Roland Goigoux : son réquisitoire contre la syllabique pure que le ministère tente d'imposer (Médiapart)
Paru dans Scolaire le lundi 27 novembre 2023.
Chercheur, spécialiste de la didactique de la lecture et de l'écriture, Roland Goigoux a initié et coordonné la seule enquête de grande ampleur sur les pratiques des enseignant.e.s au CP en France. Il a été auditionné par Annie Genevard (LR) et Fabrice Le Vigoureux (Renaissance), co-rapporteurs d'une mission d'information de la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale chargée "d’établir un état des lieux de l’apprentissage de la lecture en France pour en identifier les points de blocage et proposer des pistes d’évolution dans le cadre scolaire". Il a publié un compte-rendu de son audition sur Médiapart. En voici des éléments.
Interrogé sur le niveau des élèves en lecture, il souligne que les résultats des élèves français au test PIRLS, donc à 10 ans, sont "moyens". Les discours alarmistes sur le niveau tiennent pour beaucoup à la "survalorisation du test de fluence" aux dépens de "la compréhension de textes en lecture autonome silencieuse".
Il insiste d'ailleurs sur le rôle de l’école maternelle où "les élèves découvrent le principe alphabétique, font leurs premiers essais d’écriture, se familiarisent avec la langue et la culture écrite" et il regrette que les membres du CSEN (Conseil scientifique de l'Education nationale) fassent "table rase de ces acquisitions" alors que "la recherche internationale soutient cette orientation en montrant l’impact positif d’un enseignement précoce de la compréhension des textes et de familiarisation avec la langue écrite (...). Il semble néfaste, pour les enfants issus de milieux sociaux défavorisés, d’interrompre pendant deux ans (CP et CE1) le travail amorcé au cours des trois années d’école maternelle."
Au CP et CE1, la lecture à haute voix est réduite à "à une course contre la montre" négligeant "la syntaxe et la segmentation du texte, les pauses, les marques de ponctuation et l’intonation", ce que le chercheur résume sous le mot de prosodie.
Et surtout, il dénonce "la croisade amorcée au CP avec l’imposition d’une méthode syllabique radicale" qui voudrait qu'on ne présente aux élèves que "des textes 100 % déchiffrables". Or la seule étude dont disposait la DGESCO pour justifier son choix, celle de Jérôme Deauvieau, n’a jamais été validée, ni publiée par une revue scientifique (voir ToutEduc ici). Cette croisade est portée par le "guide orange" : "Contrairement à ce qu’il annonce en couverture, le guide n’est pas 'fondé sur l’état de la recherche'. Il ne tient compte que des recherches qui vont dans le sens voulu par le ministère et ignore celles qui le contredisent ou apportent des nuances", il "limite l’encodage aux mots que les enfants ont appris à déchiffrer. Il proscrit tout essai d’écriture autonome et tout tâtonnement", ses auteurs "semblent méconnaitre les recherches qui attestent la validité de ces techniques d’écritures approchées".
Et Roland Goigoux, interrogé sur une note du Conseil scientifique (octobre 2022) sur la lecture estime que, "bâclée", elle "discrédite" le CSEN qui sait "qu’aucun manuel n’a fait la preuve de son efficacité". Il est d'ailleurs hostile à leur labellisation. Celle-ci "perpétuerait l’idée erronée (mais oh combien populaire) selon laquelle les difficultés de compréhension des collégiens trouvent leur origine (et leur solution) au cours préparatoire et qu’il s’agit tout simplement d’un problème de méthode (...). Cela reviendrait quasiment à imposer un manuel unique, comme le manuel Néo (Nathan)" qui propose "une syllabique radicale" dont il a montré l"’illégitimité". D'autre part, un manuel imposé exonérerait les enseignants "de leur part de responsabilité dans les difficultés persistantes de leurs élèves ; celles-ci trouveraient leur origine soit chez l’enfant, soit dans la méthode d’État appliquée à la lettre."
Il fait enfin le portrait des bons enseignants au cours préparatoires. Ils "se distinguent par leur détermination et leur confiance dans les capacités de leurs élèves. Leur pédagogie est active, le climat de classe est serein, propice aux apprentissages d’élèves fortement engagés dans les tâches proposées. Les opérations cognitives requises pour réaliser les tâches sont explicitées avant, pendant et après leur utilisation. Au début du cours préparatoire, les enseignants incitent leurs élèves à faire feu de tout bois pour identifier les mots, à évaluer la qualité de leur déchiffrage en prenant appui sur le contexte et à procéder par analogie pour décoder et pour encoder des mots."
Le document est téléchargeable ici