Ecole inclusive : ce n'est pas à l'enfant de s'adapter, même avec une aide spécialisée (Sénat)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le jeudi 04 mai 2023.
"Il revient à l’école de s’adapter (à l'accueil des élèves en situation de handicap) et la possibilité de recourir à l’aide humaine ne doit pas conduire l’institution scolaire à s’exonérer de sa responsabilité pédagogique. Tous les acteurs de l’école inclusive que le rapporteur a auditionnés dressent unanimement le même constat : celui d’une systématisation de l’aide humaine, désormais ancrée dans les esprits et les pratiques." Cédric Vial, sénateur rattaché LR, signe le rapport de la "mission d'information sur les modalités de gestion des personnels accompagnants des élèves en situation de handicap" et il est sévère.
Il rappelle l'historique de la situation créée par la loi de 2005 qui "affirme le droit pour chaque enfant à une scolarisation en milieu ordinaire" et par celle de 2013 "qui consacre pour la première fois le principe d’inclusion scolaire, en vertu duquel c’est à l’école de s’adapter pour accueillir chaque enfant". Il note qu'entre 2004 et 2022, le nombre des élèves en situation de handicap (ou ESH) est passé de 134 000 à 430 000, tandis que les 125 000 AESH constituent le second métier de l'Education nationale. Et il estime qu'a été privilégiée "une logique quantitative (...) au détriment d’une démarche qualitative". Il note que l’Éducation nationale est "dans l’incapacité de mettre en œuvre, de manière efficiente, le flux des prescriptions émanant des maisons départementales des personnes handicapées".
Une externalisation de la mission d'inclusion
Le sénateur évoque des effets pervers de l'accompagnement par les AESH, c'est ce qu'il appelle une "externalisation" de la mission d’inclusion "de l’enseignant vers l’AESH". Il appelle à "sortir de la logique quantitative du 'tout aide humaine' pour entrer dans une démarche plus qualitative, centrée sur les besoins de l’enfant". Mais cela supposerait de "corriger" la gouvernance du système d’inclusion scolaire qui "repose sur une organisation duale", composée des MDPH (et des CDAPH) d'une part et de l’Éducation nationale de l'autre. Il estime pourtant "nécessaire de maintenir le principe de séparation du prescripteur et de l’opérateur-payeur" mais "déplore que les moyens des MDPH n’aient pas, depuis leur création par la loi de 2005, été réévalués".
Le rapporteur estime encore "que la gestion actuelle, par l’Éducation nationale, du dossier de l’inclusion scolaire est inadaptée" et il appelle l'Ecole à "développer et systématiser l’accessibilité des matériels pédagogiques, notamment via le cahier des charges s’imposant aux éditeurs, et celle des outils numériques". Il dénonce "le déficit de culture pédagogique sur l’inclusion scolaire, le degré d’acculturation au handicap étant très variable d’un établissement scolaire à l’autre, d’un enseignant à l’autre". À cela s’ajoutent "des disparités de pratiques" selon les départements et les DASEN, ce qui fait dire à Cédric Vial qu'il "n’existe pas de véritable service public national de l’école inclusive". Les PIAL ont "globalement amélioré la situation" mais ne permettent pas la "prise en compte de la dimension qualitative des besoins d’accompagnement".
Déficit des capacités d'accueil des établissements médico-sociaux
Pour améliorer le dialogue entre la MDPH et l'Ecole, le sénateur propose d' "expérimenter la possibilité, pour les équipes de suivi de la scolarisation (ESS), d’adresser à la MDPH une contre-proposition si les modalités de l’aide ne leur paraissent pas répondre aux besoins de l’ESH". Mais il note aussi "qu’il existe une corrélation forte entre le déficit des capacités d’accueil dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) – enfants sur liste d’attente, manque de professionnels médico-sociaux (orthophonistes, psychologues...) – et l’augmentation du recours à l’aide humaine en milieu scolaire ordinaire."
En ce qui concerne la pause méridienne, le rapporteur revient longuement sur la décision du Conseil d'Etat qui "a dégagé l’Éducation nationale de toute responsabilité dans le financement des emplois d’AESH en dehors du temps scolaire, transférant ainsi la charge aux collectivités territoriales". Il considère qu'il s'agit d'un revirement de jurisprudence qui "induit une rupture dans la prise en charge quotidienne de ces enfants" et il demande qu' "une initiative législative" prévoie que l'Etat prenne en charge "le financement des dépenses d’accompagnement humain des ESH sur le temps méridien". En attendant, même si une note de service du ministère de l’Éducation nationale "est venue clarifier la question organisationnelle, en appelant à recourir à la mise à disposition d’AESH par l’État au bénéfice des collectivités", celles-ci "doivent, une nouvelle fois, mettre la main à la poche" et "pour l’enseignement privé sous contrat, il revient aux établissements de trouver les financements nécessaires". Le sénateur note que "sur le terrain, cependant, il semble que l’État continue à prendre en charge certaines situations individuelles" et il propose de "développer les subventions d’ores et déjà accordées par certaines caisses d’allocations familiales (Caf) aux collectivités territoriales" et pour l’enseignement privé, d' "ouvrir en urgence un processus de discussion entre le ministère".
Commune de résidence et commune d'accueil
Il souhaite d'ailleurs "qu’une solution financière soit trouvée au problème de la prise en charge de l’aide humaine, sur le temps périscolaire, de l’enfant scolarisé en dispositif Ulis et dont la commune de résidence n’est pas celle qui héberge ce dispositif". Actuellement, "le surcoût incombe aux communes d’accueil de ces dispositifs" et certaines ont "déjà fait part de leur souhait de ne plus accueillir ce type de dispositif, en l’absence de solution pour une prise en charge des enfants originaires d’une autre commune".
Autre difficulté soulevée : l'accompagnement des familles par les professionnels du handicap est "très variable d’un territoire à l’autre. Certaines MDPH parviennent à assumer leur mission d’accompagnement, alors que d’autres sont submergées par le traitement administratif des dossiers". Il estime aussi que "l’interdiction totale" faite aux parents de communiquer avec les AESH "est souvent vécue comme un non-sens". Il faudrait donc "systématiser, au moins une fois par trimestre, la tenue d’une réunion entre l’équipe pédagogique, l’AESH, les parents et, le cas échéant, l’éducateur de l’enfant".
Engager sans tarder une réforme structurelle des conditions d’emploi des AESH
Cédric Vial constate encore que le ministre tente de "s’adapter au fil de l’eau" aux problèmes de gestion des AESH, "mais sans véritable ligne directrice, si bien qu’aujourd’hui, le cadre de gestion des AESH apparait totalement inadapté" et il demande à la DEPP d'assurer "un suivi qualitatif, local et national, de la population des AESH", et de mettre en place "une évaluation de la performance de la politique publique en faveur de l’accompagnement humain des ESH", mais au-delà, il appelle l'Etat à "engager sans tarder une réforme structurelle des conditions d’emploi des AESH" ainsi que de leur formation".
"Le rapporteur s’interroge enfin sur ce qui constitue le cœur de métier d’un AESH : est-ce l’accompagnement du handicap ou l’accompagnement à la scolarité ? (...) Il ne peut pas y avoir de politique d’inclusion efficace et pérenne sans évolution notable du statut, du temps de travail et donc de la rémunération des agents chargés de l’accompagnement des élèves en situation de handicap."
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