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PsyEN : ne pas médicaliser ce qui relève du fonctionnement de l'Education nationale (Sylvie Amici, interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le lundi 22 avril 2024.

Discours de Gabriel Attal sur l'autorité en réponse à la violence des jeunes (ici), publication de deux rapports où est posée la question de la place et du rôle des PsyEN intervenant dans le processus d'orientation des élèves du second degré, d'une tribune qui évoque les résistances au changement qu'a provoquées la création en 2017 de ce corps (ici), autant de raison d'interroger Sylvie Amici, présidente de l’APsyEN (associaiton des psychologues et de psychologie dans l'Education nationale).

ToutEduc : L'IGESR (l'inspection générale de l'Education nationale) vient de publier son rapport sur les PsyEN EDO (éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle, ici) et elle constate que ceux-ci consacrent l’essentiel de leur temps aux élèves "qui ont des problématiques scolaires complexes" et qu'ils sont “moins disponibles pour la mission générale de conseil en orientation“ qui “n’apparaît plus comme le cœur de métier des PsyEN.“

Sylvie Amici : L'analyse que fait l'inspection générale serait assez juste si elle ne s'interdisait pas d'en tirer la conclusion logique, il faut que l'Education nationale recrute davantage de psychologues. Mais effectivement, nous avons un rôle important à jouer en matière d'orientation. Il y a une clinique de l'orientation. Pour ne prendre qu'un exemple, on peut se demander dans quel état seront les élèves envoyés en "prépa-seconde" ? Il faudra travailler avec les enseignants qui en auront la charge. Nous participons aux conseils de classe et nous apportons sur les élèves un autre regard, qui peut être complémentaire de celui des enseignants ou être dissonant. Il faut que nous continuions à être présents dans ces moments importants pour l'avenir de ces jeunes, mais aussi que nous ayons les moyens d'intervenir dans les "problématiques scolaires complexes", pour reprendre les mots de l'IGESR.

ToutEduc : Vous devriez donc adhérer à la proposition de la Cour des comptes (voir ToutEduc ici) de vous intégrer aux personnels médico-sociaux, au même titre que les médecins, les infirmier.e.s scolaires et les assistant.e.s de services sociaux...

Sylvie Amici : Absolument pas, leur proposition témoigne d'une vision très réductrice de la psychologie, limitée à la prise en charge des problèmes de santé mentale. Si on y réfléchit, l'EPS aussi contribue à la bonne santé mentale des élèves, si on ne la réduit pas à la quête de la performance. On peut également considérer que la poésie y a sa part, si son étude n'est pas réduite à des techniques d'explication de texte ! Nous intervenons au collège et au lycée, les élèves sont à un âge où les frontières entre le normal et le pathologique sont mouvantes, poreuses, nous sommes dans la complexité. Nous limiter à la prise en charge des problèmes de santé mentale. Nous faire basculer dans le médical, n'est-ce pas considérer que face à un problème, notamment lorsque des adolescents basculent dans la violence, il n'y a que deux réponses possibles, la médicalisation ou la répression, comme s'il y avait les bons et les mauvais ? C'est d'ailleurs ce que semble penser Gabriel Attal, si on en juge par son discours sur l'autorité.

ToutEduc : Il y a bien, dans les établissements scolaires des jeunes qui vont mal, surtout après la période COVID, il y a d'ailleurs aussi des enseignants qui vont mal...

Sylvie Amici :Effectivement, et nous sommes amené.e.s à prendre en charge des problématiques individuelles, mais cela ne doit pas être aux dépens des problématiques collectives. Actuellement, les sénateurs de la commission des affaires culturelles m'interrogent sur la prise en charge des élèves harceleurs, comme s'il s'agissait d'individus isolés. Pour qu'il y ait harcèlement, il faut qu'il y ait un phénomène de groupe, un ensemble d'élèves qui en poussent un à aller plus loin, ou qui au moins sont spectateurs.

En faire une question de santé mentale, penser que c'est un.e élève qui en harcèle un.e autre, c'est éviter de questionner l'institution, alors que les enseignants ne sont pas formés à prendre en compte ces dynamiques collectives. Il ne faut d'ailleurs pas se limiter à la classe, mais prendre aussi en compte ce qui se passe ailleurs au cours de toute la journée, dans les transports scolaires notamment, avoir une vue d'ensemble, mais là encore, combien de chauffeurs de car sont sensibilisés à ce qui se passe dans leur dos, à comprendre ce qui se joue, à intervenir éventuellement ? Ce sont ces questions que nous, psychologues de l'Education nationale, pouvons poser sur le terrain, concrètement. Nous pouvons interroger la formation des personnels et le fonctionnement des établissements.

ToutEduc : Le rapport de la Cour des comptes rappelle que vous formez un corps unique avec les psychologues "EDA" (éducation, développement et apprentissage) qui interviennent dans le 1er degré. Mais y a-t-il continuité de vos interventions ? Et que faudrait-il pour qu'il y ait cette continuité.

Sylvie Amici : On pourrait créer des services de psychologie qui en reconnaissent et en accueillent toutes les dimensions, avec des prises en charge dans la continuité, de la maternelle au supérieur, à l'échelle du bassin, des lieux où les familles et les élèves seraient reçus en dehors de l'école, ce que font déjà les CIO, à partir desquels nous intervenons dans les établissements. Nos collègues "EDA" sont le plus souvent difficiles à joindre, les parents doivent passer par l'inspection, ils partageraient avec nous le secrétariat, les enseignants spécialisés des RASED pourraient travailler avec nous, quand ils.elles ne sont pas dans les écoles, nous pourrions mutualiser les équipements, les tests...

ToutEduc : Pourquoi pas dans un service de médecine scolaire ?

Sylvie Amici : Encore une fois, non. Ces services de médecine scolaire existent, ici ou là, mais ils ne sont pas en général ouverts au public. Par ailleurs les médecins compte-tenu de leur très grands secteurs d'intervention sont peu présents dans les établissements et ils n'ont pas comme nous l'occasion de mettre en cause leur organisation quand elle est pathogène, ce qui peut arriver. D'autre part, ToutEduc s'est fait l'écho de la tentation de confier aux départements la médecine scolaire, derrière la proposition de nous regrouper avec les professionnels de santé, il y a l'idée de nous transférer aux collectivités.

ToutEduc : Vous tenez à rester dans l'institution...

Sylvie Amici : Oui, parce que nous pouvons l'interpeller de l'intérieur, et donc participer positivement à son évolution. On nous parle de santé mentale alors que, dans mon département, la Seine-Saint-Denis, mais dans bien d'autres aussi, je pense à l'Hérault, des centaines d'enfants, des moins de 16 ans pour qui la scolarisation est théoriquement obligatoire, sont en attente d'une affectation, parfois pendant des mois, un an, des élèves exclus de leur établissement à qui on ne trouve pas de point de chute, ou qui ont déménagé, ou des étrangers pour qui il n'y a pas de place, ça déborde de partout. Nous les voyons dans les CIO, ils voudraient aller à l'école, ce ne sont pas des décrocheurs, ils sont "non affectés"... Cela affecte leur santé mentale d'être dans l'attente d'une place. Mais, il n'y a que  mes collègues PsyEN qui rencontrent ces enfants et leurs familles dans les CIO, qui font le lien entre d'une part les questions d'affectation et orientation et d'autre part la santé mentale.

ToutEduc : Vous décrivez une situation qui est peu connue, et pour laquelle l'opinion publique manque de données. Mais au-delà, quand vous expliquez que c'est la structure qui est défaillante, ne développez-vous pas la "culture de l'excuse" dénoncée par le Premier ministre ?

Sylvie Amici :Il ne s'agit pas d'excuser. Nous n'avons pas, nous psychologues, à excuser ou à blâmer, mais à comprendre, à essayer de voir où sont les causes autant que les ressources pour favoriser le développement et, dans la mesure de nos moyens, à aider l'ensemble des acteurs de terrain, élèves et familles à mobiliser ces ressources pour avancer. C'est vrai pour tous les psychologues en institution, nous devons prendre en charge des personnes et aussi un regard plus global, une analyse systémique des fonctionnements.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par S. Amici

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