les professeurs. Et face à cette anxiété grandissante, tous les acteurs ont mis l'accent sur la nécessité de voir les établissements dotés de plus de psychologues ou d'assistants sociaux, comme c'est respectivement le cas à Buffon ou à Germaine Tillion.