Des professeurs des écoles très attachés à leur métier, mais un groupe socioprofessionnel “dans une impasse“ (ouvrage)
Paru dans Scolaire le dimanche 16 juillet 2023.
“Aujourd'hui, les enseignant.e.s du primaire partagent dans leur très grand majorité une vision pessimiste de leur emploi, la présence nombreuse des femmes dans la profession n'étant plus en mesure d'atténuer cette vision, bien au contraire.“ Les professeurs des écoles (PE), objet d'un ouvrage sociologique collaboratif, sont “dans une impasse“ tant ils sont touchés par le désenchantement et la résignation au regard de leur profession et de leurs conditions de travail.
L'étude porte sur l'évolution du groupe socioprofessionnel, dont les effectifs ont été multipliés par plus de 2 entre 1955 et 2021 et qui se distingue par une hyperféminisation. Les auteurs relatent par exemple les travaux d'Ida Berger qui montrait déjà, en 1957, un certain malaise dû à de faibles salaires (notamment en début de carrière), un manque de perspectives d'avenir (à l'époque davantage marqué chez les hommes), de mauvaises conditions de travail (des bâtiments vétustes et des classes surchargées), ainsi que la perte du prestige social de la profession.
Seulement de nos jours, constatent-ils, “ce qui frappe, c'est moins les raisons du mécontentement exprimé que la virulence et l'intensité des critiques formulées“. 52,4 % des enseignants interrogés seulement semblent satisfaits de leur métier, cependant qu'ils et elles l'affectionnent, se sentant pour beaucoup “investis d'une mission“, surtout ceux passés par la formation initiale par rapport à ceux l'ayant intégré après reconversion.
Face à ces tourments, il s'agit donc d'analyser la vie des professeurs des écoles, notamment au travers de l'articulation entre vie professionnelle et vie privée, mais aussi leurs parcours familial, leurs conditions de travail face aux réformes subies au cours des dernières années et décennies. En effet, la profession fait face à une forte crise de reproduction, avec une difficulté à pourvoir tous les postes proposés au concours. D'où la question de savoir si l'élévation du niveau des diplômes, permettant une concurrence de la part d' “autres métiers plus valorisant symboliquement et économiquement“ et d'autres débouchés, tout comme des “conditions de formation assez peu satisfaisantes“, pourraient constituer une des causes de cette désaffection.
Les auteurs situent ainsi la baisse d'attractivité du métier de professeur des écoles à 2006, et selon eux, “sans conteste, la masterisation a accéléré une crise de recrutement qui couvait et dont les prémices s'observent avant la mise en place de la réforme puisque le nombre de candidat.e.s au concours de PE avait déjà commencé à décroître significativement à partir de 2005, notamment dans la population non-inscrite à l'IUFM“. Ils dénoncent encore des politiques scolaires inspirées de la “nouvelle gestion publique“ qui se sont immiscées (entre autres) dans l'Education nationale et qui ont considérablement dégradé les conditions d'exercice de ces fonctionnaires par une “inflation des prescriptions et des nouvelles tâches qu'il leur faut assumer“, entraînant une “remise en question des compétences alliée aux injonctions de rendre des comptes“.
De même, les enseignants “ne peuvent pas compter sur le soutien indéfectible de leur hiérarchie proche, qui relaie fréquemment les remises en question professionnelles orchestrées par les réformes éducatives“. Malgré un “plaisir de travailler souvent notable“, les PE se sentent mis en cause dans leur professionnalité, ils manquent de reconnaissance, et leur autonomie se trouve contestée. D'ailleurs, leur mandat est “mis en discussion par les tutelles locales, encouragées par les injonctions ministérielles, en particulier suite à la réforme des rythmes scolaires“, estiment les chercheurs qui constatent des relations avec la hiérarchie de proximité “marquées par la distance et le manque de moyens“, parfois faite de conflits de juridiction autour de l'espace de la classe et du périscolaire. Quant aux jeunes générations de professeurs de écoles, “très vite, au bout de quelques années d'exercice, ils considèrent leurs conditions de travail et leur statut social avec le même regard critique que leurs aînés“.
Reste un fort attachement au métier, en dépit de la “dépense d'énergie importante“ qu'il demande, comme celui de “faire preuve d'inventivité et d'étendre ou entretenir une culture générale“, ou le travail immense hors école qu'il demande. Il reste un “symbole de promotion sociale“ pour une part importante de femmes, et garde une perception positive “au regard de celui des parents, de la mère en particulier“.
Professeur.e.s des écoles : sociologie d'une profession dans la tourmente, Frédéric Charles, Marlaine Cacouault-Bitaud, Serge Katz, Florence Legendre, Pierre-Yves Connan, Angelica Rigaudière, éditions L'Harmattan, 284p., 29€