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Orientation : le constat sans appel des députés

Paru dans Scolaire, Orientation le dimanche 02 juillet 2023.

"L’orientation est un droit, et il ne saurait être admis que les conditions de son exercice soient aussi inégales, voire inexistantes, le rendant de facto facultatif." Le "rapport d'information" sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur, présenté par les députés Thomas Cazenave (Renaissance) et Hendrik Davi (LFI) est d'autant plus sévère qu'il s'inscrit dans la continuité de celui de 2020, porté par Régis Juanico (socialiste) et Nathalie Sarles (La REM), donc parfaitement transpartisan et dresse le constat d'un "gâchis collectif". "Le maquis qui était décrit (dans le rapport de 2020) est toujours le même et l’écosystème de l’orientation met en présence des acteurs qui sont loin d’être des partenaires agissant de manière coordonnée ou simplement ayant connaissance de la mission et des actions menées par les autres."

Premier constat, la loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" a transféré l’information (sur l'orientation) aux Régions, or il est "impossible à une région d’exercer elle-même les missions d’information sur les formations et les métiers". Certes, comme le souligne François Bonneau (président de la Région Centre-Val-de-Loire et président de la commission éducation, orientation, formation et emploi de Régions de France), "les régions ont mis en place des dispositifs innovants" et "une gamme complète est désormais disponible partout" : Orientibus, plateformes numériques, applications géolocalisées, casques de réalité virtuelle, ambassadeurs métiers, nuits de l’orientation, salons, dispositifs de coopération entre acteurs ou dans le cadre des Campus des métiers et des qualifications (CMQ), etc. Mais "l’enjeu aujourd’hui consiste à changer d’échelle, pour faire en sorte que tous les collégiens et lycéens puissent avoir accès à cette offre".

D'énormes disparités, des acteurs privés, des familles désemparées

Les rapporteurs commentent : "il est difficile d’évaluer à ce stade l’efficacité de ces dispositifs". De plus, "la disparité des dépenses selon les régions pose le problème de l’égalité d’accès à une information de qualité sur les métiers" : Alors que le budget de la région Auvergne-Rhône-Alpes est de 26,5M€, il est pour les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie de 10,5M€ et 10M€, et il est de 1,3 M€ pour l'Ile-de-France.

Les Régions n'ont pas non plus les moyens en termes de personnels pour assurer cette mission qu'elle sous-traite à des acteurs privés qui "se pressent, parfois très nombreux, aux portes des régions pour leur offrir leurs services (...). Ce nouveau marché privé surfe sur l’anxiété des élèves et se développe de manière exponentielle, ayant pignon sur rue dans les salons d’orientation où ils démarchent les familles désemparées (...). En outre, certaines régions, telle l’Île-de-France, délèguent à des entreprises privées les présentations relatives à l’orientation, notamment dans les lycées professionnels."

Préserver ou non l'ONISEP ?

Second constat, "le partage entre l’information sur les métiers et les formations, du ressort des régions, et l’accompagnement à l’orientation, relevant du périmètre de l’Éducation nationale est ambigu", c'est du moins le sentiment des collectivités. Pour François Bonneau, "l’ONISEP est resté en position de concurrencer (les Régions), augmentant ainsi l’illisibilité et l’inefficacité des politiques publiques". A l'inverse, parents et élèves estiment souvent que la qualité de l’action des régions est "très variable" et dans certaines d'entre elles, "la situation est décrite comme dramatique avec parfois des outils de recherche si indigents que les élèves et leurs familles ne fréquentent pas les plateformes régionales (...), certaines se contentant de produire un petit document distribué chaque année, souvent incomplet et d’une lecture rebutante (...). Pour les associations de parents d’élèves, il est donc essentiel que les moyens alloués à l’ONISEP soient préservés car c’est un outil précieux qui reste la première source d’information."

Les rapporteurs évoquent d'ailleurs très positivement l'action de l’Office qui a élaboré "un programme complet de services numériques à l’orientation (...) afin de ne pas disperser l’attention des élèves, et de leur présenter les informations dont ils ont besoin au moment voulu" tandis que le programme "Avenir(s)" permettra "à partir de la rentrée 2024, à tous les élèves dès la cinquième et jusqu’à au moins bac+2, de disposer d’une plateforme unique d’accompagnement à l’orientation".

Cela ne doit pas faire oublier que "l’accompagnement personnalisé des élèves sur l’orientation restera crucial, sauf à ce que cette information soit inutile faute pour eux de savoir l’utiliser (...). Ce n’est pas tant l’enjeu numérique qui est primordial que le renforcement du soutien aux collégiens et aux lycéens de la part des enseignants."

Quelle est l'effectivité des "54h" dans les lycées ?

Malgré les critiques qui leur sont adressées, les Régions estiment "que les choses prennent forme peu à peu" mais elles considèrent que la relation avec de nombreux acteurs du SPRO (service public régional de l'orientation) reste complexe, en premier lieu avec les différentes composantes de l’Éducation nationale". Si la plupart des régions considèrent que leurs relations avec les chefs d’établissement sont bonnes, en Normandie et en Corse, elles seraient au contraire "plutôt mauvaises".

Quoi qu'il en soit, et ce pourrait être le troisième constat des deux rapporteurs, "les élèves sont toujours mal accompagnés dans leur orientation", et ils en prennent pour exemple "l’utilisation des 54 heures dédiées" en lycée général et technologique. Selon les syndicats de lycéens, elles "sont malheureusement loin d’être effectives" : "Tant que ce volume ne sera pas inscrit dans l’emploi du temps des élèves, il ne pourra en être autrement." Autre difficulté, "les enseignants ne se sentent souvent pas formés pour assumer cette mission et, de ce fait, ne se considèrent pas légitimes (...). Pour certains syndicats (...), il serait même dangereux d’ériger les enseignants en experts de l’orientation, compte tenu des risques de biais dans l’orientation et de surcroît d’inégalités, eu égard aux différences de parcours personnels des uns et des autres."

Parcoursup et le stress

Les rapporteurs s'inquiètent encore de la réforme du lycée d'enseignement général, du baccalauréat et de Parcoursup. Ils estiment que "les réformes successives n’ont pas amélioré significativement la réussite en licence" et ils soulignent que "les dernières réformes ont renforcé l’individualisation de l’orientation et la responsabilisation toujours plus importante des élèves et de leurs familles. La fourniture d’une information foisonnante, qui prétend à l’exhaustivité, revient à dire aux familles qu’elles ont tous les éléments en main pour faire un choix rationnel et, incidemment, que leur erreur sera de leur responsabilité." Les élèves de terminale "sont submergés depuis le début de l’année par les nombreuses exigences de la procédure, entre autres la rédaction d’une dizaine de lettres de motivation différentes.

Au total donc, "l’écosystème de l’orientation présente un enchevêtrement d’outils – le cas échéant contradictoires –, empilés successivement les uns sur les autres, toujours aussi illisibles tant pour ses bénéficiaires que pour les parties prenantes, toujours aussi peu efficaces pour traiter les enjeux majeurs de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur". Les auteurs ajoutent que les régions ignorent parfois "les projets qui ne sont pas de leur initiative (...). Des crispations sont même ressenties, certaines régions pouvant se situer dans une logique de concurrence (...), sans envisager de synergie. Pour toutes ces raisons, les rapporteurs ne souhaitent pas davantage décentraliser la politique de l’orientation".

Un délégué interministériel à l’orientation

Ils proposent d'ailleurs que l'orientation soit inscrite "dans les programmes fondamentaux obligatoires" et dans les emplois du temps, de façon à garantir que chaque élève "bénéficie d’un socle commun de compétences à s’orienter pouvant faire espérer, à terme, une atténuation des mécanismes de reproduction sociale". Ils proposent de faire de l’orientation "une véritable politique publique, financée, et dont les effets seront évaluables sur la base d’indicateurs partagés par les différentes parties prenantes". Cela suppose notamment "la création d’un délégué interministériel à l’orientation chargé de la mise en œuvre de la politique publique en lien avec les régions". Il faudra aussi "engager une réflexion sur l’offre de formation avec la mise en place d’une cartographie des filières en tension, qui établisse si ces tensions sont dues à un manque d’offre ou à une trop forte demande" de façon à "allouer des moyens supplémentaires là où ils font défaut".

Le rapport ici

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